Mercredi 14
J’etais dans la cuisine à courir pour ne pas être en retard, je m’étais réveillée à 6h35 mais impossible de sortir du lit pour autant à 7h40 comme prévu et me voilà à courir après le temps comme si je pouvais le rattraper, alors que non, un retard est un retard, on ne récupère jamais ce qu’on a perdu. Par la fenêtre ouverte, j’ai entendu du bruit dehors, un frottement, est-il possible que ce soit l’écureuil, si fort ? Je suis sortie de trois pas et je l’ai vu sur la branche du frêne, il a braqué son regard sur moi et n’a plus bougé. À ce moment-là Corail m’a suivie, il a eu un mouvement de repli et elle l’a vu évidemment, le regard et tout le corps se sont tendus. J’ai attrapé la minette. Je m’attendais à ce qu’elle se débatte mais non, nous sommes rentrées et elle est restée dans la maison avec moi, comme si jamais elle n’avait vu la bestiole rousse, c’était… étonnant ; maintenant je me demande si une rencontre a eu lieu, qui se serait mal terminée pour Corail ?
– depuis, plus d’écureuil repéré alors qu’il venait tous les jours.
J’écoute Mylène Farmer, le nouveau single sorti pour la soirée du festival de Cannes – je le savais mais j’avais oublié malgré tout, merci YT. Je commence par me braquer, je n’aime pas entendre ce son un peu électronique dans la voix, je n’aime pas non plus ce qui est sirupeux, trop doux, j’aime que ça bouge et peut-être qu’en ce moment c’est plus fort à écouter beaucoup Amenra, je ne sais pas, mais l’envie est forte d’envoyer promener la chanson et je n’ai pas bien compris comment c’est arrivé, les larmes me sont montées au yeux.
Je l’ai écoutée. Plusieurs fois. Le cœur plongé à mille mètres de profondeur sans que je me l’explique – ou alors je sais exactement pourquoi et je n’ai pas envie d’en parler avec moi-même, et donc pas du tout ici. Et je sais que c’est précisément cela, je ne veux pas. Vous reprendrez bien un peu de déni ?
paroles
Des rêves d’ivresse
Au-dessus, les hirondelles
Te chercher sans cesse
Dans le ciel trouver l’amour
Moi je veux tes vagues
Qui inondent mon âme,
Trouver la paix
Mes nuits de cendres
J’espérais ne plus descendre
À deux pas l’ivresse
M’éloigner de l’obscurité
Moi je veux tes vagues,
Qu’ils submergent mon âme
Partout… Partout
C’est fou, je te sens près de moi
Partout… Partout… Dans tout…
Dans les méandres d’un long sommeil
Partout (nos cicatrices crois-moi)
Partout (nous définissent l’âme)
Je te sens près de moi (Nos cicatrices là)
Partout, partout
Dans les méandres d’un long sommeil
Jeudi 15
Je me fais déborder par les mots des autres à en étouffer. Alors je coupe. Je coupe dans mes lectures de blogs et tente de n’en laisser que l’essentiel, le plus doux, le plus beau, peut-être ou à peine ou rien mais peut-être beau – non pas l’esthétique des mots, seulement ce qui m’apaise. Je suis triste, ce n’est même pas de la joie que cet acte, seulement du soulagement de regagner un temps pour moi. Je passe soudainement d’un chiffre énorme à quelque chose de raisonnable, et pour cela je laisse derrière moi des vies. J’ai besoin de vivre la mienne.
Je reçois un colis et oh ❤️J’ai mille sourires pour la lettre comme pour le contenu – joie double. ou triple, même. Oui la vie est belle et douce, selon ce qu’on en fait, je suis tellement d’accord !
Je recolle la tranche d’un exemplaire du Journal d’Anne Frank de 1950, je le trouve trop précieux pour rester ainsi, à se déliter. Une fois bien appuyé collé, je m’aperçois qu’entre ces pages il y a la quatrième de couverture mise n’importe où. Je n’ai aucune idée de comment la réintégrer sans y ajouter un feuillet qui n’aurait du coup pas la bonne couleur vieillotte. Il va falloir que je récupère quelque part un très vieux et grand livre, je ne vois que ça. Abîmer d’un côté pour réparer de l’autre, la pertinence de nos actes, parfois…
Les rouges-queues qui s’occupent du nid (posté à la fontaine) et donc de nourrir les petits, sont habituellement deux, un mâle et une femelle. Pendant plusieurs jours nous avons vu la femelle seule, faire ses allers et retours de construction de nid, c’était très étonnant, le mâle sans doute n’est plus là pour. Les petits sont nés il y a deux jours, elle a continué seule. Ce matin, nous nous sommes aperçus qu’elle ne l’était plus, une deuxième femelle est présente et nourrit les petits avec elle. C’est la première fois que j’observe personnellement ce que je savais scientifiquement, j’adore. Qu’on ne vienne pas me dire que la norme c’est un père et une mère, « regarde dans la nature ça n’existe pas », je vais mordre.
