(mardi 16) Je raconterai les vacances, mais plus tard, lorsque j’aurai réaligné les particules de toute moi. J’enlace la fatigue avec retard, je tombe dans l’écueil des vacances qui te tuent au lieu de te ressourcer. Je lis d’ailleurs l’article de Eliness avec beaucoup de rires en moi et un brin d’envie : je n’ai aucune idée de ce qu’est un séjour où on prend soin de toi. L’écolo en moi se fait la malle à lire ce mail lunaire sur le choix de l’oreiller, je veux le même, merci, et d’ailleurs j’en veux un plat pour dormir, un plat pour caler mes genoux douloureux et un moelleux pour tenir dans les bras, toi et moi on va bien s’entendre, madame, surtout si tu as une couette légère et moelleuse elle aussi. Je ne vais pas me plaindre de là où j’ai dormi toute la semaine, non, encore que j’en serais en droit vu les conséquences hallucinantes, mais je dois l’avouer, j’envie un brin l’affaire – vous comprendrez bientôt. Est-ce que je pourrais en pleurer ? C’est possible. Pourtant c’était génial et je ne regrette pas le périple, l’ambivalence, toujours.
Commençons par l’arrivée-retour en France, même s’il va manquer des informations..
Pour le reste, ça va prendre du temps, j’ai 2794 photos à trier depuis l’appareil.
Vendredi 12
Nous avions prévu de nous rendre sur Las Siete Calles, de vieilles rues dans le centre historique de Bilbao, sauf qu’on est cuit. Impossible de se lever, de bouger, de marcher plus loin que du lit au canapé. Les sept rues ne seront pas pour nous. Je suis plongée dans un mélange de vague tristesse et de forte fatalité. À midi nous quittons l’appartement pour un retour vers la France. C’est la première fois que je quitte des vacances avec ce besoin intense de rentrer chez moi, dans mon calme, mes odeurs, ma nourriture, mon lit, mon silence, ma vie.
La fin du périple nous coûte. Rapidement la veille, LeChat a regardé la route de retour en mode « ça va le faire ». Trois minutes expédiées. D’après le GPS le plus connu au monde, nous aurons 3h15 de route en passant comme à l’aller et 3h30 en passant au-dessus des Pyrénées. Je ne vois pas comment c’est possible mais l’objection reste au fond de la gorge : je suis épuisée, je fais confiance. Va pour traverser les Pyrénées à travers la montagne si le timing est le même.
Nous partons sans nous presser, nous faisons même une halte de 45 minutes au bord d’un lac pour manger, on a la vie devant nous. Le GPS nous voit arriver à 15h30, et nous sommes attendus pour 19h, on a le temps. Ma belle-sœur a de gros ennuis de santé, et on ne veut pas peser sur elle, donc nous visons un voyage hyper zen et élargi dans les pauses afin de laisser le temps à mon beau-frère de rentrer du travail. Une sorte de continuité de visites de l’Espagne nous attend, depuis la voiture.
Le temps hésite entre la pluie et la grisaille sombre, se tient dans cet entre-deux. Il fait assez froid, on mange en marchant un peu. Le lac est artificiel, résultat d’un barrage.



