Mardi 15
10h15. Je ne l’ai pas vue venir, mais la grasse matinée m’a trouvée. Je n’ai pas apprécié. Enfin disons, je suis ravie d’avoir dormi afin de rattraper vaguement le retard pris dans mon sommeil, mais agacée pour celui pris dans ma journée. J’ai dû me lever et lancer le petit déjeuner à l’heure à laquelle j’aurais dû donner le cours de couture à Kira, tout a été bousculé. Après quoi j’ai lancé trente minutes de japonais et enfin la couture a pu se faire, plus ou moins à l’heure du repas.
N’importe quoi.
J’ai cuisiné des cookies (sans pépites) inventés sur le tas pour contrer le « je n’aime plus le chocolat ça me rend malade » de Kira (je ne sais plus comment nourrir cette ado). Comme je n’avais plus de noix d’aucune sorte, ça a donné : graines de sarrasin, cannelle et épices, une cuillère de chocolat en poudre.
Verdict : Chouette n’aime pas (mais elle aime rarement), Kira a dit « c’est une dinguerie » et je plussoie, biscuits préférés et de très loin.
J’ai la sensation que je lis Hyperrêve exactement au bon moment, c’est à dire quand elle est morte. Parce qu’elle écrit sur avant la mort de sa mère, je peux lire pour moi lors de l’après, je n’ai pas à me demander si « je devrais », je ne dois plus rien. Je suis dans un après qui revisite, explore ce qui aurait pu être et surtout ce qui a été, mais c’est figé, dans l’absolu. Cela permet enfin de travailler sur une base stable, rien ne bougera plus de la relation. Triste mais efficace, aussi. Je n’ai plus la sensation d’être sur un bateau en pleine tempête. Plus de regarder une tempête qui a eu lieu et d’y retourner volontairement, peut-être pour me prouver que j’en ressors vivante chaque fois.
Bizarrement, elle me fait bifurquer aussi.
(Jacques Derrida dit) « Et chaque fois, à la même date sera commémorée la date de ce qui ne saurait revenir »
J’ai laissé passer la date de l’amitié perdue à jamais (à jamais parce que je ne sais pas lui dire que l’inadmissible ne peut plus advenir et d’ailleurs non, c’est faux, je l’ai dit et il a répondu qu’il ne saurait me promettre que cela ne recommence pas, j’ai essayé mais, fin donc de lui et de moi, à jamais) ainsi que la date de l’accident un an après lié à lui et où je me suis brisée le nez. Je n’ai rien commémoré, j’ai oublié – bon signe ? Avancée, peut-être. Déchirure, aussi.
L’amitié meurt toujours trop vite, ou toujours trop, ou toujours.
Il est rentré et de le voir alors qu’il m’avait prévenue, il est rentré et j’ai reçu comme un coup.
Mercredi 16
Je dors à peine, la petite contre moi sur l’oreiller – depuis deux jours elle va bien. Je ne sais pas le pourquoi de ce sommeil chaotique et bouleversé de rêves ; une amie qui ne l’est plus (depuis le jour de mon mariage) est assise à une table dans une classe de primaire. Je n’ose pas m’asseoir près d’elle puisqu’on est séparées/fâchées/brouillées/quelque chose peut-être rien. Je m’assois à deux tables d’elle. La disposition fait que je tourne le dos à la classe (à ma droite, le tableau), mais je ne suis pas la seule dans ce cas. J’essaye de suivre le cours et finalement je me retrouve face au tableau et L. est assise à ma droite à une place près. Plus proches certes, mais on ne se parle toujours pas.
Ce qui me perturbe au réveil, c’est que je n’avais jamais vu L. avec une queue de cheval.
Dans la vraie vie, l’amie a comme senti les nœuds se défaire de mon côté – je ne vois que ça – parce que soudain, elle est là. Cela m’étonne toujours comme tout est lié, même, ou surtout, l’invisible.
Je colle dans le carnet et dessine vaguement. J’aime.
LeChat rentre et dans ses mains il tient onze roses rouges – on a eu peur et finalement tout va bien, c’est fou comme ça resserre les êtres, la peur. Même lorsqu’on n’a pas besoin de se resserrer, le mouvement est là, soudainement deux êtres plus proches encore. La vie est sans pitié mais là c’est un peu un suspens un rappel un prends donc soin et apprécie ce que tu as. Revient la phrase d’Hélène Cixous, on peut toujours perdre plus et c’est bien parce que c’est ancré gravé sous ma peau que je suis si tendue lorsque ça dérape – où qu’il semble que ça dérape.
