Lundi 14
Je rêve de R., encore. Je ne sais pas si je ferme les yeux parce que je ne veux surtout pas le voir (ce que m’indique le rêve) ou s’il s’agit d’un très fort déni (c’est fort probable) – mais le déni porterait sur quoi ? Je doute qu’il s’agisse de lui – impression que ma mère est juste à côté de mon lit.
Quoi qu’essaye de me dire mon inconscient, je lui demande d’être plus clair.
Dans la journée, j’entends la voix de Zaho alors qu’il n’y a pas de musique, envoûtante, je ne me remettrai jamais de Ne te regarde pas que j’aimais déjà beaucoup et qui désormais se rattache à une expérience assez hors norme.
Je me remets, physiquement, doucement. J’ai moins mal que ce à quoi je m’attendais après cet après, même si la douleur est bien là. Je me repose et je lis.

Mardi 15
La nuit s’est profondément installée, LeChat ronfle à mes côtés et je travaille l’anglais avec une seule oreillette – nous discutions dix minutes avant et j’ai oublié de remettre l’autre, ensuite. Je m’arrête pour écouter la chevêche, revenue pratiquement sous la fenêtre, c’est un son incroyable. Cela me donne la sensation que les animaux sont présents par période, ici. L’écureuil ne vient plus, sans doute a-t-il trop chaud pour traverser les champs et forêts jusqu’à nous ? Maintenant nous avons une chouette invisible.
Je n’écoute pas longtemps, des chats feulent à quelques mètres alors je cherche Corail qui n’est pas dans la maison. Mais dehors. Le feulement numéro 2, c’est le sien. Je suis la fille qui sort en culotte récupérer son chat – heureusement qu’il fait noir. Mon téléphone dans une main pour y voir quelque chose, je tente d’avancer dans les broussailles.
Il y a clairement une bataille en cours alors je l’appelle et j’ai l’air maline, vraiment, je ne sais pas à quoi je m’attends mais je l’appelle et je suis donc la première étonnée de la voir venir à moi, abandonnant l’autre chat qui se calme donc aussi vite. Très tendue la petite, mais pas une égratignure. Je me demande comment va Charlie, du coup (je suppose que c’est Charlie, par rapport au lieu de discorde). J’espère ne pas voir débarquer sa maitresse absolument, résolument, agressive.
Edit : en fait si, Corail est pleine de petites croûtes un peu partout visibles tardivement au séchage de la chose.
La chouette relance son cri dans la nuit moins d’une minute après que je sois rentrée, je crois qu’elle n’attendait que ça, mon absence dans sa nuit.
Mercredi 16
J’ai rêvé que je retournais sur les lieux de mon enfance, chez mes grands-parents, à l’école plus précisément, une école aux bâtiments plus modernes qu’à mon époque. Elle fermait pour les vacances d’été, mais nous pouvions récupérer des objets qui nous avaient appartenu en rentrant des informations sur un écran devant la porte. Je me retrouvais avec tellement de peluches, c’était indécent, que fait-on avec tant de souvenirs ? je me suis mise à trier, ce qui était à moi et ce qui ne l’était pas, je séparais, je culpabilisais un peu, qu’est-ce qu’on fait maintenant avec toutes ces peluches entassées dont je ne veux pas est-ce quon peut les donner ou les laisser.
Quand il veut mon inconscient est très très clair.
Plus qu’à trouver ce qui ne m’appartient pas. Plus clair encore, cela serait possible ?
– au moins ai-je la période concernée.
Je tourne.
à lire si vous vous le sentez (cliquer)
Je tourne autour de l’enfant abandonnée, de deux enfants, d’elle et de moi. Elle avait cinq-six ans et j’avais six ans, des âges pratiquement identiques oubliés au loin, on ne sait plus la place de l’amour, on ne sait plus ce qui est abandonné finalement, l’enfant, le concept d’enfant, les difficultés de l’enfant, la haine de soi ou un ensemble puissant de misère noire.
Une grand-mère puis la pension – pour elle.
Elle a été virée de chez elle pendant que ses sœurs, plus jeunes et plus calmes, sont restées.