Il est désormais 16h, nous sommes toujours côté espagnol. Sur la route, je vois un panneau indiquant la frontière, « Francia 84 km » et le GPS nous dit que nous serons arrivés chez mon beau-frère dans 77 km… quelque chose cloche fortement. LeChat ne réagit pas du tout, mais moi je tique, il est utopique d’arriver en France dans 77 km en étant toujours en Espagne. C’est comme ça que je réalise que le GPS nous raconte n’importe quoi et nous fera arriver en réalité à 20h30. Nous mettrons au total 8h30 de voyage, je suis au bout de mes capacités et prête pour le premier craquage venu. Il va se présenter sous la forme d’un tunnel, celui traversant les Pyrénées. Si nous sommes là, c’est parce que LeChat veut les traverser par le dessus de la montagne, et un choix s’offre à nous : par le tunnel ou par le dessus (aucune information sur le délai supplémentaire et pas le temps de réfléchir). Je suis une personne de bonne composition, je m’adapte à beaucoup de choses, mais j’ai atteint ma limite par manque de sommeil, manque d’oxygène, trop d’exercice physique (station debout, manque du fauteuil roulant, beaucoup de marche, corps douloureux à l’extrême, perte du CBD quelque part) et une saturation sonore, visuelle et olfactive. Il est dégouté mais opte pour un tunnel sans fin, indéniablement, absolument, résolument sans fin, va-t-on y passer la nuit mais c’est quoi ce tunnel. Quatorze kilomètres de montagne creusée, nous sommes les nains de la Moria.
De mon côté, je pleure à peine mais je suis au bord d’un hurlement sans fin, c’est délirant d’en arriver là, quand même.
Quelque part en France, une bestiole noire apparaît sur Chouette, qu’elle arrive à coincer entre deux plis de son tee-shirt. Arrêt en urgence. Je lui demande de sortir de la voiture en maintenant bien la chose, LeChat refuse en disant qu’il peut s’en occuper comme ça, il est à la limite de ses propres forces et je ne bataille pas mais je trouve ça idiot. La bestiole s’échappe. Dans la voiture. Ou sur lui. On ne sait pas. À 19h25 je demande à Google Maps de me trouver une pharmacie ouverte, tout est fermé, fermé, fermé, encore fermé et oh, un « va fermer bientôt » s’affiche et on fonce à travers la petite ville avant la fermeture – 5 minutes. Il est 19h28 quand il entre, la pharmacienne est adorable, elle ferme juste derrière nous et nous repartons avec un produit pour tuer des parasites, environ au nombre de deux. On ne sait plus à quoi il sert en réalité, à nous apaiser ou à tuer, va savoir, mais on l’a. On est à cran, dois-je le préciser ? On s’arrête sur le bord d’une route, des voitures passent et doivent nous regarder avec des yeux énormes : LeChat a pris le produit espagnol, un répulsif, et il asperge un enfant, un autre enfant, puis lui et me regarde, en attente, avec son produit à la main et moi qui pleure, debout, à côté de la voiture. Je suis une enfant comme les autres, j’ai trois ans, et je refuse d’avoir sur moi un produit qui va me tuer olfactivement, qui me tue déjà à distance. On abandonne, je ne peux pas. De toute façon, je n’ai jamais eu de bestiole noire MOI. Je tiens pendant l’heure qu’il reste, une écharpe et un pull sur mon visage, pour respirer sans l’odeur horrible de lavande – je déteste la lavande. Viscéral.
Lorsqu’on arrive enfin, ils ont la gentillesse de nous accueillir malgré la présence potentielle de bestioles et un risque pour leur poulailler. On fait une machine en urgence pour avoir du linge non contaminé pour le lendemain et ils nous prêtent des vêtements à eux (sauf à moi, étonnamment contournée par les bestioles qui me boudent, je ne me plains pas). Nous mangeons un repas divin et je lui pique sa recette de légumes au curry sucré.
On asperge l’intérieur de la voiture avec l’insecticide, ce qui va tuer aussi des araignées, des moucherons, tout un écosystème, ça me rend malade. Et on enferme nos affaires dedans, en dehors du sac de nourriture.
Le soir, nous dormons d’un sommeil lourd. Très lourd.




Il n’a pas bougé de mes bras pendant plus de 15 minutes


Samedi 13
Au matin, aucune nouvelle piqûre et c’est la meilleure nouvelle au monde. Nous discutons beaucoup avec Y. et sa femme Cille. Elle, est une créatrice incroyable, elle a de l’or dans les mains, quoiqu’elle tente elle excelle. Elle vendait fut un temps des lampes superbes qu’elle fabriquait à partir de calebasses, actuellement elle est dans l’argile. C’est ainsi qu’elle m’a montré comment faire la semaine précédente. Ma nouvelle passion, donc.



