Parfois j’obstine ce carnet pour ne pas disparaitre avec elle.
Lundi 19
La petite musaraigne apparait entre les chaussures, elle m’échappe dans le second rang (la rapidité est dingue, ce qu’elles sont speed !), je retire tout et là, rien. Pas de bestiole. Je regarde jusque dans les chaussures mais elle est introuvable. J’abandonne, mais je suis perplexe, il n’y a aucun trou donc techniquement aucune échappée.
Trente minutes après, nous la revoyons et la chasse recommence avec très exactement le même résultat : elle se perd dans les chaussures, je regarde dans toutes et elle n’est nulle part.
Édit du 21 : je n’ai toujours pas résolu l’énigme et la bestiole vit sous notre canapé.
Édit du 22 : on a troué la moustiquaire de la porte-fenêtre pour qu’elle s’échappe. Pas de commentaire.
L’alerte chez Gibert m’informe qu’ils ont réceptionné deux des Heartstopper que je cherche, je commande le tome 2 et 3 en anglais et je suis sans doute la personne la plus heureuse en cette minute.
Parfois je me demande si je ne vais pas juste mourir de douleur, parfois je deviens dingue – et il ne reste que l’envie que ça cesse, que tout cesse. Ce soir j’opte pour la folie – demain aussi.
Mardi 20
Je disparais et pour la réussite parfaite de ce projet parfait, ma liseuse est une merveille. Une personne m’a demandé de lire Le grand monde et je ne bouge plus, sinon pour tourner des pages pixelisées au rythme de l’Indochine.
Phrase entendue – Chouette : « Parfois je perds mes mots, parfois c’est les lettres »
Mercredi 21 – Pêle-mêle
Je vais à la fripe malgré la douleur (ça va mieux tout de même, l’immobilisation a fonctionné), je protège le bras déconnant et j’arrive assez bien à ne travailler qu’avec le droit, j’admire une couleuvre vipérine attrapée par erreur en oubliant complètement de la photographier, j’oublie de noter les importances et il en reste les futilités, je termine de cuisiner le sirop de menthe du jardin (il a un goût incroyable), je réceptionne Heastopper dans la joie certes mais fatiguée, je vais visiter le poulailler et prends cette fois quelques photos, j’attrape un énorme frelon asiatique perdu dans la maison et le relâche dehors. Mais surtout, je lis – je me tiens à distance sur les mots des autres.




Chouette change de prénom.
Jeudi 22
Parce que tu crois qu’il a existé ?
Il va falloir lire entre moi ce que je ne sais plus écouter.
Vendredi 23
Je reprends pied – ou bras. C’est pourquoi le soir, j’étale des tortillas jusqu’à y laisser mes forces. Et le bras. Dès fois j’ai l’impression que je cherche à retourner à la douleur mais je sais que ce n’est pas ça, ce que je cherche c’est une normalité un peu confuse. Avoir une vie dans laquelle l’immobilité n’est pas
– pure obstination inconsciente.
Je crois qu’en ce moment, le Récit me travaille. Qu’est-ce que je tairais dans une lettre que je ne dirais pas déjà ici – je me tais trop c’est une possibilité, ou je parle trop et c’en est une autre. Mais que dit-on dans une lettre, sinon notre existence pure et simple ?
Alors. Je me demande.
Quel récit de nous serions-nous prêts à partager ? J’imagine un lieu où toutes les correspondances du monde seraient réunies, il y aurait des lettres et des lettres et des lettres, des milliards de tonnes de lettres qui se répondent et se parlent et s’animent entre amitié, amour et certainement désœuvrement, des âmes qui se cognent et des coeurs qui espèrent, des écritures penchées sur elles-mêmes ou droites à se tendre vers l’autre, un intime bouleversant et un vide infini, ce serait une œuvre folle et particulière. L’impossible n’empêche pas la pensée. Je me demande ce qu’on pourrait en déduire de notre humanité, à seulement nous lire. Est-ce qu’il y aurait de la beauté à les lire la nuit, de la poésie à voir naitre des paysages de pensées, est-ce qu’on ne serait pas davantage transpercés par des correspondances d’inconnu.es que par des lettrés qui le sont trop, est-ce que nous saurions nous reconnecter à nous-même à lire un pays éloigné ou rayé de la carte. Ces lettres appartiennent à un monde perdu, oublié, décimé, des correspondances s’habilleraient de noir, les morts témoigneraient des populations assassinées, on ne pourrait plus se détourner. Est-ce que nous serions vraiment ceux que nous pensons être. Est-ce qu’on se ferait balayer par la puissance de tout un monde, noyé d’émotions, ou est-ce qu’on ne s’approcherait pas, jusqu’à reculer même. Un presque rien, un tsunami. Que disent les courriers de Gaza ensevelis sous la mort, de l’Ukraine sous les gravats, des arméniens éparpillés, des Ouïghours effacés, des juifs gazés ? pour n’en citer qu’à peine. Est-ce qu’on prend seulement la mesure de tous ses mots posés sur du papier, preuve d’une existence, d’une culture, de vies. On touche au Temps. Une forme d’immortalité. Nous parlerions depuis nos tombes, celles fermées et celles pas encore ouvertes.
Je suis dépassée par l’idée, je vois l’entassement de ces courriers un peu comme des corps, vivants, depuis lesquels nous pourrions nous apprendre humains et aller vers une harmonie – puisque semblables. L’utopie d’un projet qui ne peut voir le jour.
Je n’arrive pas à poser la pensée juste qui me traverse.
Il m’arrive de me dire qu’avoir jeté une partie de mes anciennes correspondances est un crime, surtout lorsque depuis ce geste, la personne n’est plus. Est-ce qu’on peut effacer davantage. Mais aussi. Je ne sais pas s’il est possible de voir les correspondances mondiales autrement que comme un témoignage puissant de notre inhumanité au milieu d’une beauté folle.
Samedi 24
Comme un rappel de ce que nous sommes vraiment, je lis France Culture et je craque, je pleure sur les oiseaux qui meurent de faim parce qu’il n’y a plus suffisamment d’insectes, je suis désespérée par ce que nous faisons subir au vivant, je pleure toute la soirée. Nous ne méritons rien d’autre que cette mort pour nous-même, nous y allons à grand pas, je voudrais me désolidariser des humains mais c’est exactement ce que je suis – une humaine désespérée qui jette l’éponge le temps d’une soirée.
Aller d’une présence subtile à une autre présence subtile
pour en extraire une nourriture solaire
est un travail d’abeille et de poète.
Ce monde détruit les deux.
– Christian Bobin, Le muguet rouge.

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. Youtube : Une histoire pour te sentir légitime – Skarblown Animations
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Je retiens « je me tiens à distance sur les mots des autres« . Des mots parlés surtout, pour moi. Ils me torturent, me pèsent, je ne les comprends pas toujours, ils écorchent mes certitudes. Je sens que j’ai besoin de m’éloigner du monde, un peu.
J’aime ton idée de ces correspondances. Parfois j’aimerai savoir, connaître, pas par pur curiosité, juste pour l’humain qui manque, l’humanité qui chavire. Retenir l’essentiel du vivant.
J’ai ce besoin aussi, et je trouve la lecture parfaite pour ça. Tu fais quoi toi, pour t’éloigner ?
L’essentiel, voilà, c’est ça 🙂
Je lis, j’écris, je déchire et je colle et je m’allonge aussi parfois sur mon canapé avec une musique douce. Ou sur l’herbe l’été. J’écoute.
Nous nous ressemblons dans notre créativité-apaisement 🙂