Lundi 26 – Le silence des carnets
Je m’étais dit, lundi j’écris. Je ne savais pas quoi, c’est peut-être là l’erreur, vouloir écrire sans but sans chemin sans amorce et penser que ça fonctionnerait puisqu’il y a toujours quelque chose à dire à poser à lâcher comme si ça brûlait les entrailles. J’espérais je ne sais quelle histoire. Je n’ai pas approché du carnet.
Mardi 27 – Liberté
Je dépile les livres un peu tous les jours. Je suis dehors avec l’un d’eux, accompagnée des grenouilles, des oiseaux et de Corail endormie sous ma chaise. Lorsque Chouette a envie d’aller marcher je l’accompagne, sous le regard de ma belle-mère qui ne peut s’empêcher de froncer les sourcils et de poser une critique sur la gamine habillée de noir – tu as de si jolies robes colorées, tu devrais. Je ne sais jamais lui dire de garder certaines phrases pour elle ou de les distiller avec plus de douceur, elle a braqué l’enfant. Je n’invente même pas de réponses tardives, qu’est-ce qu’on peut dire aux gens persuadés de savoir pour toi. Nous partons mais très vite la chaleur est trop lourde sur les têtes et les épaules, je suppose que l’on peut dire que nous avons demi-marché.

Mercredi 28 – Cueillir des fils entre toi et le monde
Je vais à la fripe maquillée pour cacher la fatigue, je n’aime pas mon visage en ce moment, comme je fais vieille de douleur. J’ai trouvé une photo de moi qui a quinze ans, j’étais jolie et je ne le savais même pas. C’est peut-être pareil maintenant, mais j’ai détesté les photos faites de moi de dimanche alors voilà.
LeChat me dit, tu es belle.
J’écoute mon téléphone et sa voix me parvient comme si elle était là, devant moi. C’était presque hier, l’escapade au-dessus des toits, dans des fils rouges et noirs et les mots feutrés… Une demoiselle rouge – un fil ? – se pose sur ma main alors que je lui parle – j’allais dire « seule », j’allais dire « alors que je parle seule », comme les mots sonnent faux parfois… en décalé peut-être ? il n’y a pas de mots pour cette manière de communiquer l’une après l’autre dans la voix l’une de l’autre – comme une douceur délicate pour elle et moi, une merveille où le temps s’enchaine étrangement, une voix, un silence, une voix, un oiseau, une voix, un rire… des perles à porter le soir.
Les journées offrent souvent de quoi se perdre, mais aussi – surtout ? – de quoi s’accrocher – il me semble. Je n’attendais pas, et c’est là, indescriptible – je crains de dénaturer.
Merci pour la douceur – et tout ce que j’ai à cogiter.
Jeudi 29 – Perception
Mardi j’ai discuté avec Corail qui a écouté de toutes ses oreilles, le regard tourné ailleurs : elle prend du poids, beaucoup, parce qu’elle mange, beaucoup : c’est un problème. Outre le paquet de croquettes qui descend dangereusement vite depuis plusieurs semaines et donc nos finances qui en prennent un coup, il y a le souci de ses rondeurs. Madame frôle le surpoids, c’est mauvais pour sa santé. D’ailleurs nous l’observons manger toute la journée ou presque, à la moindre contrariété comme à la moindre caresse. J’ai remarqué aussi que c’est depuis le passage chez le vétérinaire. Peut-être est-ce la peur, peut-être est-ce le stress… Nous avons donc décidé, sans la mettre à proprement parler au régime (il ne manquerait plus que ça), de moins remplir sa gamelle et d’attendre un peu entre les remplissages. Juste pour l’aider à contrôler ses fringales.
Au final, l’astuce mise en place n’a servi à rien. Ça me rappelle les filles, lorsqu’elles étaient petites : je discutais du problème, elles entendaient et défaisaient les nœuds dans la nuit, fin du problème. Soit j’ai un superpouvoir inconnu mais intéressant, soit le chat comprend aussi bien qu’un enfant : elle a arrêté de manger comme dix et est désormais complètement détendue : elle dort de nouveau contre moi.
Mine de rien, le chat est bilingue.
Vendredi 30 – A cup of tea
La chaleur s’est installée. Dans la nuit je n’ai pas réussi à diminuer correctement la température de la maison et il fait 23,5° au lever ; pourtant j’ai besoin d’une tasse de thé, j’ai froid. J’ai tout le temps froid. Ce qui m’octroie le merveilleux plaisir de la chaleur sous les doigts, je ne me plains pas. Je me tiens tout au bord, pour mieux apprécier la douceur – aux agrumes.
