Lundi 1
L’orage a terminé le meuble. Ce qu’il donnait en signes de faiblesse depuis quelques semaines, a chuté lamentablement sous les trombes d’eau et les rafales. Toute une vie trop lourde. Il s’est affalé sur les oignons perpétuels et le persil, totalement détruit. La place libérée est comme un soulagement dans l’espace, comme s’il respirait de nouveau, c’est assez étonnant et ce n’est pas la première fois que je le remarque : tout est toujours en trop, visuellement en trop. Il était il est vrai, absolument inadapté. Un vieux canapé et un tout aussi vieux fauteuil donnés par nos voisins, que nous avions détournés plutôt que jetés lorsque la fin s’est fait sentir. Il nous manque pourtant, désormais, quelque chose pour ranger les outils du jardin, les pots vides. Dans sa chute, il a entrainé l’hôtel des insectes que j’avais fabriqué il y a quatre ans avec des planches récupérées du chantier de la maison – tout le monde dehors, un peu, du coup.



Mardi 2
Depuis plusieurs jours je songe à appeler ma tante (un mois et demi sans se parler, et en général elle ne laisse pas passer un mois), et ça ne me plait pas d’agir ainsi mais je le fais par intérêt : je sens que sinon c’est elle qui va prendre le téléphone, et ça sera en plein durant mes vacances étrangères. Et je ne saurais pas l’expliquer, mais je ne veux pas lui en parler. Je garde en moi la beauté, est-ce si terrible ? Je ne partage pas, je garde les promenades, les soleils sur la peau, les fleurs et les oiseaux, les pierres sous les pieds, l’eau en vagues et les arbres en feuilles.
J’appelle donc ma tante-presque-gentille déprimée et l’appel est agréable, alors que je m’enfonce dans le silence avec ma marraine. Au-dessus de mes forces, la concernant, il y a un trop-plein de quarante-huit ans – advienne que pourra, je pourrai toujours ne pas décrocher et rappeler plus tard.
Et donc elle me dit les matins de marche, les nuits trop chaudes, l’angoisse de sa sœur pour leur mère qui devient la sienne par contagion, elle dit comme les amies sont loin et la voiture trop difficile, elle pose sa vieillesse dans mon oreille alors qu’elle est si jeune, encore. Je l’ai toujours connue vieille. Dans toutes ses lettres, elle a eu peur d’être vieille – est-ce qu’elle a peur d’elle, alors, maintenant ? Elle me parle de nouveau du covid, qu’elle a peur de sortir même si, elle me redit comme le monde s’enfonce et se détruit et cela me demande une énergie conséquente pour ne pas me laisser submerger – j’ai assez mal comme ça à l’humanité. Chaque fois que je tente de contourner nous y revenons, l’impression de tourbilloner dans les mots et de revenir à la noirceur du monde, encore et encore. Elle ne se relève pas d’être née. Je crois.
Je réalise, soudainement, comme plus un mot ne m’est parvenu de vous. Il faudrait que je cherche mais je crois, cela fait une semaine (sinon plus, en tout cas depuis le formatage) que j’ai oublié de réinstaller le feed Rss… ce silence… : 41 lectures de blog en retard. Seulement, j’ai envie de dire – merci. Je ne saisis pas comment j’ai fait pour ne pas m’en apercevoir avant. Je rattrape doucement.
Alors qu’on se promène loin, un geai des chênes se pose chez nous, dans un olivier – je n’y suis pas (je l’apprends à 22h, lorsque je regarde mon téléphone par hasard). Je ne l’avais pas emporté, ni l’appareil photo, je n’ai fait que marcher, discuter et profiter d’être là où je le devais. La lumière était automnale et un peu fraîche à l’ombre, chaude et sèche au soleil, complètement dissonante, on ne savait plus qui, de l’été ou de l’automne, était en train d’être – comment une lumière peut-elle être décalée dans le temps.

Mercredi 3
Je trie la vie de tissu des autres et tout le plaisir est là, entre mes doigts. Mais qu’est-ce qui peut bien me plaire dans ce travail ? Je trie, je range, je jette, je marche d’une pièce à l’autre, elle dit « demande à la cheffe » et je grimace je le tourne en boutade, tout passe par moi de nouveau et je décide alors puisque personne ne le fait.
Onze énormes sacs seront déposés ailleurs, trois vont à la déchèterie, douze ouvrages pour enfants partent en boîte à livres, quatre à la poubelle. Trois heures de travail ont eu raison de mon corps, je peine à rentrer.