Elle a été déposée chez sa grand-mère paternelle pas le moins du monde maternelle, qu’est-ce qu’on peut bien faire d’un enfant en colère, d’un enfant qui bouge pleure hurle, elle était difficile tu ne sais pas toi comme elle était difficile me disait ma grand-mère pour expliquer le geste épouvantable. J’ai fini par le savoir avec Kira, oh je l’ai su tu n’as pas idée comme je l’ai su, mais j’ai gardé l’enfant et l’amour et toute la vie qui allait avec, j’ai mis personne à la porte pour que d’autres gèrent l’enfant difficile pendant qu’on gardait les deux autres plus jeunes. Est-ce qu’on se remet de cet abandon maternel paternel parental ?
La grand-mère n’aimait pas les enfants (mais vraiment pas, vraiment, vraiment vraiment pas), et la pension arrivée ensuite n’aimait pas les enfants non plus. Un soir, une sœur est venue la voir au réfectoire, elle lui a dit, ta tante est morte, et elle a laissé la gosse comme ça avec la nouvelle à digérer. Elle a appris la mort d’une jeune fille de quinze ans juste comme ça, entre deux plats. Je réalise soudain, à l’écrire, il y a sans doute un lien avec les repas du soir qu’elle ne mangeait pas, elle me laissait le soir manger seule dans la cuisine et j’étouffais de solitude. Je ne l’ai jamais vue manger le soir, en dehors de chez ses parents, et encore, du bout de la fourchette. Je crois. Elle disait, je n’ai pas faim, elle disait surtout « j’ai mal à l’estomac », je crois qu’elle avait mal à sa tante, Christiane est morte d’anorexie dans les bras de sa sœur (ma grand-mère), le traumatisme s’est installé à toutes les étapes, à toutes les générations.
– les femmes ne mangent pas, dans ma famille.
Dix mois plus tard (la même année, 1957) est morte son autre sœur, poussée dans l’escalier par son mari – on ne parlait pas encore de féminicide (cette histoire s’est reproduite plus tard avec la fille de la fille de cette femme mais c’est une autre histoire, justement, j’en parlerai peut-être un jour).
Je crois que je ne sais pas ce qu’elle a vécu dans cet abandon alors même qu’elle m’a abandonnée et que je sais. Je ne le sais pas parce que l’expérience est propre à chacune, je n’ai jamais été elle et elle n’a jamais été moi, ce qu’elle a ressenti n’est pas ce que j’ai ressenti, je ne sais pas comment on se met à la place d’une enfant qui devient sa mère, je ne sais pas l’injustice d’être évincée quand deux autres enfants restent, je ne sais pas l’horreur d’être détestée par son père et mal aimée par sa mère. J’ai été abandonnée par ma mère violente mais aimée par mes grands-parents et c’est même très exactement là que j’ai été sauvée. Que je suis allée à l’école, une école où cela se passait bien, où j’avais des ami.e.s, la seule école où je n’ai pas été harcelée. Le matin mon grand-père me faisait des tartines à la gelée de groseille, le mercredi j’allais en centre aéré avec une serviette colorée de poissons – ils travaillaient encore, puis mon grand-père a pris sa retraite, puis ma grand-mère, j’ai vu arriver les trois. Avant de rentrer chez moi, j’avais huit ans, un chez-moi qui n’existait pas ou plus ou n’avait jamais existé, un chez-moi où je n’avais pas de chambre à moi.
Chez mes grands-parents, « la chambre bleue » est devenue « la chambre d’Ambre » pour leur vie entière, même lorsque je n’habitais plus chez eux, même lorsque j’ai été adulte.
La différence de ce qu’on a vécu, l’une et l’autre, lui sautait tellement au visage, elle me le faisait payer très cher. Elle criait puis ne me parlait plus, méchante blessante harcelante. Elle nous agressait si j’étais dans les bras de ma grand-mère, et celle-ci disait « tu sais elle est juste malheureuse, elle n’a pas eu une vie facile » je payais pour sa vie pas facile. Je n’avais pas le droit en sa présence, d’embrasser ma grand-mère ni elle de me câliner, nous nous cachions chaque fois, je n’avais pas le droit de pleurer lorsque je les quittais, pas le droit de dire que je les aimais, pas le droit d’avoir envie d’y retourner. Je devais dire que je l’aimais, elle, ma mère, je devais dire que j’avais de la peine de la quitter pour les vacances, je devais le dire, elle me poussait à le dire, pour qu’elle puisse me répondre qu’elle ne me croyait pas. Je l’aimais pourtant, même lorsqu’elle me frappait, c’était ma mère, entre les coups c’était ma mère.
