Mardi 7

Il y a ce rêve, la rivière qui me coupe la route, et la tristesse qui me submerge dans la journée comme si j’allais me noyer sur le chemin, il y a cette voiture qui ne peut plus avancer à cause de plaques de fer enfoncées dans le sol et je comprends comme je me suis fourvoyée, comme j’ai empêché ma colère-rage de s’exprimer. La solution parfaite d’un jour, peut ne plus l’être ensuite. Aucune idée de comment la gérer.
Je ne savais pas qu’on pouvait laisser tomber des choses depuis ses doigts. Nous terminons le puzzle toutes les trois. L’acte me soulage de quelque chose que je ne saurai pas définir. Comme mettre fin à un corps qui pèse trois tonnes et le balancer par-dessus le vide. Dis-moi ce qu’il en restera demain.
Il lui manque une pièce, sur un bord. Elle m’a rendue dingue, cette absence. Elle renvoyait à un ensemble complètement faux, comme si chaque pièce recherchée pouvait manquer à son tour. Le défaut de l’une était le défaut de toutes. J’avais entre les mains 999 pièces qui pouvaient ne pas exister. Suspicion sans limite d’absences répétées.
Il aura été fait à huit mains, mais surtout par les miennes. J’hésite à en reprendre un autre…

Mercredi 8
À la fripe, c’est une matinée bousculée qui se met en place. On reçoit un énoooorme sac de vêtements aux poils de chiens collés aux tissus et l’odeur qui va avec, une sorte d’humidité canine. Personnellement, je ne sens rien, depuis deux jours je suis enrhumée. Et depuis cinq, j’ai des lames de rasoir dans la gorge mais maintenant que le rhume a débarqué, je n’ai plus mal (même si j’ai la voix qui fait des pirouettes), et là tout de suite, je suis heureuse de ne rien sentir, visiblement c’est épouvantable. On jette tout.
Il est 10h35 (Maa me demande l’heure, c’est la deuxième fois à trois minutes d’intervalles, pressée que mon alarme sonne 11h pour qu’elle parte, ce qui ne lui ressemble pas du tout) lorsque le téléphone sonne pour Mélusine : sa mère a été hospitalisée dans la nuit en urgence. Il est donc 10h36 ou disons 10h37 peut-être, lorsque Maa, prise de vertige, vomit. Je ne peux même pas dire plusieurs fois, elle ne s’arrête plus. D’un côté il y a Maa malade et de l’autre Mélusine qui n’a rien réalisé qui me parle en même temps qu’elle raccroche et que je ne peux pas prioriser. J’appelle le foyer en urgence pour qu’ils viennent la chercher. J’écoute Mélusine, qui me dit fataliste, « ça ne sert à rien que j’y aille ils ne me laisseront pas la voir », qu’elles ne sont pas proches, que son enfance a été dure, elle s’occupe de sa mère c’est tout – ce n’est jamais tout. Maa continue de vomir. Sa référente, arrivée entre-temps, attend patiemment qu’elle se sente de se lever, et nous discutons pendant ce temps. Des maladies. Qui circulent. En ce moment. « Au moins ce n’est pas le covid » nous dit-elle. Et de décrire Frankenstein et ses symptômes. Les miens. Je me sens un peu blêmir, j’ai été très légère dans ma manière de traiter le problème… entre les personnes âgées avec je travaille et Maa plus fragile du fait de vivre en foyer, je dois être plus attentive à ne pas venir lorsque je suis malade. Je pensais tellement à une angine (d’accord, carabinée comme je n’avais jamais vu) et un vague rhume, je me suis contentée de me tenir à distance des autres. Et à attendre que ça passe.
Étrangement, ou pas, de réaliser que je ne m’écoute pas sur la santé, l’après-midi me trouve à dormir, écroulée, sur le canapé, le chat collé à moi.
En fin de journée je coupe colle écris dans mon carnet, je dessine même vaguement – le dessin est vague. Je réapprends à m’investir dans la création, à lui laisser de la place. C’est peut-être bien de ne pas reprendre tout de suite un puzzle, d’un côté il m’a permis de libérer du temps et de l’autre il m’empêche de créer autre chose que lui. Je crois qu’il est arrivé par hasard jusqu’à moi, exactement lorsque j’en avais besoin. Et que je peux juste faire autre chose, maintenant.
Jeudi 9
Nous terminons le bloc d’argile, c’est notre premier. Nous l’avons usé de citrouilles, de fantômes, de champignons, de saison depuis la fenêtre. J’ai l’impression de mal gérer, de ne pas savoir en tirer une véritable forme, de ne pas savoir. De foirer ce que je fais. Il y a cette voix qui me dit, tu sais, que je devrais arrêter, que je gâche la matière, mon temps et mon argent. J’ai décidé de me foutre de la voix qui ; je crois qu’il s’agit de celle de ma mère, raison de plus pour l’emmerder. Pour l’instant, je ne peux rien contre l’impression de ne pas réussir. Au moins puis-je faire comme si ça n’était pas grave.
Kira choisit le vernis mat, donc je prends le brillant pour voir la différence – pour le contraste flagrant sur deux objets identiques. Les deux ont leur avantage. Le mat offre un aspect plus réaliste, le brillant crée un objet de vitrine.