Si la grève ne s’étend pas à la SNCF, à notre retour d’Espagne nous rentrons avec Lutin·e, pour deux semaines. Je croise. Cela inclut ses possibilités angoissées terrifiées autistiques, en clair, rien n’est encore fait de son côté.
Jeudi 4
Il y a TOUJOURS un problème informatique qui survient, le saviez-vous. Kira n’arrive pas à accéder à la suppression des photos sur sa carte SD depuis son pc, alors que sur le mien ça fonctionne – ça n’a aucun sens. La carte n’a aucun problème, ça vient donc de l’ordi. Je tente sans y croire de nettoyer la partition via Diskpart en administrateur et… ça marche, problème réglé. Un peu de fierté ne fait pas de mal, si ? – pas de quoi pavoiser en réalité, je n’ai fait que suivre des consignes depuis internet. J’aurais bien aimé que son problème de réinstallation de Windows soit aussi simple. Je trouve que son ordinateur commence à cumuler de gros problèmes, cette histoire finira à terme sous Linux…
Psychocat a encore attrapé un rat en pleine nuit (au moins je ne dormais pas encore), mais cette fois trop blessé et trop en état de choc pour s’échapper lorsqu’elle l’a posé sur le sol de la cuisine – tout de même, elle n’apprend pas… LeChat l’a pris dans ses mains, il ne bougeait plus. Ses yeux immenses et ronds étaient magnifiques, absolument bouleversants. Avec un regard pareil, impossible de le rendre au chat. On l’a placé sous un pot dehors, entouré de tout le tas de merdouilles effondré de feu l’hôtel à insectes. Avec pour choix de s’en sortir une fois remis, ou d’y mourir tranquillement — je ne tranche toujours pas, vaut-il mieux se faire croquer par un chat qui va jouer durant quinze ou trente minutes avec toi encore vivant et toute la terreur associée, ou mourir doucement quelque part en souffrant sans doute plus longtemps, je n’ai pas la réponse.
Edit : le lendemain matin, il n’y était plus et le chat le cherchait de nouveau lorsqu’on a soulevé l’ensemble. À priori, il est vivant et loin \o/ Il a déterminé la marche à suivre pour tous les autres, alors.
Vendredi 5
Une journée entière tournée vers le voyage à venir, des bagages et des préparatifs, un peu de nettoyage aussi – mais j’ai oublié de cuisiner des biscuits.
Partages
. Article : « 1984 », « Le meilleur des mondes », « La servante écarlate » : au Canada, l’autrice Margaret Atwood fait plier la censure qui visait des classiques de la littérature
. Podcast : Bookmakers littérature, Pennac (3 écoutes, voici le premier) : sur arteradio ou spotify
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J’ai lu cet article à propos de M. Atwood, ça fait bien plaisir !
Et longue vie au rat 🙂
N’est-ce pas 🙂
Elle ne se relève pas d’être née. Je crois.
C’est très beau.
Merci (et assez juste, je le crains)
« tout est toujours en trop, visuellement en trop » Maintenant que tu l’écris, ça me semble évident. J’y pense régulièrement pour le son/bruit, mais c’est aussi vrai du visuel…
« Je trie la vie de tissu des autres et tout le plaisir est là, entre mes doigts. Mais qu’est-ce qui peut bien me plaire dans ce travail ? » D’avoir pris du retard dans la lecture de tes billets et de les avoir plus ou moins enchainés, ça fait écho au passage (à propos de l’allergie au lait peut-être ?) où tu disais tenter de mettre à distance ce qui ne t’appartient pas et dont tu as hérité comme tien malgré toi. Peut-être que le travail à la friperie permet ça, symboliquement ? Un rangement mental mais palpable en manipulant des vêtements qui étaient à quelqu’un et ne sont plus à personne – mais qui sont quand même là, entre tes mains. Sinon, le plaisir de sentir le tissu et d’imaginer la vie de ceux qui l’ont porté, c’est en soi suffisant. 🙂
Bon voyage en Espagne, si nos commentaires ne se recroisent pas d’ici là !
« un rangement mental mais palpable »,oui très certainement en effet (c’est marrant parce que je l’ai dit presque ainsi à Blanche il y a quelques semaines, et puis j’ai oublié l’avoir dit), ça doit bien être pour ça que j’aime ranger, ordonner, trier. C’est apaisant. Et c’est plus facile à faire avec les affaires des autres ^^
Merci 🙂