Dimanche 19
Il pleut, enfin ce n’est pas ça, je veux dire le sol se mouille d’une chose étonnante et rarement vu ces derniers temps. Le phénomène est imprécis : le poulailler de mes beaux-parents est impraticable sans une glissade sévère (et merdique, si je puis me permettre), le jardin est sec sous les arbres.
Je lui pose la question, celle qui est dans mon esprit en permanence depuis quelques semaines – parce que j’en fais quoi, de la date. J’achète ou pas ? Je me fais plaisir ou pas ? Je lui, à elle ou pas ? Mais comment achète-t-on la joie lorsqu’on ne sait plus l’autre ? Pire, est-ce que je lui pèse à exister dans sa sphère (je me pose trop de questions). Plus je discute plus j’y vois clair – ce n’est pas sa réponse qui m’éclaire même si elle rejoint ma conclusion. Je suis fatiguée de porter la relation depuis deux ans et j’abandonne pleinement la chose au destin – étape suivante. Impression depuis quelques temps, de disséquer les strates des amitiés effondrantes (tout en restant à l’écoute de l’amie, lorsqu’elle apparait, parce que tant qu’elle est là, même à peine, je reçois en douceur). J’ai dépassé la tristesse, je n’ai aucune idée de ce que je ressens. Comme avec la colère, aucune idée. Je me suis aperçue que j’étais vide, ma mère ne me met pas en colère, S. ne me met pas en colère, J. ne me met pas en colère. Je ne sais pas si je devrais l’être pour R., je ne crois pas, je n’en sais rien – peut-être au moins pour le ratage phénoménal. J’ai de très rares manifestations émotionnelles si je parle des uns ou des autres, et cela arrive si je suis déjà épuisée, très douloureuse ou pas très bien psychiquement. Je suis pourtant assez souvent au bord des larmes pour savoir que ce n’est pas tant bloqué que mal posé, essentiellement, décalé sur ce qui devrait l’être (une forme de blocage, pourrait-on me répondre). Ce qui me fait parfois songer que je devrais m’occuper de chacune de ses personnes. Une à la fois. Et puis je passe à autre chose.
Je n’ai aucune idée de comment relier émotion vs personnes, encore moins personnes vs colère. Je n’ai aucune idée de ce que je vais trouver sous la colère, peut-être un tsunami à la hauteur de mes cauchemards récurrents d’adolescente. Elle m’a proposé d’écrire des lettres mais pour dire quoi ? Comment. Je ne sais pas si c’est plus difficile d’écrire aux morts qu’aux vivants, ils n’ont pas de droit de réponse – qui là, me mettrait à coup sûr en colère.
Encore que je serais bien foutue de me retrouver avec leur fantôme et de me prendre la tête avec.
Lundi 20
J’ai ramené les larmes sur un bout de papier recommandé (contre)signé, qui m’a valu de brûler la tarte à la compote d’abricot qui était dans le four et que j’ai oublié à la vue de l’enveloppe. Les voisins, l’arbre. Toujours les voisins, toujours l’arbre. Je pense que nous aurons la paix lorsqu’on le supprimera (l’arbre, pas le voisin, ne me tentez pas). En attendant, ils ont envoyé un duplicata à la mairie et à leur assurance avec réception accusée, maintenant eux aussi savent que nous avons un frêne de quarante ans à la clôture, de douze mètres a dit le voisin, estimation au doigt mouillé qui doit être proche, avec photos en couleur à l’appui (ce n’est pas le meilleur profil de l’arbre, on ne le voit pas bien). Leur demande : couper l’arbre sur la hauteur. Et dénonciation de pagaille broussailleuse. Plus que jamais, je dois m’occuper de ma colère-rage si je veux ne tuer personne – ce qui reste à prouver. Ma belle-mère, absolument consternée (les mêmes voisins se sont plaint de « leurs » grenouilles, ils ne semblent pas au courant que les grenouilles sont libres et protégées), m’a proposé son très bon avocat si nous devions en arriver là, c’est toujours ça.
Je ne suis pas en capacité de gérer un conflit.
LeChat est très zen, il compense ma très grande émotivité, de toute façon il devait s’en occuper (nous sommes dans la bonne saison pour tailler tout ce qu’on veut). Le pire étant qu’à force de couper l’arbre côté voisin (c’est son droit en effet de demander à ce que rien, jamais, ne dépasse), nous allons devoir aussi le couper du nôtre pour l’équilibrer (afin qu’il ne tombe pas chez nous, à force). LeChat a cette phrase, très juste, « la procédure, c’est l’arme des riches » (j’ai écrit « larme »… de circonstance).
