Mercredi 9
En ouvrant son volet, Kira découvre plus haut dans l’amandier, l’écureuil en train de grignoter son petit déjeuner (absolument pas dérangé par notre présence, il est bien trop concentré sur son amande).
Deux huppes faciès se posent au sol et le fouillent, à la recherche de vers sans doute. Ce sont les premières sur le terrain – qu’elles sont immenses, et sublimes. Le temps de les observer puis de chercher l’appareil, elles s’envolent…
Le soir LeChat cherche un film d’horreur regardable par Chouette (13 ans) restant appréciable pour nous adultes. Autant te dire que le concept ne m’emballe pas. Il opte pour Paranormal Activity et dès les premières minutes je songe à arrêter et me poser dans un coin autre que devant cette chose tournée à la manière de Projet Blair Witch qui m’avait rendue malade (la caméra, pas l’histoire ridicule, pardon pour le jugement posé). Finalement je reste mais détourne le regard lorsque ça bouge trop.
Chouette a eu peur, Kira pas du tout, LeChat a passé un bon moment et de mon côté, je suis consternée par le contenu. Sans vouloir vexer les réalisateurs de ce type de film, la réalité est plus flippante que… ça – et par réalité, je parle bien du sujet.
Jeudi 10
Je rêve que LeChat veut dépasser une voiture (trop lente ? qui existe juste ? qui l’ennuie ?), déboite au moment où une voiture arrive en face de nous et on se la prend, on percute de plein fouet la voiture blanche et l’impact me réveille en criant. Il est 6 h 30 et il est déjà parti travailler, je ne peux même pas me rassurer contre lui.
Je respire mal, c’est comme ça que je pense à prendre mon traitement, j’ai le souffle bloqué loin à l’intérieur, en enfance peut-être. Avec tout ce que j’ai écrit (mais toujours pas posté), ce n’est peut-être pas étonnant d’être un peu bloquée loin.
L’angoisse m’attrape par surprise, sur un mail puis un énervement de LeChat sur Kira. C’est donc tout naturellement que je vais lire la personne qu’il ne faut pas et m’apercevoir à quel point je suis mise de côté. Deuil s’il te plait, deuil. Un jour il faudra vraiment parler de ce deuil terrible qu’est l’amitié agonisante.
J’apprends la mort d’Anna Jouy que je lisais dans une autre vie (celle avant de disparaitre 4 ans), je la retrouve alors qu’elle n’est plus, n’écrira plus. J’adorais ces poèmes de l’aube et du soir et du midi mais quand je regarde, son espace a changé. Maintenant elle parle de rêves-traduction de la nuit, hors chants, ou encore espaces poreux et je me sens décalée par son absence au monde, je suis là où elle n’est plus. Je vais la lire alors qu’elle ne respire plus, et qu’à terme son espace non payé un jour, disparaitra entièrement. Je lis et je suis triste.
Lors d’une amitié perdue, l’autre est mort pour soi mais dans le même temps bien vivant. C’est peut-être là le drame, la mort n’y est pas franche, tangible, réelle. Elle devient une mort intouchable.
Je prends les émotions
(Edit vendredi : phrase pas terminée.. aucune idée de ce que j’ai voulu écrire hier)
Vendredi 12
Je désherbe sous le chant des mésanges
Dans la boite aux lettres arrive le cosplay et c’est merveilleux ce soulagement. Le colis a mis un mois et demi à nous parvenir mais il est là et c’est tout ce qui compte. Très peu de retouches à faire (pour adapter à Kira), les coutures sont parfaites et droites, c’est clairement de bonne qualité. La wig par contre est à adapter, la frange arrive pratiquement sur le menton oO
Samedi 13
Ma plus grande journée jardinage, je crois que j’occupe les idées noires – et d’ailleurs, sous le soleil elles deviennent grises et parfois même invisibles. Corail m’accompagne, avec les herbes hautes elle vit dans la savane. Je pense que régulièrement, elle se prend pour une panthère.