Samedi 31 – Pagaille
LeChat vide une partie du grenier, il descend tout puis remonte (mais bien rangé à des endroits précis) les vêtements, les couvertures, les couettes, les cartons vides pour les colis, la couture, les déguisements, les décorations d’Halloween, les amandes. Je vire-donne la peinture à huile de mon grand-père et de ma tante (parce que l’odeur, jamais je dois l’admettre), les vieux posters des enfants, des chaussures (trop petites, trop abîmées), des palmes, les milliers de pelotes de laine, des choses qui se sont entassées mais dont finalement l’utilité n’est pas probante. Je suis épuisée mais ravie.
Il trie les papiers de ma mère, ses chéquiers, ses dettes, sa banque, le poids de sa méchanceté, l’odeur de cigarette, il me demande si on jette et je lui dis oui comme on déposerait la colère du monde – étrange comme de simples papiers peuvent peser lourd. Des papiers et des abîmes, il y a de quoi tomber. Je garde deux photos d’identité d’elle dont l’une a été prise une année avant sa mort. Je les garde même si je ne sais pas pourquoi. Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire de ma mère. Elle est sur mon bureau, elle me regarde. Elle a l’air méchante. Ou alors non elle a l’air malheureuse. Peut-être méchante et malheureuse. Je ne la reconnais pas, ou alors son regard – il a hanté beaucoup de nuits. Toujours ce problème de photo, de reconnaissance des visages, c’est elle et ce n’est pas elle. Je la connais jeune je la connais sans rides je la connais blonde puis châtain clair, là je ne sais ni le gris ni la vieillesse ni les creux, je l’aurais croisée dans la rue je ne l’aurais pas reconnue, dévorée d’alcool, de cigarette et de non-nutrition. Est-ce que je vais lui ressembler. Étonnant questionnement peut-être, puisque je mange je ne bois pas je ne fume pas, que je ne suis ni en colère ni méchante ni violente – et pourtant. Enfin je crois. Que je ne suis pas. C’est viscéral et peut-être, est-ce un garde-fou, une ligne à ne jamais dépasser. Des fragments de manques à ne pas ramasser. Est-ce qu’à chercher à s’éloigner, on se rapproche ? Est-ce qu’on se rapproche plus vite ? Est-ce qu’à ne pas vouloir ressembler, on devient ?
On n’enterre pas ce qui revient toujours, tout au plus on y jette une pelletée de terre.
Chaque fois, plonger dans la mère c’est dépouiller des os écarlates.
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. Ecouter lire : Ovidie, La chair est triste hélas
. Art : L’artiste australien Greg Olijnyk travaille à partir du carton : il crée à la main, des sculptures de science-fiction assez impressionnantes. Elles sont parfois articulées ou contiennent des panneaux solaires, des lumières, des petits moteurs…
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« Est-ce qu’à chercher à s’éloigner, on se rapproche ? Est-ce qu’on se rapproche plus vite ? Est-ce qu’à ne pas vouloir ressembler, on devient ? »
Des réflexions intéressantes qui me ramènent à la relation de ma mère avec sa mère. Je crois que la pire crainte de ma mère est de ressembler à sa mère, à force de vouloir s’éloigner d’elle, de ses souvenirs, de sa maltraitance, de ce mal qu’elle a laissé après elle.
Très belles ces créations en carton. Il y a des personnes qui embellissent le monde de bien des façons.
Je suis touchée de l’apprendre, et je la comprends tellement.. je lui souhaite de s’éloigner sans ressembler, je lui souhaite de réussir à être elle-même.. si difficile.
Oui, je suis chaque fois impressionnée par la diversité, le travail, le partage. La beauté.
« Je les garde même si je ne sais pas pourquoi. Qu’est-ce que je vais bien pouvoir faire de ma mère. » peut-être parce que malgré tout, tu viens d’elle et que tes enfants viennent, en partie, aussi d’elle et qu’à un moment donné, ils auront peut-être envie de savoir et de voir, voire aussi leurs enfants plus tard….
Chez nous, c’est l’inverse le chat familial ne mange plus et a perdu du poids (ce qui semble logique) mais toutes ses analyses sont bonnes, je me demande si les chats peuvent faire des dépressions
Ils savent, ils l’ont vue en photo, ils l’ont vue à l’enterrement aussi.. on en parle, parfois. Mais oui dans tous les cas, ces photos font partie de leur héritage c’est vrai.
Absolument, ils peuvent.. et même souvent ils se calent sur ce qu’ils ressentent des émotions de leurs humains et la dépression vient de là. Peut-être que tu peux discuter avec lui, de ce que tu traverses ? Je sais que ça peut paraitre étonnant, mais je le fais souvent avec la mienne et ensuite elle va mieux…