Est-ce que toi, tu vas bien ?
« On peut toujours encore perdre au-delà de la perte »
Conscience renouvelée de la fragilité de nos vies, de nos êtres. Alerte qui n’est finalement que cela, une alerte et pourtant il y a eu ce basculement le temps de beaucoup de respirations.
Et repenser à cette chanson.
Jeudi 17
Je trie la laine donnée l’année dernière par Belle-mère, de toutes les couleurs et taille, profusion visuelle dont je ne sais plus que faire. Je donne une petite chance à quelques pelotes d’être transformées en pochette-cadeau – je donne le reste, je la dépose dans un sac comme on se sépare d’un biscuit apprécié malgré l’erreur de parfum. Une petite chose en moi s’attriste du départ, une autre s’en réjouit. Je ne crochète plus rien pour qu’il devienne un vêtement, ce n’est pas suffisamment doux – l’importance de la douceur.
Je reçois une alerte MDPH et je me retrouve les larmes aux yeux sans rien savoir du message. Je ne sais pas si c’est la peur d’être refusée ou celle d’être acceptée ou simplement d’avoir été lue et peut-être entendue.
Je me connecte, et connaître leur verdict est là encore un parcours du combattant. Le site le plus mal fait de toute l’administration je crois – ce n’est pas peu dire.
Je suis reconnue handicapée avec carte CMI stationnement (que je ne demandais pas) mais pas pour pouvoir m’asseoir ou couper les files (dont j’ai besoin) et j’obtiens l’AAH sans spécifier le montant mais avec surprise (j’ai été entendue dans notre galère). La CAF m’envoie un message pour me dire qu’ils s’occupent de ma demande, qui est en fait celle de la MDPH, mais qu’ils sont débordés – la CAF est toujours débordée.
Je n’arrive pas à me réjouir. Peut-être un peu sonnée de me retrouver avec le statut handicapé, ce que j’ai pourtant toujours été ; peut-être un peu embêtée de ne pas avoir obtenu la carte nécessaire ; peut-être gênée parce que LeChat voudra sans doute que je conteste, ce dont je n’ai pas l’énergie.
Plus sûrement, je ne sais simplement pas quoi faire de ce nouveau cadre qu’il va falloir apprivoiser.
Est-ce que je peux recevoir la carte sans être diminuée, sans être dominée par la société, le regard posé. Je me sens un peu muselée par un bout de papier qui dit que je peux me garer partout mais pas demander à m’asseoir.
Je n’ai pas besoin de la carte stationnement, le jour où ça sera le cas alors j’aurai beaucoup régressé – et je travaille à ce que ça n’arrive pas. Mais c’est le premier échelon. Premier niveau, carte stationnement. Deuxième niveau, carte priorité. Je suis au deuxième sans passer par le premier, je suis fichue à l’envers, toujours à l’envers.
J’attends toujours pour le dossier de Kira, envoyé deux mois avant le mien.
Je tente de planifier :
. des vacances, parce que j’ai annulé la Bretagne pour cause de fatigue intense du conducteur qui a besoin de se reposer – et a fini par convenir, qu’en effet. Je tente plus proche, mais les prix de gîte sont exorbitants, j’arrête.
. un concert parce que j’aime bien Zaho de Sagazan, mais le prix est un peu élevé. Je l’apprécie mais pas à ce point, peut-être. Tout n’est donc que luxe ?
. un autre concert, de Ibrahim Maalouf dont je suis fan mais je suis tendue par l’accusation contre lui et le prix encore plus élevé. Est-ce qu’on peut aller voir en concert un mec qui se tourne vers une gamine de 13 ans ? J’abandonne.
Vendredi 18
Nous profitons d’un retour précoce de LeChat du travail pour nous envoler sur un chemin pour les vélos. Chouette prend ses patins et échappe à notre vue le plus souvent (et longtemps) pendant que nous marchons entouré par des vignes. Un tracteur envoie des billes blanches d’azote dans son champs et nous asperge telle une pluie de grêlons – expliquant dans la foulée les billes du chemin entre les champs proche de la maison. Inexprimable instant où les boules blanches nous tombe dessus depuis un ciel sans nuage ; une joie très enfantine remonte en moi, comme de la neige ou des papillons – je te l’avais dit, ce n’est pas exprimable.

