Jeudi 2
La prise de la salle de bain ne fonctionne plus, je m’en aperçois au moment de lancer une machine. Contacté, l’électricien répond « ça doit être un hasard » mais il se déplace pour voir ce qu’il se passe. Tout de même. Je ne connais pas de hasard, jamais, ça n’existe pas. Ils sont venus jouer dans l’électricité, un truc ne fonctionne plus, l’évidence du lien… Au final, ils avaient mal resserré un fil au tableau. Nous n’avons pas reparlé de hasard.
Parce que je lui parlais écologie et contradiction de cette fichue climatisation installée (qui nous servira au mieux deux semaines en été et trois en hiver), il m’a dit « si ça peut vous rassurer aucun gaz ne s’en échappera » et, a-t-il ajouté pour appuyer son propos « mais s’il y avait un souci elle s’arrêterait immédiatement de fonctionner et nous, on viendrait récupérer ce gaz, on est équipé pour ». D’accord. Une fois qu’il serait trop tard et qu’il y aurait eu échappée, il viendrait. C’est ce que j’entends mais je me tais. Il n’y est pour rien si nous venons d’installer notre contradiction au mur.
Je profite de l’immense pagaille pour revoir le salon. Longtemps que j’y pense mais que nous n’avons ni le temps ni l’énergie pour un chantier de cette ampleur. Nous nous battons avec des meubles non adaptés, mon créatif qui prend tant de place, la petitesse de la maison, mais surtout, surtout, avec tout ce bric-à-brac qui tente de palier l’attente des meubles définitifs. Un jour nous serons riches d’argent comme de temps, et nous aurons une maison terminée. En attendant, nous jonglons avec ce qu’on a. Et de temps en temps on déplace en se disant que « ah c’est bien là comme ça, c’est vraiment mieux, on respire » – sur ce principe, on changera de nouveau dans six ou douze mois. Je crois que je garde ça de mon enfance, ces meubles que ma mère déplaçait tous les six ou douze mois justement, qui me faisait me cogner en permanence parce que je n’enregistrais pas la nouvelle disposition. Étrange, un peu, de perpétuer ce qui me blessait.
Je me retrouve face et sous la fenêtre, insupportablement dos à la pièce – mais comment gérer autrement.
Replacer les plantes à la suite de ce chambardement n’a pas été une mince affaire, l’une d’elle a atterri sur le frigo, d’autres dans la bibliothèque. Dehors, j’attache le carillon en bambou qui a perdu sa place à l’entrée, il teinte de graves.
Je regarde ce petit terrain d’arbres, toute cette verdure, c’est doux.
Je retrouve même des trucs égarés, des qui ne servent à rien mais que je garde précieusement. Comme cette clé. Elle ouvrait la cabane que mon grand-père m’avait fabriquée enfant, et que ma tante-marraine a brûlé, elle la gênait – sur l’immense terrain d’herbe la toute petite maison gênait. Feu que je lui avais refusé – pas comme si j’évais une parole qui portait, dans la famille. Au moins suis-je toujours l’heureuse propriétaire de la clé de mon enfance.


Corail n’a pas apprécié les hommes immenses venus travailler, la bousculade du salon, le boucan infernal, le changement de place des meubles, le miroir posé au sol. Sur ce dernier, elle s’est terrifiée toute seule. Là où elle se sentait en toute confiance chez elle, un chat roux et blanc est soudain apparu, s’est gonflé de toutes parts, a craché après elle et elle a dérapé comme une furie, complètement paniquée. Le tout en à peine deux secondes. Elle nous a fait de la peine à être aussi stressée.
Elle ne vient plus chercher les caresses, elle dort, en boule nerveuse, dans son carton – elle a mis 36 heures à s’apaiser de tout ça.
Là où on a bien ri, c’est lorsque Kira s’est levée hier matin sur la pagaille, juste avant les travaux : les autistes sont des chats. La tête épouvantée qu’elle a fait – en vrai, je comprends et compatis. Mais. Un vrai chat.
Nous reprenons une nouvelle photo pour la carte d’identité de Chouette, la précédente ayant été refoulée pour cause de flou, est-ce qu’ils savent comme la vie est floue de toute façon, comme ça ne sert à rien de le refuser, qu’il reviendra toujours nous hanter ? L’administration est carrée, pas de flou dans ses papiers – déni profond.
Le photographe recommandé (pour la qualité des photos) par la Mairie est une porte, on se le prend de plein fouet avec ses mots un peu cons, son allure droite choquée d’on ne sait quel outrage, il nous prend de haut – mais pourquoi – mais enfin il fait la photo et c’est tout ce qu’on lui demandait. J’achète une tartelette citron meringuée parce que le sucre et elle est délicieuse, je compense toutes les failles devant moi. À la mairie, on tombe sur une autre personne et elle n’est pas aimable, heureusement j’ai encore le citron sur la langue. La précédente, celle qui m’a appelée en Espagne et avait constitué le dossier, celle qui genre au féminin alors que nous n’avons jamais rien dit, cette femme pallie la non-aimable en se mêlant à nous, retrouve notre dossier, nous offre plein de sourires. Alors LeChat va la voir, il abandonne notre box parce que d’elle on ne tirera rien, et il pose des questions. Comme, est-ce qu’on peut faire un changement de prénom avant la majorité, même si le genre n’est pas en adéquation (puisque là, c’est la majorité). Elle passe de collègue en collègue jusqu’à trouver le presque adapté, lui il gère les noms de famille, il dit « si vous avez les cartes d’identité avec vous je m’en occupe tout de suite » mais justement, on n’a pas, alors il insiste, il dit à sa collègue sympathique « dès que tu as leur dossier tu me les envoies je m’en occupe, tu ne le fais pas passer par… » et il ne termine pas sa phrase mais ils se sont compris. Il dit aussi, appelle Vanessa pour plus d’informations. Et Vanessa, elle dit non, qu’il faut passer par la mairie du lieu de résidence ou de naissance. Ça sera donc de naissance parce que comment vous dire. Petit village.
Si vous saviez comme ça fait du bien, des personnes aussi profondément humaines.
Vendredi 3

