Lundi 13
Je crois que le bruit du monde m’atteint autant que celui en moi. J’ai tellement mal aux mains, le bras, le dos, le corps, j’abandonne la journée au canapé, à l’oxygène et à Game of Thrones. Le soir, nous organisons le voyage de novembre, un peu en dehors de son anniversaire mais c’est le mieux que nous puissions faire. Ce qui précipite l’achat du livre que je souhaite lui offrir, il va falloir que j’y pense bientôt.
La nuit, je demande à mon inconscient comment je peux aborder ma colère, celle enfouie – j’ai beau dire que je ne veux pas m’en occuper… c’est faux, évidemment. Je vais juste.. je ne sais pas.. y aller avec des moufles.
Mardi 14
J‘ai dormi, il me semble que j’ai dormi, que si je me suis réveillée cela n’a duré qu’un instant sans insomnie. Au très petit matin, je rêve, je veux arroser une plante alors je grimpe sur un tabouret et là dans un creux de l’étagère, un chaton hirsute, orange et blanc, est en train de mourir de faim, c’était donc là que nous l’avions perdu depuis si longtemps ? Il n’a plus d’énergie, il me regarde, ne bouge pas, à l’agonie. Je le prends contre moi, dans une écharpe, et je me réveille dans cette peine de voir mourir le petit chat. À moitié endormie dans la lumière du jour, je me dis que ce n’est pas possible d’en rester là et j’essaye de me rendormir en prenant soin d’avoir ce chaton tout contre moi. Et je retourne à mon rêve, le chat contre moi. Je le nourris comme il y a longtemps les chatons qui se laissaient mourir, je le nourris au biberon, contre mon cœur, il dort dans l’écharpe. Un autre jeune chat apparait, pas content du tout de voir ce chaton, on dirait un peu Corail mais bébé, elle fait le gros dos et crache et je la câline, je la prends elle aussi contre moi, je les fais dormir ensemble et lentement, doucement, ils s’acceptent, puis apprécient, même, de dormir l’un contre l’autre. Sensation de les sauver tous les deux.
Je ne suis pas certaine de faire entièrement le lien avec ma colère-rage, il n’y a peut-être aucun lien à faire d’ailleurs, pourquoi est-ce qu’il faudrait. Mais je suppose qu’en effet, je peux prendre soin de ce qui a été perdu, abandonné, à l’agonie – je vais y passer ma vie entière. Je voudrais retourner dans le rêve, tout était si simple et peut-être qu’il existe un monde dans lequel tout est simple, il y a peut-être un monde où je n’existe que s’il y a des chatons à réchauffer à ranimer à ramener à la vie, peut-être qu’il y a un monde.
J’étends le linge dans les feuilles d’automne, le soleil m’éblouit. Cete année est incroyable dans ces couleurs, jamais nous n’avons habituellement un tel automne. Corail se mêle aux couleurs, le sol est jaune tigré. Une appli me dit, record atteint de température pour aujourd’hui, ce qui est un peu tous les jours de ce mois, you know.
Il ne pleut toujours pas.

Je comble mon absence de novembre à la friperie, elle me dit « c’est bon je serai là ». Elle sera là.
J’ai presque retrouvé mon oreille, elle semble mieux ce matin. Mais est-ce nécessaire de toujours entendre.
L’angoisse se loge dans ma gorge, elle a trouvé à se poser dans les failles.
Les mots les phrases la voix affolée gémissante terrifiée de ma grand-mère dans le noir, est-ce que quelqu’un peut allumer la lumière. Elle répète en boucle ils ont oublié la lumière et je suis sidérée, je n’arrive pas à l’arrêter, elle répète en boucle la lumière éteinte et sa terreur et ça me déchire. Ma voix ne porte pas dans le noir aveugle.
Je n’ai jamais eu autant besoin d’être dans le silence de la musique – mais c’est toujours ainsi, non ?


Mercredi 15
Je travaille seule, les grippes covid gastro ont eu raison de toutes. Je mets en place le travail de AnMa de lundi – elle vient un autre jour, seule, pour compenser son impossibilité du mois à venir le jour prévu. Heureusement qu’elle est là, à débroussailler le travail en amont. Je crains le moment où elle ne viendra plus.
L’après-midi… je dors.
Jeudi 16
Discussion il y a eu, l’enfant n’a pas nié, pas davantage dit que c’était arrivé : a refusé d’en discuté, arguant que parler empirait les situations Mais, n’a. pas. nié. et c’est pour l’instant tout ce que je vois : un pas en avant bien maigre, mais présent. Enfant en colère, rejette tout.
au bord d’une implosion impossible à lâcher malgré toute ma bonne volonté . comment laisse-t-on passer . j’attends la vague qui va me couler . j’attends toujours une vague qui
Je fatigue, peine à avancer. J’aime beaucoup ce canapé, il faudrait le jeter et en acheter un autre, il faudrait vraiment, on s’y enfonce comme dans un marécage, il abandonne une barre dans notre dos, il se casse de l’intérieur je m’y retrouve pleinement, je l’aime parce qu’il m’accueille, même si trop proche du sol.
Mon beau-père me tire de là, il dit « oh tu avais le fil » étonnante manière de dire que j’étais reliée à l’air que vous respirez si facilement. J’arrête la machine et je le suis, il me montre tout ce qu’il faut faire dans le poulailler durant leur absence, les canetons qui viennent de naitre, la lapine qui devrait mettre bas.