Samedi 19
Médiathèque, courses, pluie
– j’ai oublié de développer.
Il n’y avait sans doute rien à dire.
Dimanche 20
Chouette joue les mains dans les plantes, à extraire des couleurs, des encres. Je lui ai prêté mon livre, elle s’amuse avant moi. J’ai eu tout le temps de jouer en premier, mais le temps tu sais. Le temps pour excuse banalisée à l’extrême, pas d’excuse réelle donc sinon la crainte de me lancer dans. Je m’exaspère, à force. Mais je suis ravie de la voir s’amuser.

Je continue de poser mes livres sur des étagères pixelisées, et je reçois des demandes d’ami de personnes inconnues – sans se parler tout de suite, c’est merveilleux. Enfin je dis « des » mais elles sont deux inconnues à avoir eu envie de suivre ce que je ne dis pas. J’aime beaucoup cet espace.
Étonnant comme le thème revient me chercher. Je redécouvre ainsi une dédicace de Mâkhi Xenakis, qui n’était pas pour moi mais visiblement pour une amie. Sur un autre de mes ouvrages, je m’aperçois qu’un papier a été collé, puis deux, en fait trois, dessous on aperçoit des mots, Félicitation à la meilleure dessinatrice du (monde ?), signé Cécile. Puis la réponse, Merci Cécile je t’oublierais jamais, signé Aliénor. Je suis touchée par ses deux jeunes filles qui se sont écrit des mots sur la page de garde – le samedi 7 décembre 2008 – un aperçu flou d’une vie à deux, une amitié profonde réunie pour un instant fugace sur la page d’un livre. Puis caché. Je ne sais pas ce que cela veut dire, s’il y a eu volonté d’oubli. Ont-elles disparu.

Ce qui n’est pas disible sur ce site où je range mes livres ni nulle part vraiment d’ailleurs, c’est la vie qu’ils ont eu, leur vie passée, les amitiés qui se sont nouées, dénouées, envolées, amusées, scellées… Entre mes mains ils se racontent légèrement, seulement légèrement. Et déjà, c’est si touchant.
L’après-midi nous partons marcher avec ma belle-mère sur la piste cyclable, au milieu de nuages grandiloquants et d’un soleil éclatant.



Partages
. Podcast : Mylène Farmer sur France Culture. Le ton est aussi ennuyeux qu’il est plat, mais j’ai appris deux trois choses comme les victoires de la musique (Fuck them all, j’ai tellement ri) ou encore les fans dans Libération. Comment elle est perçue en Russie est fort intéressant aussi, et tout cela finalement aurait mérité un bien plus grand développement.
. Art : après avoir lu un livre très beau, j’en ai cherché plus sur l’autrice qui avait également peint la couverture. Je suis tombée sur son blog, absolument subjuguée par son univers. Elle me donne envie de peindre – mais enfin déjà terminer le dessin de Jinx, ça serait un bon début…


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Mmmm les graines de sarrasin dans les cookies !
C’est mal fait quand même, ces histoires de cartes associées au handicap – le boyfriend en a une qu’il prend grand soin de ne jamais sortir dans les transports (ni ailleurs). Je crois que ça a à voir avec le fait de ne pas être considéré comme un handicapé par la société – même dans les situations de handicap, résister à l’essentialisation qui l’y réduirait.
Je découvre, je deviens une grande fan ^^
Il se trouve que j’ai reçu par la Poste le courrier de la MPDH avec tous les comptes-rendus, et que (contrairement à ce qu’annonce le site), j’ai bel et bien la carte pour demander à m’asseoir ! Et comme ton boyfriend, je vais prendre grand soin de ne pas utiliser cette carte (en tout cas, pas de moi-même). J’avais besoin de la reconnaissance il faut croire, puisque cela me soulage inexplicablement (mais m’en servir ? Avec le regard actuel sur les personnes en situation de handicap ? J’abandonne).
Chouette pour la carte ! C’est toujours bon d’avoir un joker avec soi !
Mais oui, ouf !
Si ça peut aiguiller tes choix : on est partis du concert d’Ibrahim Maaalouf après 20 minutes parce qu’on s’y ennuyait infiniment (mais on avait vu Asaf Avidan juste avant qui était extraordinaire, peut-être qu’on avait simplement été suffisamment remplis).
Zaho de Sagazan était immense et cathartique, je te la recommande chaudement si tu le peux (le prix des billets est hélas atrocement prohibitif)
Incroyable… je ne pensais même pas possible qu’on puisse s’ennuyer à un concert (je veux dire, c’est un impensé puissant, je suis consternée que ce soit envisageable) ^^ Je l’ai de toute façon rayé de nos possibilités, pour les raisons évoquées, mais je dois dire que ton commentaire enfonce le clou.
Je note merci 🙂 Je suis encore plus tentée ^^
Sous quel pseudo es-tu inscrite sur LA ? je serais une non-inconnue qui te demandera en amie 😉
Ah les amitiés perdues, mortes et enterrées à jamais… je connais si bien
Sous « Dame Ambre ». Merveilleux, merci, enfin une personne connue 😀
♡ si difficile de s’en remettre parfois..
Le temps, un vaste sujet, temps que l’on utilise pour ne pas faire, pas être…
C’est bien pour la carte, la reconnaissance, enfin j’imagine. Savoir qu’on est entendue, vue.
Quant aux amitiés, certaines deviennent des blessures et il faut trouver comment vivre au mieux avec.
Belle semaine à toi!
C’est bien parce que les personnes qui m’accompagnent pourront toujours faire valoir ce que je n’arrive pas à faire moi-même ^^’ Et oui, être vue, reconnue, c’est si important !
C’est ça..
Belle semaine toi aussi 🙂