Comme je ne sais plus si j’avais transmis le documentaire sur la sexualité (fort large) des animaux, je le (re?)poste ici :
Nous avons une ruche juste sous le toit, installée lors de la construction (sur un couloir à abeilles). Nous y avions déposé un premier essaim, mort l’hiver suivant, puis un deuxième qui est également mort lors de l’hiver qui a suivi. Nous avons arrêté, bien décidé à laisser les abeilles venir seule, ce qui fait que l’année dernière c’est resté tristement vide.
Elles sont là, cinq à visiter, ce sont des éclaireuses, je croise fort. Lorsque je regarde une heure plus tard, elles sont plus de dix et je suis complètement surexcitée.
Pour choisir une ruche, une première abeille part en vadrouille, trouve quelque chose, rentre prévenir les autres. Seulement elles sont nombreuses et parfois elles sont quelques unes à avoir trouvé un lieu « parfait », alors elles se déplacent à plusieurs pour visiter, après quoi elles votent (réellement, elles votent).
Edit : pas d’essaim installé, elles ont choisi ailleurs… un peu triste, je me dis que ça se fera peut-être plus tard ?
Dès qu’il rentre du travail et c’est fort tard, nous fêtons l’anniversaire de LeChat : le goûter se fait à 18h et le repas à 21h, tout est sens dessus dessous mais c’est ce qui fait tout le charme de cette vie.
Vendredi 16
Corail s’endort sous ma chaise alors que je lis dehors Hyperrêve, distraite par le soleil qui joue dans les feuilles. Kira m’appelle et je rentre pour l’aider avec le glaçage du gâteau (elle a perdu le mixeur et nous n’avons plus de sucre glace, on le crée). Trois minutes passent pas davantage, je n’ai aucune explication à ce qui suit, ça me dépasse. Corail rentre la tête basse, comme boudeuse et file vers les chambres quand soudain on entend un grand remue-ménage (bruits que je n’identifie pas comme habituels) et alors que j’ouvre le frigo et que Kira est à côté de moi à l’évier, elle s’exclame « oh merde ». Ou enfin, « holy shit ». Elle aime beaucoup parler en anglais et ça pourrait être amusant si je ne suivais pas son regard : dans la vaisselle propre entassée et monstrueuse, un oiseau s’est écrasé. Je charge Kira et Chouette de retirer le plus possible de vaisselle pour que je puisse l’attraper et j’y arrive ; c’est une mésange, une très jeune (elle a encore un peu de duvet de bébé). Visiblement échappée non des chambres mais de la salle de bain, elle s’est cognée contre la vitre avant de tomber dans la vaisselle, donc. J’ai tellement peur de la blesser, je ne serre pas assez mes mains et l’oiseau s’envole en panique dans la maison, se cogne au bois, fonce dans la porte-fenêtre et tombe au sol et Corail se jette sur lui alors que je lui hurle dessus. Je hurle tellement fort je tétanise une seconde le chat, ce qui sauve la vie de la mésange, je l’attrape alors qu’elle est au sol comme morte, je serre cette fois, j’ai eu si peur, je sors, j’ouvre la porte puis mes mains en m’attendant presque à la trouver morte effectivement et l’oiseau s’envole comme si jamais il n’avait pris les dents d’un chat un mur de bois deux vitres, je suis sidérée et tout autant en panique que lui, au final. Je m’en veux de l’avoir laissé s’échapper dans la maison, j’ai du mal à voir que c’est bon, il est en sécurité maintenant, tout va bien.
Mais c’est quoi ce chat. Je ne peux pas lui tourner le dos trois minutes ?!
Si ça se trouve, c’était une des mésanges du toit – nous avons posé un nichoir à mésange tout en haut – et c’était peut-être son premier jour d’envol. J’en ai encore le cœur qui bat à cent à l’heure.
Kira a 17 ans. Il s’est passé quoi, je ne sais pas, pour que tout ce temps soit passé l’air de rien. J’ai un peu accouché hier, non ? Un peu, quand même. Ce que je sais par contre, c’est tout le chemin que nous avons parcouru avec elle, tous ces murs dans lesquels elle ne se jette plus, tous ces objets qu’elle ne jette plus de rage, toutes ces blessures qu’elle ne se fait plus. C’est hier qu’elle s’ouvrait l’intérieur des joues avec les dents, c’est hier qu’elle s’arrachait la peau des bras jusqu’à saigner, c’est hier qu’elle hurlait en cognant son corps contre les murs, c’est hier qu’elle disait qu’elle était une horrible personne, c’est encore hier qu’elle hurlait de panique au milieu d’autres enfants qu’elle connaissait. Hier que cinq psys différents de deux régions différentes n’ont pas vu où était le problème avec cette enfant charmante (mais par contre vous parents, devez avoir un gros problème, je veux vous revoir). On a frôlé l’enquête sociale en venant simplement demander de l’aide, nous avions osé parler d’autisme, elle nous a répondu « vous ne lui donnez juste pas assez la fessée, je veux vous revoir dans un mois et que ça ait évolué ». Pédopsy du CMPP.