Est-ce qu’il y a quoi que ce soit qui me concerne dans ce qu’il s’est passé ?
Je ne suis pas certaine.
Je ne suis pas certaine non plus de savoir quoi faire des repas du soir où je ne sais pas cuisiner.
Je ne sais pas à qui je dois rendre quoi.
Jeudi 17
Mon appareil photo arrive en boutique et LeChat le récupère. Je le reçois avec détachement et perplexité, il est tellement léger je le cherche, je ne retrouve pas en main la qualité de Nikon (et pour cause, ce n’est pas un Nikon, première entorse difficile), j’ai l’impression qu’il va se briser à la première utilisation. Le poids intervient avec l’objectif Tamron (là au moins je me trouve en terrain connu), mais la perplexité revient lorqsue je pose le tout sur le bureau : l’objectif dépasse de l’appareil, l’arrondi se pose sur la table – le prévu imprévu. Très instable, l’affaire. Fujifilm, tu déconnes (ou alors c’est Tamron le responsable ?). Je fais cinq photos à l’arrachée pour dire que, je ne suis pas convaincue. Les couleurs sont belles mais le flou arrive vite si la lumière est basse et j’ai peur de ce que j’ai acheté ; l’apprivoisement va prendre du temps… je ne suis pas prête pour toutes ces concessions, il semble. En toile de fond, je suppose que je ne gère pas encore bien mes difficultés et la perte d’autonomie derrière. L’appareil n’y est pour rien (je vois très bien la mauvaise volonté à l’œuvre), je résiste sur mes pertes, je m’accroche encore un peu à ce qui a été.


L’enfant en supplément m’épuise, je l’adore et il m’épuise, ce n’est pas antinomique, juste de la folie. Dix milliards de questions à l’heure, dont 999 millions sont indiscrètes, deux semaines de tonnes de milliards de questions je suis en saturation, je ne vais pas m’en remettre. Je ne structure plus rien, j’oublie tout, j’ai perdu toutes mes notes sur tout, mon bureau récemment rangé me fait croire que tout est à sa place mais il n’en est rien, la pagaille me crispe, j’envoie à 22 h un message à Blanche tu arrives à quelle heure déjà qui l’étonnera tant il ne me ressemble pas, je suis au bord du bord de me briser. À 23h je file en courant chez mes beaux-parents qui rentrent du cinéma, pardon j’ai oublié de vous demander si vous pouviez garder Chouette demain je ne suis pas là, je le sais pourtant depuis un mois. Ils rient, ne réalisent pas comme je m’effrite, je ris aussi – parce que quoi d’autre.
Dans la journée je devais faire le pain, cuire les aubergines et en faire un caviar, cuisiner des biscuits, je n’ai rien fait, absolument rien, j’ai cette incapacité soudaine à me lever, cuisiner, bouger, la journée passe et le soir se profile, LeChat va rentrer à 20h30 dans le meilleur des cas, il faut un repas prêt, je n’y arrive pas, je mets toute ma volonté dans la projection d’une cuisson de quelques pommes de terre pour les manger au beurre et aux oignons perpétuels, il n’y a plus de pommes de terre et je m’effondre, la panique s’installe, je ne suis capable d’absolument rien, j’angoisse j’angoisse j’angoisse, mais qu’est-ce que les autres mangent, je ne sais rien faire, LeChat me guide à distance – quelqu’un a pris les commandes et je peux cuisiner et pleurer
– ma vie est le plus grand n’importe quoi du monde, mais nous avons un repas. Mais demain, je ne mange pas puisque je n’ai rien prévu ? J’abandonne l’idée, je lâche complètement.
Édit samedi 19 : il me faut deux jours pour faire le lien, le repas du soir impossible et la mère au milieu, très certainement au milieu, qui ne mange pas, jamais, le soir. Plus je démêle, plus j’emmêle. Heureusement que j’écris puis relis, ça me cadre.