Vendredi 10
Je n’ai pas encore petit-déjeuné. Je libère dans la fraîcheur du matin, une mouche d’un type étonnant au corps long et fin perdu dans la maison, lorsque mon regard est attiré par ce que je crois être un écureuil dans le mûrier, mais non, un oiseau sautille à la place. J’ai le regard levé, je le vois donc arriver droit vers moi. Il est assez petit pour un rapace. C’est à peine si j’ose respirer… un épervier d’Europe se pose dans le frêne, juste au-dessus de ma tête ; nos regards se croisent et il repart aussi vite qu’il est arrivé, le tout dans un très grand silence.
Je prépare une tarte à la rhubarbe, régression totale jusqu’à la cuisine de ma grand-mère – qui elle, travailait avec de la rhubarbe fraîche de son jardin. Elle découpait des morceaux de tiges qu’elle cuisait comme une confiture, je n’ai jamais mangé meilleure tarte (ni confiture). Je ne comprends pas les tartes avec des morceaux de tiges, ce n’est pas possible d’apprécier ça, si ? On m’a offert un pot de confiture maison, j’ai eu tellement, tellement, envie de ce plaisir ancien.
Si vous devez attraper une mante religieuse pour la sauver des griffes de votre psychocat, je vous conseille les gants. Ou un bâton. Enfin quelque chose entre vous et les petites épées de la mante, qu’elle a au bout de ses pattes. C’est comme s’enfoncer de petites épines d’un rosier, et que chacun de nos mouvements enfoncent encore plus loin les pointes épées dans la chair. J’ai galéré pour m’en défaire, et ça fait très très mal.
Samedi 11
Le matin nous faisons nos courses et un passage à la médiathèque : c’est un crime, mais je repars sans livre.
J’ai tellement de plus en plus mal aux points d’appui, je propose un changement de lit avec effet immédiat : nous repartons sans les enfants cette fois. Et c’est avec délectation que nous nous allongeons dans un tas de lits qui n’est même pas le nôtre. Nous emportons un matelas, un sommier (j’ai eu un peu honte, je n’ai pas parlé de nos palettes en bois) et, bien plus improbable, deux oreillers (le vendeur est doué). Sérieusement, qui peut résister à un coussin en presque x qui épouse ton épaule, ta nuque, tes rêves ?
Je reçois un texto : la mère de Mélusine est morte, elle ne viendra pas avant un moment au tri, le temps de s’occuper de tout ce qui doit l’être. L’annonce me met les larmes aux yeux, je me demande de quels échos elles sont faites. Est-ce qu’il y a vraiment de la tristesse dans toutes les morts de toutes les mères.