Elle a 17 ans, elle a été enfin diagnostiquée autiste l’année dernière, elle a de grands down qui me font parfois pleurer, elle est magnifique dans son évolution au monde. Elle créera peut-être son propre travail à défaut de pouvoir s’adapter à ce qui existe, je m’inquiète mais juste un peu, pas trop, j’ai confiance en elle. La manière dont elle s’est sortie de la violence qu’elle retournait contre elle, me fait dire que ça ira. Peut-être.
Elle sauve tous les insectes, tout le vivant, la moindre bestiole de la moitié d’un millimètre : si c’est visible on peut le sauver alors elle le sauve. C’est compliqué de se promener avec elle, parfois je suis à deux doigts de tomber pour ne pas marcher sur une petite bête qu’elle a repéré (et de fait pas moi, malgré toute mon attention). Elle peut rester deux heures devant le compost à observer les insectes, élever des araignées, aussi. J’ai mis au monde une gamine incroyable avec le vivant, et une toute petite partie vient de moi (enfant je l’empêchais de frapper les feuilles des buissons, ce qui rendait fou LeChat, et puis je lui montrais tout ce qui était plus petit qu’elle et on admirait tout).
Hier d’il y a 17 ans est née Kira, et c’est une chance pour le monde.
Samedi 17
Avec ma grand mère nos conversations se fripent, elles se chiffonnent ou se dédoublent, selon, j’adapte les mots, je les change, je les essore pour n’en garder qu’un essentiel sans sens et espérer qu’au fond elle en entende quelque chose. Ce qu’elle en entend est parfois la vérité parfois une invention et j’abandonne lâchement après avoir répété crié et que l’oreille reste sourde alors que parfois elle comprend sans difficulté. J’ai bataillé pour qu’elle sache que j’ai jardiné, même si je ne lui ai pas dit que ce jardinage a consisté à lancé des graines n’importe où, je n’ai l’énergie pour rien d’autre qu’une immense pagaille. J’ai dit, j’ai semé des fleurs. Elle était contente et puis elle a oublié qu’elle était contente et que j’avais lancé des fleurs n’importe où, elle m’a dit je te fais plein de bisous et ça voulait dire laisse-moi. Trois minutes quarante-sept d’appel. Parfois je me souviens qu’elle m’a laissée entre les mains et les mots de ma mère. Parfois qu’elle m’a élevé deux ans et que ça m’a sauvée. Je l’appelle toutes les semaines parce que c’est trop tard, de toute façon, il n’y a plus rien de possible, sinon garder la trace de ces deux années d’enfant.

– graines de ricin
Dimanche 18
L’air est chargé de pollen… cela m’étonne toujours, cette manière de conquérir le monde. L’eau glacée m’empêche d’avancer jusqu’à l’ombre sur la plage en face, je reste un moment installée au soleil pendant qu’ils s’éclaboussent joyeusement (plus tard, j’aurai de l’ombre). Je plonge dans mon livre et plus rien n’existe – plus rien.




Je demande à Noir comment il se tient au courant des concerts (notamment dans le Métal), il s’avère qu’il a des amis qui s’en chargent (dixit, je ne suis pas organisé). Je suis bien embêtée alors je cherche et je tombe sur une appli où je rentre pour l’instant deux noms, Mylène Farmer et Amenra, ainsi que deux villes. Si elle fonctionne correctement, j’ai toutes mes chances.
Un rire m’échappe, incrédule… je ne m’y attendais pas, mais je lui fais découvrir Amenra, justement, alors que son style préféré est le Doom Metal, justement. Retenez bien, il m’a fallu 26 ans pour lui faire découvrir un groupe de musique et il en faudra sans doute encore 26 pour que ça se reproduise – c’est son domaine. Il m’envoie du coup Aleah que je ne connaissais pas et dont il adore la voix, et surtout cette chanson en son hommage, après sa mort (et là, j’aime vraiment).
Hallatar est le groupe formé par son mari et des amis qui lui rendent hommage ; titre posthume mettant ses poèmes en musique et qui inclut aussi sa voix en refrain :
Le soir je fais mes premiers pains hamburgers : un pur délice.