Nous partons marcher et je commence à sentir les courbatures dans les cuisses (le jardin, c’est physique), je ne bouge pas suffisamment. Je crois. Ou je dose simplement très mal, l’équilibre n’est pas évident pour ne pas déclencher les douleurs – qui de toute façon se déclenchent seules. Au moins les courbatures sont « normales », elles.
J’appelle ma grand-mère qui m’expédie, persuadée qu’on va venir la chercher pour manger. Il est 17h.
Dimanche 14
L’écureuil court le long du frêne et je le perds de vue dans les herbes hautes, aussi vite qu’il est arrivé.
J’observe LeChat à travers la fenêtre constellée, il plante les fraisiers sous la pluie fine du jour. Je le rejoins avec le parapluie rouge et je le guide, là tu peux planter, là non j’ai semé des fèves. Je me demande fugacement à quoi nous ressemblons, là, sous la pluie, à jouer dans le jardin comme un jour de soleil – j’aime l’image.
Je rentre les livres de mes étagères sur Livraddict, je me dis que ça va m’aider à ne pas acheter de doublons lorsque je serai en librairie – vécu pénible. Parce qu’une erreur se glisse dans un livre que j’ajoute, je me retrouve à écrire un message et parce que j’écris un message je me dis qu’il serait bon que je me présente. Ça me prend tout. Paradoxalement, ça me soulage, aussi : c’est fait.
J’ouvre des livres que je n’ai pas lu (et celui-ci, ce fut la faute à la dépression sévère qui m’est tombée dessus plusieurs années), qui sont en attente de l’être et rien que de les avoir entre les mains, l’envie me revient avec puissance. C’est ainsi que je lis sur la page de garde du livre Hyperrêve d’Hélène Cixous, « 2017 – offert par LaSouris » – ce sourire, chère madame.

Dans le casque j’entends la question, quelle est ta raison de ne pas disparaître.
Et je ne sais pas. Toi, qu’elle est la tienne ? Tu fais comment pour savoir si cela suffira, le jour où. Je ne sais même pas comment, moi, j’ai suffi le jour où, comment j’ai fait pour, c’est comment de résister sans la compréhension de ce qui tient ? Tenir dans les bourrasques sans se demander pourquoi, peut-être que tant que la question n’est posée par personne, on tient, qu’on lâche seulement si.
L’envie de pleurer me tient.
J’ai réalisé que mon plus grand désarroi finalement dans la perte de l’amie, c’était l’abandon. Il s’est salement réveillé, l’abandon. À cause de lui je me noie dans la compréhension de ce qui est, de ce qui fait mal. Où est sa perte à elle si finalement tout ce qui blesse, c’est l’abandon réveillé. Quelle est sa place à elle, là-dedans. Il masque ce qu’elle est pour moi, l’injustice est profonde, il tient trop de place – il tient la sienne.
– débrouissailler la peur.
Et voir ce qu’il reste.
Se pose désormais la question du réel effondrement de l’amitié, ou d’une simple réaction de peur de l’abandon face à une amitié fatiguée par un burnout de son côté.
Étrangement au vu des émotions débordantes qui m’ont bousculée, ce fut l’une de mes plus belles journées – apaisée. J’ai sans doute trouvé la bonne approche sur ce qui me traverse.
Lundi 14
Aperçu l’écureuil. Ombre rousse fugace le long du frêne. Je me demande si toutes les fois où je ne regarde pas, je me demande s’il existe encore.
Je lis Hyperrêve, et elle dit « on peut toujours perdre plus ». Ma plus grande terreur.
Je la lis et je sens le lent chemin de ses mots, comme elle a manqué à mes profondeurs. Depuis quand ai-je entamé ce voyage d’appauvrissement. Depuis quand n’ai-je pas pris soin de me nourrir pour aller plus loin. Je la lis et m’enroule sur moi-même pour mieux être moi. « On peut toujours perdre plus », me répètè-je et je ne pars pas de si loin non plus (pas cette fois), seulement de très très loin. Ça aurait pu être pire.