Est-ce que nous pourrions expliquer à ce même voisin, avec accusé de réception contre signature et duplicata à la mairie et à notre assurance, qu’il a construit sans aucun permis, contre notre clôture et donc sans respect des 4 mètres réglementaires, une toiture illégale pour se faire une espèce de garage ouvert aux vents ? Nous pourrions. Mais on s’en fout en fait, nous, de sa vie, est-ce qu’il pourrait nous rendre la pareille ?
Mardi 21
Les nuages sont là, ce qui est à peu près tout. La terre est un peu humide, sans excès d’aucune sorte. Pas avec ça que les arbres vont s’hydrater. Dans quelle partie du monde est tombée notre pluie tout ce mois ?
Je modèle une citrouille en argile, masque un peu effrayant. La matière est difficile, je me demande si la porcelaine froide serait plus pertinente, plus douce pour mes doigts. Je n’ose pas lancer l’achat, c’est comme si me faire plaisir était un problème, parfois.
Il me reste trop de barbotine, je crée un alien sans forme, fripé, bizarre, pour rien. Pour le plaisir de faire une chose irréelle, pour le plaisir de créer une chose pouvant être jetée.
Pensée extrêmement fugace, tout fracasser.
Mercredi 22
Nuit sans sommeil, insomnieS où j’ai fait tourner mes amitiés passées présentes, mes choix et ceux qui ne l’étaient pas, les personnes que j’ai laissées derrière moi parce que ça n’allait pas mais franchement qu’est-ce qui va avec les gens, est-ce pertinent de fermer des portes alors que pratiquement personne n’est secure, est-ce que la solitude devient l’idée générale pour sauver sa peau. Est-ce qu’à force de dire non, il est attendu qu’il ne reste plus vraiment de personnes ? Je suppose. Précieuses celles encore là.
Je craignais, à tort, qu’il pleuve. Aucun souci avec la trottinette, pas une goutte sur la route pour me gêner – tant mieux, et tellement pas, aussi. Le bleu du ciel est revenu, illuminant les tapis de feuilles.
Jour 1 d’une discussion entre des morts et moi – Je commence doucement, avec la colère. Par entendre et comprendre que je l’ai refoulée. Je la sens à la fois lointaine et très présente, à me brûler la poitrine, tout le plexus, elle a toujours été là, finalement, ce poids je l’ai toujours eu. Une énergie bloquée, un couvercle scellé par-dessus ; est-ce que je peux y trouver une plus lourde signification de fatigue intense que la maladie elle-même, ou mieux, est-ce que la maladie ne s’exprime que parce que j’ai été fracassée et qu’il fallait que ça soit posé quelque part en dehors de moi ? Est-ce que je souffrirai moins si je gère la colère étouffée, est-ce que j’aurai une vie plus « normale », est-ce que c’est idiot d’y placer un bout d’espoir.
Jeudi 22
Jour 2 – je liste les injustices, les humiliations, l’insupportable, je liste n’importe comment, ce qui vient. Douleurs intenses dans la poitrine. Est-ce qu’il est possible d’aller au bout de tels déséquilibres sans y laisser des morceaux de soi encore debout par hasard ?
Je m’arrête d’écrire et le poids s’allège provisoirement, je prends la trêve pour ce qu’elle est.
Le soleil est réapparu entre les gouttes et l’odeur de champignon. J’ai étendu mon linge parce qu’il le faut, le vent terrible décoiffe le tissu, je crois que ça ira malgré l’humidité ambiante. Sauf que maintenant je suis comme le voisin mais avec un détail qu’il ignore, à chaque rafale j’ai peur que le frêne casse – ma colère-rage.
Vendredi 23
Jour 3 – identique au jour 2, essentiellement parce que je sature vite à écrire l’insupportable – qui ne l’est pas. Tellement, je n’en liste que deux. Le travail devient sous-marin, invisible et inquiétant. Lorsque l’angoisse est trop forte, je viens en écrire un autre. Comme une cisaille dans le tissu. Ce qui me fait saisir comme c’est bancal : ce qui ne va pas, ce n’est pas ce que j’écris mais l’angoisse qui s’exprime. Que j’écrive que ma mère m’a fracassée contre un mur n’est rattaché à rien, je gère moins bien l’angoisse que les mots posés qui ne me touchent pas.
J’ai conscience que cela donne l’impression que les mots posés générent l’angoisse et qu’il y a donc un lien entre les deux, mais rien n’est plus faux. J’insiste sur le fait que c’est décorélé et que le lien est là, mais ailleurs. Chemin d’émotions a recréer
– peut-être même y est-il question de choisir de vivre pleinement l’après.