– les bords sont trop fins donc friables, tant pis –

Nous sommes attendus pour l’anniversaire du fils de la petite soeur de LeChat, il fête ses 18 ans, nous repartons donc à regret tant on est bien chez eux. Là-bas c’est chouette aussi, différemment. Je mange un gâteau-mousse au chocolat et une part d’une tarte au citron meringuée industrielle (que la mienne m’a manquée), je répète : je mange des trucs industriels pleins de lait et au goût discutable, sans réaction aucune. J’ai découvert en Espagne que l’allergie prenait juste un peu de temps à régresser et laisser la place à une non-réaction. Cela se lisse tranquillement, depuis un mois et demi. Là où je me serais attendue à un effet immédiat et donc très visible, le corps l’a géré petit à petit. J’ai donc bel et bien réglé un problème qui me gâchait la vie depuis des années (et même depuis l’enfance), que l’hypnose avait mis à la porte deux ans sans gérer l’origine, avant de me revenir en pleine tête. Voilà, je ne suis plus allergique aux protéines de lait de vache… Je dois avouer que chaque choix me portant sur du laitage me fait un peu stresser et que je n’ai pas encore résolu cette tension, j’appréhende la non-respiration possible. Seulement voilà, elle ne vient plus.
J’en pleurerais volontiers de soulagement.
Nous repartons avec Lutin·e, pour deux heures trente de route. Iel restera avec nous une semaine (et non deux, c’était trop pour iel), ce qui est un formidable exploit absolument dingue et merveilleux. Je savoure ce cadeau – c’en est un.
Dimanche 14
Au grenier deux ados parlent anglais, sur le canapé mon mari parle japonais… je suis dans un bain sonore qui me laisse à la porte et j’adore ça, ne pas comprendre. C’est reposant. Je bois mon premier thé depuis une vie entière il me semble – l’Espagne ne connait que le café et le cacolac.
Je lave les puces à 60° sous un ciel gris mitigé, la troisième et dernière machine de la journée sèche dans la maison.
Lundi 15
A.M. m’appelle, longtemps. Elle me prévient que l’équipe n’est plus vraiment là, que je serais seule mercredi avec Maa, qu’il y a un boulot dingue et qu’elle va passer poser des post-its sur ce qu’elle a fait mercredi dernier, qu’elle doit aussi me donner les nouvelles clés de la première porte, avant mercredi puisqu’elle est absente ce jour, j’ajoute que je ne peux plus porter du tout depuis la (nouvelle) hernie qui se met doucement en place côté gauche cette fois, elle dit d’accord tu ne portes rien rien RIEN (si je disparais même visuellement, est-ce que l’association tiendra plus de trois mois), elle réfléchit, elle dit « je vais passer à la friperie te poser à l’avance ce qui doit être mis, comme ça tu ne portes pas » et je suis tellement touchée de l’attention.
Il y a toutes ces choses à faire ici, des machines à enchaîner puis à étendre et enfin à plier (sept en deux jours, le soleil du Midi est formidable, même nuageux), bouger les épaules en douceur, des repas à cuisiner qui puissent passer la censure autistique de deux ados très différents dans leur complexité et impossibilités, respirer doucement, trier 2794 photos espagnoles, ranger la maison, préparer mon bureau à la nouvelle passion créative, tenter de glisser le puzzle une petite heure (et échouer), lire les mails en retard, tenter des réponses mais pas à tous, trouver un livre pour Blanche, l’envoyer, lire quelques articles de blogs éparses et trouver magnifique celui-ci, et puis s’arrêter. Et pleurer sur l’annonce de la mort de Christelle. Est-ce que les cœurs ont le droit de lâcher, juste comme ça, sans signe de la main. Que va-t-il arriver à ses deux enfants dont le cœur de leur mère s’est brisé sur rien. Je suis en hapnée. Je n’arrive pas à dire à mes enfants que le cœur d’une mère peut s’arrêter.
Je ne sais pas pourquoi je suis autant atteinte, je la connaissais si peu, la brutalité, peut-être, cet arrêt soudain d’une vie. Le soir LeChat me dit, j’ai mal là et c’est du côté du coeur, je tente de ne pas angoisser trop fort. Cela lui arrive, parfois, lorsqu’il est épuisé. Une alerte stress. Il faut juste qu’il tienne jusqu’en novembre. Quelle idée, ces vacances intenses…
Il n’y a plus de bestioles sauteuses, les deux restantes sont parties ou sont mortes ou pire, attendent dans un coin pour un jumpscare de tous les diables, on ne sait pas, mais « jusqu’ici tout va bien« . LeChat a compté, sur sa jambe gauche il a une cinquantaine de piqûre (autant sur la droite même s’il n’a pas compté c’était démoralisant, ainsi que sur son ventre, ses bras et un peu le dos). L’incompréhension est totale : je dors dans le même lit que lui, souvent contre lui, et je n’ai rien, même pas une piqûre. Complètement dédaignée – j’en suis ravie.
La fatigue me rattrape. J’ai étrangement tenu ces deux jours, et c’est comme si soudain je m’arrêtais et réalisais qu’on ne peut pas marcher sans jambes.
Mardi 16
Je suis arrêtée. comme un élan figé. La cheville n’avance plus, j’ai posé une orthèse. J’écris un peu, je joue beaucoup à Palia, je cuisine parce qu’il le faut, je câline le chat. Je tente de prendre des forces avant demain, reprise de la fripe. Et puis, surtout, je bois du thé.
J’ai oublié qu’elle viendrait. A.M. entre, elle m’annonce que finalement il y aura une ancienne avec moi, qui ne venait plus mais revient, Mélusine (j’invente les noms au fur et à mesure). Elle m’apporte surtout la nouvelle clé. Je regarde autour de moi, ma maison sale et en pagaille, je ne suis pas coiffée. Mais on s’en fiche, non ?
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. Photo : chez Mylène Gauthier
. Musique
I’m running somewhere
A thousand miles away from here, from you
Love is in the eyes of the animals
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Quel retour infernal ! Mais comment ?? L’adresse entrée existe-t-elle dans deux espaces différents ?
J’aime beaucoup ce morceau d’Hudea que tu me fais découvrir. Son clip plus encore ♥
Mince j’ai oublié d’expliquer ^^’ LeChat n’arrivait pas à obtenir un itinéraire par la montagne, il a donc posé une étape sur le GPS pour lui dire « je veux passer par là ». Le GPS a donc donné le temps pour jusqu’à l’étape, jamais le total du parcours. C’est tout de même mal fait… (on pourrait à tout le moins avoir les deux).
♥