Dimanche 12
Le matelas choisi est mille fois mieux et change la vie pour nos corps à l’un comme à l’autre. J’ai tout de même mal dormi, mais c’est juste moi, depuis quelques semaines je dors de nouveau à la surface. Je sur-veille.
En jetant le futon dehors, j’ai la sensation de jeter un peu plus une ancienne vie avec une ancienne personne, d’acter plus loin. Nous l’avions acheté je me souviens, parce que nous en avions testé un chez lui. Étrange, les liens entre les objets et les gens.
LeChat nous cuisine des hamburgers assurément délicieux, je me dis parfois qu’il devrait ouvrir un restaurant (mais il sait rarement refaire le même plat).
Ils partent à la patinoire à 40 minutes d’ici, je reste à la maison. D’abord parce que je ne m’expose jamais volontairement au froid (très mauvais pour mes douleurs), ensuite parce que mon épaule est un véritable problème fortement douloureux que je vais éviter d’empirer. À peine la porte fermée sur eux, je me lance dans un projet un peu ambitieux à ce stade (tentative d’un cadeau pour Kira) : après tout, jusque-là, je n’ai modelé qu’un champignon trop fin, une citrouille pas mal et un panda raté. Techniquement pas avec ça qu’on pense réussir une figurine d’un jeu vidéo, mais je fais comme si je ne le savais pas et je prends mon bloc d’argile. Et je chouine un peu. Le propre de cette argile est de sécher à l’air libre, et je mets deux heures à modeler à peu près mon slugcat : c’est.n’im.por.te.quoi. Les bras sont trop fins, et malgré l’armature que j’ai tenté de glisser, c’est casse-gueule et donc extrêmement fragile. Pour pouvoir continuer à travailler, je dois sans cesse mouiller le corps, ce qui le rendra d’autant plus fragile lors du séchage (trop d’eau amène des fissures). Je n’ai pas de solution miracle, je fais de mon mieux dans le peu de temps imparti et ça ressemble vaguement à la bestiole prévue. Je comprends pourquoi il faut une argile polymère pour les sculptures, c’est impossible à gérer avec de l’argile autodurcissante. Résulat, il n’est pas suffisament rond au niveau du ventre, les bras sont bizarres, les pieds ne vont pas non plus. Je suis trop inexpérimentée et je n’ai pas la bonne matière.
Je vais acheter une minuscule disqueuse pour la rendre lisse. Et puis la peindre. Je poserai le verdict à ce moment-là.

le bâton est provisoire
Est-ce que je cherche à tout retenir ? Le soir mes mains ne serrent plus, ou n’apprécient pas de desserrer, au choix. J’ai pris la casserole moins de trente secondes. Le temps de me servir et de la reposer, mes doigts sont restés figés sur le manche. Cette fois j’ai réussi à empêcher la crispation totale, la tétanie débutée me fait pourtant souffrir atrocement. J’en ai pour des heures à retrouver la fluidité de mes mains – cinq, habituellement.
– edit : au matin lendemain, les mains restent figées douloureuses dans toutes les articulations et l’épaule souffre plus vivement.
est-ce que je peux créer avec de l’argile de tels projets, sans m’y blesser, impression que non.
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J’ai découvert les symptômes après coup aussi et j’ai un peu culpabilisé d’avoir mis des gens vulnérables en danger…
Je crois que c’est bien de se foutre de la voix, de pouvoir le faire en tous cas, parce que parfois on aimerait mais la voix est plus forte et on lâche – surtout que c’est très réussi!
Les symptômes changent tout de même régulièrement, c’est dur de réaliser que ça vient de là :/
J’essaye de la faire taire, je ne réussis pas toujours mais punaise j’essaye !
Merci c’est gentil 🙂
J’ignore si c’est parce que je n’ai pas le référent, mais je la trouve chouette, cette dernière figurine…
Elle n’est pas si mal, mais en séchant les micro fissures se sont accentuées fortement. Cette matière n’est pas idéale pour de grosses structures, encore moins pour des choses fines (comme les bras).POur l’instant je ne sais pas quoi faire pour l’améliorer.