Il me faut encore une heure pour faire le lien avec un autre problème alimentaire très actuel, les repas et pas seulement ceux du soir, les protéines de lait agrandies à la nourriture industrielle puisque le lait est partout, ce qu’elle ne mangeait pas ne passe pas non plus par moi, est-ce que je m’empêche de vivre comme elle s’en est empêchée, est-ce que l’allergie qui s’aggrave me mène au risque de mourir (je gonfle, l’air ne passe plus et vraiment quand c’est la gorge qui gonfle c’est terrifiant) de la même manière qu’elle est morte de tout ce qu’elle n’a pas avalé en dehors de l’alcool (que j’empêche, pour moi).
Ce n’est pas exactement ça. J’approche. Je tourne et retourne, je veux bien un autre rêve.
Vendredi 18
Je suis à dix minutes de partir lorsque mes yeux tombent sur le taboulé industriel (sans lait ni traces) de Chouette. Je suis en train de petit-déjeuner, tout n’est qu’urgence, je lui demande de le préparer et c’est un miracle mais nous partons à l’heure avec un semblant de repas pour moi. Ils me déposent à la gare de Nîmes où je vais attendre Blanche, pendant qu’ils vont à l’hôpital pour un examen pour Chouette – ostéodensitométrie. Je reste trente minutes avec Duolingo (je le case partout) et puis elle arrive, énorme sac à dos derrière elle. Deuxième passage sur Nîmes en moins d’une semaine, je m’étonne moi-même. Mais je ne connais plus la ville. Le Grand Café où je chantais les soirs n’existe plus, les boutiques connues ont fermées et d’autres ont pris leur place, je suis tellement dépaysée je suis ailleurs et les souvenirs désagréables restent globalement à leur place de souvenirs. Blanche a ses mots, et pourtant tu y penses et c’est vrai, on peut toujours se reconstruire, derrière c’est toujours là, on se fonde sur une destruction et on devient qui on est à partir de là, d’un champs de ruines qui reviendra encore et encore. J’observe les ruines depuis le soleil. On en parle parce qu’on parle d’autre chose (ou la même chose), elle me demande, est-ce que tu peux passer en mode écoutante, ça va être dur, et je me vois baisser le niveau d’éparpillement à son zéro absolu, mes yeux se fixer, le calme se poser – il me suffisait donc seulement de ça. Nous buvons un thé vert et un thé noir et je descend plus bas encore dans le calme pour ne pas réagir et seulement écouter. Lorsque nous quittons la table, nous sommes encore dans les échos de la conversation, nous déroulons des silences et des regards, les mots s’enroulent dans les pensées.
Forcément, nous reparlons de R., la conversation que nous ne quittons pas nous y mène tout droit.
Elle me demande, à propos d’une conversation que nous avions eue il y a 7 ans environ, « si je ne t’avais pas parlé de ça, est-ce que vous seriez encore amis ? Est-ce que ça a joué dans la rupture ? » ce qui m’oblige à réfléchir à la vitesse de l’éclair, je réponds comme si je l’avais toujours compris alors que non, jamais je ne me suis questionnée en ce sens. Mais oui, ça a compté. J’ai rompu une amitié sur ses ruines à lui, sur nos ruines à nous, et sur « ça » alors que je ne voulais pas, j’ai vraiment tenté de le mettre de côté – c’est pourtant impossible. Parce que la confiance, première fois brisée par lui et absolument pas rattrapée ensuite, parce qu’il ne pouvait m’assurer qu’il ne recommencerait pas puisqu’il ne voyait pas le problème de s’essuyer les pieds sur moi, et parce que cette révélation a détruit ce qui restait encore vaguement debout. Evidence. J’ai tenté pourtant de ne pas en tenir compte, malgré l’importance. J’ai échoué.
Je sais être sybilinne mais là, je ne peux pas exposer ce qui ne m’appartient pas.
Si je creuse en moi, je pense que ça a accéléré ce qui ne tenait plus.