J’ai si froid, l’automne me glace. Je me fais un thé à l’orange, je me recale lentement dans une émotion plus douce. Depuis la nouvelle disposition de mon espace, je plonge les yeux dans les arbres et j’oublie tous les effondrements existants. À la plus petite pensée furtive, je lâche l’écran, impossible de me concentrer ; la faute aux oiseaux dont le moindre mouvement m’attire. En quelques minutes, des vies entières défilent. Une fauvette à tête noire ne tient pas en place dans le romarin, tout un spectacle, je retourne à l’écriture lorsqu’elle disparait à mes yeux. Une abeille tente de passer la vitre, elle me fait tellement de bien à juste la regarder vibrer, je reprends le stylo. Une autre fauvette se pose une seconde presque à portée de main s’il n’y avait la vitre, sautille de tige en tige sur le prunus, s’échappe, je peux écrire. Une abeille solitaire se balance sur une fleur de la Ruine-de-Rome (Cymbalaire des murs), instant d’une grande douceur. L’écureuil passe telle une comète, il saute du peuplier à l’amandier, de l’amandier à l’olivier, de l’olivier au frêne et là je le perds, végétation encore trop touffue, j’écris mais exaltée. C’est exactement ce dont j’avais besoin, un retour à la nature ou à la vie, à la beauté du monde – au silence du monde.
Je sens que je suis moins occupée, l’angoisse pointe, elle me rappelle que ça ne va pas si fort et je ne suis pas en capacité de creuser (oui enfin, il n’y a pas besoin d’aller loin non plus). Je mets la musique sur mes oreilles, peut-être un peu trop fort, juste pour la terrasser. En boucle.
Samedi 4
Je pleure, répondre me prend tout.
J’appelle ma grand-mère là-dessus, avec le cœur au bord des lèvres et des larmes encore dans la gorge. Est-ce que tu vas bien ? Oui mamie, tellement.
Dimanche 5
Il dort contre le chat, il rattrape la nuit de travail non-stop et l’enchainement à la suite. Cela reste une histoire de corps engourdis et de silence . je bois du thé, la tête ailleurs. Je réfléchis à cette histoire de colère. J’écris j’efface j’écris. J’efface. Je sens que j’en viens à vouloir effacer tout le blog, j’arrête – je crois que j’aspire à une certaine légèreté qui n’existe pas en moi.
Nous partons à la fête médiévale, qui nous ennuie profondément. Je crois que nous avons changé. Si nous apprécions toujours autant les superbes costumes croisés, nous gérons très mal les animaux en cage (oies,…), en laisse (des chiens qui n’étaient pas des loups mais y ressemblaient) et les armes tels les canons, les flèches, les épées ; tout ce matériel pour s’entretuer nous sort par les yeux. Un homme nous attrape et nous explique tout sur les flèches, leur emploi, leurs formes et que la troisième là, à la guerre elle coupait les jarrets des chevaux. Mer.ci. Nous sommes trop bien élevés, et lui trop alcoolisé.
J’apprécie par contre les métiers manuels exposés, comme cet homme qui tresse des paniers avec de larges bandes de bois tendre, ou la potière qui me fait mille fois envie avec ses mains dans la terre et le tour de potier qui tourne comme une toupie – dans une autre vie, celle où je ne suis pas danseuse, je suis évidemment céramiste. Je crois que si je réfléchis vraiment, j’ai trop de d’autres vies éloignées de l’actuelle. Mais si je tente d’envisager ce projet, je sens que c’est trop gros pour moi. Comme si je n’étais pas capable. De rien.



Lundi 6
Je suis faible, je suis retournée sur l’actualité. Pour lire que la démocratie avait encore quitté la conversation, d’abord en nommant des ministres précédemment éjectés, ensuite par une démission de ce même premier de la classe indésirable, qui sauve sa vie politique en ne restant pas collé au président tout autant indésirable. La démocratie devrait démissionner, de manière officielle. Afin d’être raccord. Je pense à tout ça, et puis une mésange me distrait, une deuxième se pose, elles sautillent sous mes yeux et très vite je ne pense plus à rien. Je me perds dans les arbres, il n’y a sans doute rien d’autre de juste.

Je continue de cogiter sur la colère. Je me dis que pour faire le point, un rêve, ça serait bien. Et je ne sais pas pourquoi, mais je le ressens si fort, ce questionnement a un tel impact sur ma légitimié, pour ne pas dire l’intérêt, d’écrire ici, pourquoi est-ce que ça remet en cause mon écriture. Impression que cela dépasse le cadre, que je suis moi, toute entière, sur la sellette.
Après l’anglais et parce que je n’arrive pas à dormir, je me lance dans Le ghetto intérieur avec la sensation qu’avec un titre pareil, cette lecture était exactement faite pour moi en cet instant précis.
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Se perdre dans les arbres, c’est tellement ça et tellement juste…
Et oui, heureusement il y a encore des personnes bienveillantes dans ce pays <3