D’un côté, il y a mon allergie aux protéines de lait. Chouette m’a demandé s’il était possible que partant du fait qu’enfant je détestais le lait, cela ait pu déclencher une allergie. J’ai commencé à répondre non en mode « impossible ça marche pas comme ça » avant de rétropédaler parce que le cerveau fait ce qu’il veut, je le sais. J’ai donc commencé à réfléchir en ce sens, pour me protéger de ma mère qui m’obligeait à manger ce qui me dégoutait il est tout à fait possible que j’ai développé une allergie. C’est extrêmement pertinent si on le regarde sous un autre angle : l’intégralité de mes allergies alimentaires sont des choses que je hais profondément.
J’en parle à Blanche qui me répond « en fait tu en as déjà parlé toi-même il y a quelques années ». Je crois que le déni est vraiment puissant…
Dans la nuit, le chat libère une musaraigne dans la maison que personne n’arrive à récupérer parce qu’il fait sommeil – et parce qu’elle est cachée derrière la machine à laver, aussi.
Partages
. Mathématiques : je ne sais pas. Pour la beauté visuelle, je dirais.
. Arte : Zaho de Sagazan ; j’ai aimé l’écouter, même si je ne la rejoins pas sur l’allemand qui m’a été si diificile au collège
J’ai visionné ces quelques minutes d’un concert, et à la toute fin je me suis retrouvé en larmes. Je crois que je peux dire que je pleure tout le temps. En fait. Empathie développée à l’extrême.
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Bon ben moi aussi, j’ai pleuré à la fin de la vidéo. En plus je ne connaissais pas Zaho de Sagazan, et j’étais en train de préparer un cours pour mes cinquièmes cet après-midi. Je ne sais plus quoi faire de moi-même, maintenant 😉
J’adore cette femme, au-delà de la chanteuse que j’apprécie aussi. Elle a 26 ans, elle me parait avoir plus de présence au monde que moi à 48 (je ne sais pas comment l’exprimer mieux). Son lien à l’autre (et à elle-même) est puissant…
(et pardon ^^’ )
Il y a des chansons, des interprétations, une tonalité, une émotion et me voilà en larmes, ou presque. Je comprends, d’autant plus avec Zaho de Sagazan.
Les mots posés pour Kira sont superbes…
Je retiens le documentaire d’Arte car moi aussi je sursaute quand j’entends que « la norme c’est un père et une mère ». Non, j’explose en dedans.
<3
Il y a de quoi exploser pour beaucoup trop de sujets…
Merci pour la découverte de Zaho de Sagazan. 🙂 J’avais déjà entendu la chanson plusieurs fois, mais n’avais jamais eu la curiosité de chercher à qui se rattachait la voix. L’interview de Karambolage est très chouette (comme presque tout de Karambolage ?) ; j’ai beaucoup aimé les dessins qui tremblotent autour de sa voix affirmée. Quant à pleurer à la fin de la vidéo du concert, je comprends, le public est filmé de près dans tout une palette d’émotions, c’est assez logique qu’elle jaillisse chez le spectateur en miroir, c’est même probablement l’effet recherché par la captation (la petite fille qui regarde accoudée à la balustrade puis se retourne vers sa mère est si belle).
(Lancer des graines n’importe où est une version du jardinage qui m’irait bien. 🙂
Avec plaisir ! J’apprécie autant la chanteuse que la femme je dois dire (et oui, Karambolage !). Elle m’impressionne, même, je crois.
Je suis malheureusement extrêmement sensible aux émotions ; même lorsque j’ai conscience que c’est recherché, je n’y échape pas ^^’ (parfois, j’aimerais) (oh oui elle est belle cette enfant).
Je serais ravie que le geste soit contagieux 😀
Je crains que sans terre, le geste demeure stérile. ^^’
(Mon appartement donne sur un jardin, mais je n’y ai pas accès. Les rosiers sont seulement assez aimables pour pousser jusqu’à la terrasse.)
Oh mince, en effet ^^’ Il reste l’option très amusante aussi, de balancer des graines n’importe où dans l’espace public : ça donne des choses étonnantes :p
Ah je pleure parfois tellement aussi pour rien, des fois c’était en regardant des arbres et puis rien en regardant l’hommage à Nadal à Roland Garros, et juste avant quand j’ai regardé ton lien avec la vidéo de Mylène Farmer à Cannes…. donc bon je te comprends
@La Souris : moi j’essayerai de jeter des graines dans le jardin du dessous l’air de rien 😉 en fait c’est quelque chose que j’ai envie de faire depuis un moment chez mes voisins des rez-de-jardin qui, dès que l’herbe a un peu poussé, passent la tondeuse… 🙄 https://www.apiculture.net/blog/lancez-des-balles-de-graines-dans-la-nature–n292
Oh, ça me rassure de ne pas être seule ! Ce n’est pas évident, ces émotions très présentes.
Hé hé, en voilà une super idée 😀