Nous repartons sur d’autres rivages. Pour le repas nous achetons des fruits, des tomates et des chips et ça complète avec perfection le taboulé. Entre deux cerises elle me parle du soir et je découvre avec étonnement qu’elle dort chez moi, qu’elle me l’avait dit, que j’ai oublié, que rien n’est prêt alors mais qu’on s’en fiche, mais punaise cette tête est un gruyère un peu non ? Je suis tellement consternée. Etonnamment (ou pas), sa mère ne m’en a jamais parlé et le soir lorsqu’on rentre, elle fait d’ailleurs une tentative de « mais si en fait tu peux dormir à la maison regarde avec un matelas au sol mais la mousticaire est hs par contre ». Moui. Je les laisse en parler et je rentre chez moi, ne surtout pas me mêler de ça. Je m’attends à ce qu’elle dorme du coup là-bas mais non, elle a maintenu ^^ Je retire vite fait les draps de Kira et elle dort dans sa chambre – luxe inhabituel de l’enfant absent.
En défaisant mon sac de la journée, j’ai la surprise de retrouver les cerises, que je pensais avoir donné à un SDF avec le reste de notre repas. C’est étonnant comme chaque fois je crois pouvoir me soigner de cette première fois que j’ai raté (un sdf au regard dévoré par la faim et moi qui n’avais rien sur moi, qui depuis quatorze ans me hante parce qu’avec le recul j’aurais pu/dû faire autrement) et comme chaque fois, non, je ne fais qu’additionner les regards et la faim et l’angoisse de la faim.
Samedi 19
Mal remise du concert, je sens l’effondrement physique entamer sa course, la douleur me cloue au canapé. Je dois refuser de partir photographier une récupération d’essaim et Blanche fonce à ma place pour y mettre les mains, la chanceuse ^^
Mon beau-frère et mon beau-père ont trouvé l’origine du son plus grave qui répondait à la chouette (la chevêche d’Athéna) : un petit duc a fui à leur approche le peuplier noir, puis est revenu ensuite se réinstaller dans le feuillage. Visiblement, il s’agit de son spot, juste à la frontière entre chez eux et chez nous. J’adorerais le photographier mais sa fuite possiblement définitive serait trop dommageable…
Dimanche 20
J’allais mieux, vraiment mieux, je recommençais à avoir des pensées cohérentes, j’ai fait le pain, les aubergines, des crêpes pour sept personnes, j’ai encadré deux enfants (11 et 13 ans) qui voulaient les faire eux-mêmes et c’était merveilleux et épuisant et là j’ai commencé à franchir une barrière invisible de fatigue élevée, ils sont partis voir des abeilles, il a proposé un jeu calme à juste nous trois et j’ai dit d’accord, un quatrième est arrivé à la porte et j’ai senti que ça m’échappait, on a migré chez mes beaux-parents pour jouer à cinq, les personnes parties aux abeilles sont revenues parce que la récupération n’a pas été possible, on a joué à huit à un jeu super mais très excitant plein de cris dans tous les sens et mon cerveau a grillé.
Lundi 21
Ma belle-soeur C. m’apporte un basilic, il est beau et ça me fait presque de la peine de lui retirer des feuilles pour en manger. Je le pose à la fenêtre, avec l’espoir qu’il soit bien. Depuis quelques temps, j’ai l’impression que les trois quart de mes plantes font la gueule pour que je les mette elles aussi dehors, je suis sûre que quelque part, elles savent. La possibilité est là alors elles tentent. Du coup je crains pour le basilic.
Les quatre frères et sœurs sont réunis, pour la première fois depuis la nuit des temps – presque. Il ne manque que trois personnes dans les conjoints/enfants, c’est intense. L’effervescence est à son comble, les enfants hurlent pour le plaisir, T. (11 ans) apprend aux plus jeunes comment créer l’équivalent du bruit d’un pétard avec seulement une feuille de papier pliée et l’enfer se déchaîne dans mes oreilles, le cœur s’emballe à intervalles irréguliers, je n’en peux déjà plus à 11 heures. Je me replie de temps à autre jusque chez moi sous des prétextes futiles qui me permettent des pauses – l’avantage d’habiter à trois pas.
Deux repas ont été prévus, un de viande et un de légumes pour les végétariens, un régal comme toujours, et puis toutes les personnes concernées s’envolent chez la notaire. Lorsqu’ils reviennent les plaisanteries fusent dans tous les sens sur qui est propriétaire de quoi sous quelles conditions, la joie de l’entente de cette fratrie est douce au cœur.
Je profite de la présence de tous pour leur faire signer deux pétitions, celle pour les lignes férroviaires de notre région promises à la disparition et bien sûr la loi Duplomb, je me découvre activiste – j’en suis la première surprise. Au point où j’en suis, je vous les transmets aussi.