Vendredi 17
Je ne sais plus bouger. Qu’est-ce qui tient des règles qui me laminent, qu’est-ce qui tient de la réminiscence date anniversaire liée si directement au sujet abordé avec l’enfant. Je dors mieux les nuits pour mieux dormir également la journée, c’est n’importe quoi. Énième crise d’épuisement qui emporte le moral avec.
Je lis un livre, je dors, je ferme les yeux sans être plus capable d’un mouvement, termine mon livre, me rendors contre le chat.
Samedi 18
J’émerge sur R. (ex ami) que mon esprit bizarre a affublé d’une superbe jupe grise steampunk et de cette phrase pour expliquer la jupe, phrase improbable venant de lui dans ce contexte, « je me suis enfin trouvé ». J’émerge et je ris un peu, perplexe.
Ma grand-mère passe le temps à regarder la nuit s’installer à chaque seconde, elle ne sait plus ce qu’elle fait là. La métaphore s’alourdit d’un je ne sais pas ce que je fais en maison de retraite et je n’ose pas répondre davantage, est-ce que je peux taire pourtant comme elle n’a jamais voulu ? Et puis elle insiste mais pour elle, elle dit « ça doit être moi, j’ai dû vouloir venir ». Et alors non, tout de même. Ce sont tes filles. Quelles filles, demande-t-elle, intéressée. Eh bien tante-marraine, tante-presque-gentille et D. Ah dit-elle, ah. Les trois. Mais j’ai perdu D. Tu l’as su que j’ai perdu D. ? Oui mamie j’ai su elle est partie sur un mouvement, le bras a retiré la couverture et elle est morte juste sur ce mouvement. Donc ce sont les deux autres qui m’ont mises là.
Ma mère, toujours la grande gagnante.
Le soir je regarde Eternal Sunshine que j’avais vu il y a des années et beaucoup oublié, et je pleure de tristesse alors même qu’ils s’en sortent. Peut-être parce qu’ils ont tenté de se supprimer eux-mêmes en retirant leur passé. Peut-être parce qu’il est impossible d’y échapper. Je voudrais ses cheveux de couleur. Je voudrais montrer au monde comme je suis folle dedans, ou belle, peut-être. Blanche, mais nous sommes dimanche, me fait la plus belle déclaration d’amitié ou d’amour, elle dit, je ne sais pas comment font les gens pour passer à côté de toi sans te voir, je devrais avoir à te partager avec le monde entier. Les gens sont assis à côté de trésors et ils ne s’en rendent même pas compte.
Ce doit être les cheveux. Ils manquent de couleur
– sinon c’est qu’elle a tort.
Le ciel est bleu pour la dernière fois, dans une chaleur relative, un tiède agréable et étrange. Nous marchons sur des arbres et ici je n’ai jamais vécu ça, ces couleurs d’automne n’ont jamais existé, l’impression d’être en Auvergne, totalement délocalisée. Les feuilles neigent rouge ou jaune, résolument jamais marron, rien n’est brûlé par le soleil, que s’est-il passé pour qu’un tel cadeau nous soit offert. J’ai cru ne plus jamais le revoir. Je marche en pleine vérité d’une saison qui n’a pas lieu ici, qui ne devrait pas être. J’en ai presque peur. Je profite de chaque feuille qui glisse des arbres, de chaque oiseau chanteur, de chaque bond de l’écureuil, j’essaye de ne pas trop regarder dans les yeux que ce n’est pas normal tout ce jaune au sol parce que c’est magnifique et moi toute cette beauté me fait tenir debout.















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« L’automne a été fabuleux. Je ne l’oublierai pas. Ni cette langueur qui me tient, comme une mélancolie. Une peine installée d’avance devant tout ce que j’aime et tout ce qu’un jour je perdrai.
C’est triste à publier, dit Maude. Mais j’en suis là. À ces constats de femme plus vieille qui regarde le monde en se voyant déjà partie. Ce n’est pas lourd, c’est seulement un constat. Que le temps passe et qu’il ne s’arrête jamais. »
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Tant de belle lumière ici. Merci, Ambre…
Merci à toi pour tes mots toujours si beaux que tu partages ♡