Comme je le disais à Kalys, j’ai l’impression que je vais bien, et mon corps me dit que non pas du tout – j’imagine qu’il sait mieux que moi. Je me retrouve dans une situation étrange de « je n’ai rien à dire » faussée par l’incapacité à dire, et donc à écrire – ici. J’ai conscience que pour l’instant, je travaille quasiment à reculons et qu’avancer sur ce fil rageux va à l’encontre de mon bien-être présent illusionné.
Le chat de la voisine à la maison rouge l’automne nous observe, très inquiet. Il ne sait toujours pas que je ne peux pas l’approcher depuis le sol et je n’ose plus m’avancer pour le photographier de peur qu’il ne file. Le téléphone n’est pas fait pour la distance, mais pour attraper un regard dans le noir de la fenêtre, il s’en sort presque. Mais enfin, il ne sait pas dire comme il est troublant d’être observé par un regard brillant : deux billes flottant dans le noir.

Samedi 25
Pas de jour 4, journée trop remplie, c’est à peine si je suis chez moi.
Ma belle-sœur est arrivée avec ses enfants en bas-âge. J’appréhende le bruit, avant même la joie de leur présence.
Des moucherons ont éclos du compost pas suffisamment sorti de la cuisine (tous les jours, pourtant), envahissant depuis deux jours toutes les pièces de la maison (que nous avons petite). Kira a eu l’idée de mettre des épluchures dans un bocal avec un entonnoir de papier (ils ne savent pas sortir par un petit espace) : toutes les bestioles, en 24 heures, se sont retrouvées enfermées dedans, libérant la maison. Il n’y a plus eu qu’à les relâcher dehors.
Une idée pour piéger les idées noires…?
Entre deux épisodes d’une série sur un hôpital et ses urgences, étrangement apaisante, nous parlons colère, émotions et déconnexion. Il souligne que je pourrais peut-être aussi lister les moments où je pleure en décalé, comprendre ce qui déclenche. Quelle force appuie sur quoi. Je vais devenir une liste sur pattes – je saurai peut-être enfin ce que je suis, dessous.
Il a dit, aussi. Il faudrait peut-être crier. Je crois qu’il voulait dire, hurler
– à s’en déchirer.
tu te vois déjà attendre le déchirement



tu as construit ta maison
tu as emplumé les oiseaux
tu as frappé le vent
avec tes propres os
tu as terminé seule
ce que nul n’a commencé
– Alejandra Pizarnik – œuvres
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Ouh ça va directement dans mes playlists ça, Valravn ! Merci !
« Dans quelle partie du monde est tombée notre pluie tout ce mois ? » Je dirais à peu près partout ailleurs, on est rentrés de Toulouse sous des trombes d’eau, quasiment tout au long du trajet 😀
« Il faudrait peut-être crier. Je crois qu’il voulait dire, hurler »
C’est mon rêve, ça, de trouver l’espace et le lâcher-prise pour, enfin, hurler.
J’adore Valravn, et l’album « Koder på Snor » me touche particulièrement (je l’écoute beaucoup en ce moment). Mais la chanson du même nom, je la préfère (de très loin, même si très belle aussi) remixée sur « Re-Cod3d » (c’est quoi, ce nom…) (album que j’adore de toute façon, parce que plus rythmé).
Ah bah voilà. C’est toujours ailleurs, maintenant ^^’
Je comprends. Si je n’avais pas si peur pour mes cordes vocales, je chercherais un lieu…
J’ai ajouté les deux albums sur Spotify, merci 🙂
« Je pense que nous aurons la paix lorsqu’on le supprimera (l’arbre, pas le voisin, ne me tentez pas). »
J’ai esquissé un rire, ravie que l’humour soit toujours là, même noir, même au milieu des idées noires.
« Kira a eu l’idée de mettre des épluchures dans un bocal avec un entonnoir de papier (ils ne savent pas sortir par un petit espace) : toutes les bestioles, en 24 heures, se sont retrouvées enfermées dedans, libérant la maison. »
C’est brillant ! Je ne savais pas, je garde ça dans un coin de ma tête pour les fois où la poubelle se remplit un peu trop lentement dans la cuisine.
L’humour, même noir, sauve des vies 😛
N’est-ce pas ? Cette jeune personne m’épate. Pense juste à fermer ta poubelle au moment du bocal, pour qu’ils se dirigent vers lui !