Je fais mes premières véritables photos mais je ne connais pas l’appareil, je ne sais même pas où trouver la fonction raffale dont j’aurais besoin ici. Il réussit quelques portraits même si je ne comprends pas toujours où et comment il décide de sa mise au point, il va vraiment falloir que je prenne le temps de l’apprivoiser, trop de photos sont floues là où je souhaiterais une netteté prioritaire – l’appareil ne sait pas qui je suis.
Blanche nous fait une démonstration de feu-dans-la main-qui-ne-fait-pas-mal et toutes les personnes volontaires y passent (à savoir, tout le monde en dehors des petits que ça effraie). Mon beau-père me lance « hey les sorcières aussi doivent brûler » (note mentale pour lui faire lire Mona Cholet) et donc je pose l’appareil et je le fais à mon tour, punaise la sensation de brûlure est très violente même si elle est brève (confirmé par mon beau-frère puis par Chouette qui l’ont senti aussi).
Les flammes jouent, créent des formes étonnantes comme des dragons ou des phénix – paréidolie – je m’améliore au fur et à mesure dans leur capture (mais ce flou m’exaspère).


Un oiseau posé,
un oiseau envolé

… et donc, la sorcière brûle
perdant sur tous les fronts
seulement femme, seulement elle-même

Nous restons manger le soir également, et je fais découvrir une boîte de jeu à Blanche et mon beau-frère (son frère) pendant que deux autres groupes se forment pour d’autres jeux. Je crois pouvoir dire que nous sommes tous restés des enfants.
La nuit est bien antamée, ils sont six à retourner à leurx vacances, les premiers à partir. Le calme s’installe dans la foulée – les plus jeunes n’y sont plus.
À trois reprises dans la journée puis soirée, je sens le regard de mon beau-frère posé sur moi et je ne sais pas à quoi il pense mais ça a l’air intense… je me questionne mais ne demande rien – trop de monde pour quelque chose qui semble si sérieux. Tout de même, souvent, je donnerais beaucoup pour connaître vos pensées.
Mardi 22
Le matin mon beau-frère repart avec son fils (l’adorable moulin à questions), on se dit qu’on se revoit en septembre sur notre trajet de vacances (détour volontaire pour les voir même en éclair). Quelques heures après, Blanche prépare son départ, rempli son sac d’insectes morts trouvés sur nos chemins, de livres féministes qu’elle m’emprunte, de coquillages, de nids, pas de nids finalement parce que pas la place sans les détruire, d’herbes pour des tisanes – et après c’est moi la sorcière.
Je vérifie une heure avant parce que je ne crois plus en la SNCF (qui d’ailleurs a répondu à ma demande de remboursement par un non catégorique : je n’avais qu’à prendre le train suivant, quid des correspondances et des rendez-vous, en résumé, va voir ailleurs si j’y suis), vu qu’ils peuvent à tout moment supprimer le train. C’est pire. Son train n’existe pas sur l’appli, je lui montre, il n’est pas là mais il y en a un quinze minutes avant. La panique s’installe, elle court, mange en accéléré. Finalement nous aurons le fin mot de l’histoire : l’horaire a été avancé le matin-même pour cause de tour de France – ça ne s’invente pas. Je comprends, le tour de France arrive d’un coup, c’est difficle à anticiper. Aucun message pour prévenir, rien. Le service se délite, à l’image de la planète.
Après son départ, ma belle-mère me dit, je dois discuter de quelque chose avec toi. Une phrase malheureuse que j’ai eue, maladroite visiblement. Blanche a dit « c’est génial de ne pas venir souvent, je repars avec plein de choses » à quoi j’ai surenchéri « c’est ça de pas venir beaucoup, on prends plus soin c’est normal ». Sans penser à mal. Ma belle-mère en a déduit que je me sentais lésée -_- Je sais que ça a tapé dans une de ces craintes à elle, mais le choc… heureusement qu’elle ne l’a pas gardé pour elle, ce serait resté entre nous à saper notre relation, et je n’aurais pas su pourquoi ça se délitait (c’est que nous revenons de loin, il ne faudrait pas qu’on retombe). Je ressens tellement l’inverse, je vois comme on reçoit beaucoup par rapport aux autres du simple fait d’être à côté, de même que les échanges sont plus présents et si précieux (nature, jardins, abeilles, oiseaux, écouter un chant ensemble). J’ai conscience d’être pleinement privilégiée. Qu’il y ait parfois des tensions et des complications, cela fait partie d’un tout extrêment riche que les autres ne peuvent avoir du fait de la distance géographique. Elle a pleuré, on s’est mutuellement rassurées et c’était doux.
Les malentendus, les interprétations, tuent les relations.
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Qu’est-ce qu’il y a.
Au bout de tes pieds.
Sur la première photo.
(je vois un petit pied à droite et un bras ou un genou dans l’autre sens et incomplet à gauche oO)
Tout ce que tu écris ensuite est bien trop intime pour que j’ai ne serait-ce que quelque chose à en dire, toutefois je voulais que tu saches combien je t’admire, d’avoir survécu à ce que tu as traversé, et de tenir debout au quotidien (le séjour des enfants m’a semblé terrifiant rien qu’à le lire :D)
Ah. Ça. Ce sont d’autres pieds (un talon, à gauche). Ce sont les pieds des enfants qui m’ont pris mon ordinateur pour une heure de jeux chelous qui bougent dans tous les sens et font du bruit, beaucoup de bruit. Je me suis donc installée avec un chat, un livre et un casque ^^
Je peux te communiquer la photo des enfants si tu veux, pour mieux comprendre l’image (il se trouve que j’ai fait aussi cette photo-là) 😀
Je mets le plus intime en « caché » pour permettre de ne pas le lire si besoin (je ne sais jamais si je dois m’en excuser, de l’écrire, le besoin est le plus fort et c’est là). Certains écrivent des livres, moi je tiens un blog ^^’ (je ne sais pas si c’est mieux ou pire).
(je te confirme le séjour terrifiant des enfants)
Je ne sais pas quoi te répondre pardon, juste un grand ♡
(mais je te promets qu’il n’y a rien à admirer, on travaille tous.tes très dur pour s’en sortir)
Je veux bien la photo entière : ces deux pieds n’appartiennent pas à la même personne, si ? (oui j’ai des obsessions, parfois :D)
Je lis tout, tu sais bien 🙂 Et mon intention en soulignant l’intime de tes propos n’était pas de t’en faire le reproche, tu le sais, n’est-ce pas ? ♥ Il me semblait juste que ce serait bien malavisé et forcément malhabile d’y ajouter quoi que ce soit. Mais j’adore lire ce genre de textes. Je ne sais pas ce que ça dit de moi, mais cela me fait… du bien.
Oui, bon, on travaille pas tous aussi dur, quand même.
Je t’ai envoyé un mail (au cas où je te le te dis, puiqsue j’ai changé d’email il pourrait passer à la trappe).
Oui oui je le sais ♡ Je comprends la difficulté de parler à la suite de ce type de textes, du coup ce n’est pas plus mal qu’il soit au milieu d’autres choses. Et je suis comme toi, j’aime lire ce genre de textes, l’intime, ce qui va en profondeur (je ne sais pas non plus ce que ça dit de moi, sinon que je vais toujours plus loin, peut-être, parce que oui les textes des autres apportent toujours une profondeur pour soi).
Tu sais quoi, je n’y avais jamais songé. Que peut-être, je travaillais dur. J’ai eu un déclic à 23 ans et je ne me suis jamais arrêtée de creuser (globalement ; ce n’est pas tout à fait juste mais l’idée y est).
Tout ce qui est derrière ce petit triangle qui pivote…
Pareil que Kalys, j’aime lire le cheminement de la psyché qui cherche ses angles morts dans la généalogie et les rêves, même si je n’aurais pu que te souhaiter une histoire beaucoup moins dure à traverser.
Les toutes dernières lignes de ce billet sont très belles en tout cas, cela donne l’impression d’une belle distance parcourue avec le temps, contemplée avec apaisement. (J’en souhaite autant à tes oreilles, d’apaisement – les cris et le bruit sont si épuisants.)
(j’aime beaucoup ce petit triangle qui pivote)
Merci Dame, pour ta lecture et tes mots… <3 (mais oui, c’est si épuisant !)