Je la lis oindre la peau de sa mère et cela rien que cela me ramène 25 ans en arrière lorsque je sauvais le doigt noir de ma mère, un hiver. Est-ce qu’on s’occupe de nos mères comme elles s’occupaient de nous ou est-ce qu’on fait mieux. Est-ce qu’on essaye, de faire mieux. Est-ce qu’il est seulement possible de faire mieux. Elle n’a plus de doigt à perdre. Ce que j’ai perdu moi va au-delà de ce qu’elle a été, il n’y a plus rien.
La souffrance revient. Étouffe.
Une autre origine de noyade émotionnelle à ramener à la surface.
Je ne la lisais plus, peut-être pour ne plus creuser.
Partages
. Podcast : Quelques raisons de ne pas disparaitre (#dépression). Bousculant et très intéressant. Pardon si c’est trop pour toi
. Documentaire : Animaux, le sexe en toute liberté (Arte) – les comportements sexuels les plus divers dans la nature, vraiment intéressant
. Art : Spencer Byles : site, instagram



En savoir plus sur Carnets
Subscribe to get the latest posts sent to your email.
C’est rigolo que tu ais choisi à la fin de nous présenter des œuvres qui donnent l’impression de se promener dans la forêt de Blair 😛
Ah ah certes ^^ Je ne me souviens pas suffisamment de ce film pour avoir eu cette sensation de beauté (j’ai fermé les yeux les trois quarts du temps pour pas vomir dans la salle)
J’ai exactement le même problème que toi, je comprends 🙂
Oh, ce livre ! (Que je n’ai pas lu, ni aucun de l’autrice.) Je crois que je l’avais trouvé chez Gibert. 2017, déjà. C’est drôle, je suis allée à Tours cette semaine et j’ai cherché sur mon blog de quand datait ma découverte de la ville : 2017 aussi. Comme si cette tranche de vie voulait se rappeler à moi.
Pour ce qui est de creuser, si ça fait peur, ça vaut peut-être le coup de le faire accompagnée par un spéléologue de la psychée ?
Elle n’est pas facile à lire, mais lorsqu’on plonge elle est magnifique.
Oh comme c’est intéressant ça, il y a sans doute quelque chose à creuser (ça reviendra à un autre moment si tu ne trouves pas maintenant). Huit ans tu te rends compte…
Ce n’est pas que ça me fait peur, au contraire. J’adore creuser même quand ça fait mal, j’aime faire remonter des choses et si elles sont difficiles c’est d’autant plus formidables (je ne sais pas comment l’exprimer sans que ça paraisse masochiste). Je n’aime pas souffrir (du tout du tout du tout), j’aime que ce qui est blessant apparaisse pour pouvoir en prendre soin. C’est pour ça que j’écris, en premier. Pour remonter ce qui préfère rester cacher.
Mais le psy (que tu le dis avec beauté !), je n’y arrive pas. Il me faudrait tester jusqu’à trouver celui qui me convient, ce qui m’épuise d’avance. Et ma mère m’a ancré la peur du psy avec beaucoup de violence, je n’ai pas encore dépassé ça.
Mais si un jour j’entends parler d’un psy incroyable dans mon coin, je tenterai peut-être.
Vu de l’extérieur, c’est étonnant cette peur du psy quand tu décris exactement le travail qu’il aide à faire et que tu sembles accomplir seule à mains nues. (Tu l’exprimes très bien, aucun soupçon de masochisme là-dedans.)
Je rouvrirai de temps à autres les livres d’Hélène Cixous à la médiathèque, pour me redonner une chance d’y entrer. 😉
J’imagine.. c’est amusant presque, que ce soit la chose à laquelle je touche le moins ^^’ (je veux dire, la possibilité de travailler le problème pour pouvoir aller voir un psy qui me ferait de fait aller bien plus vite, ça devrait être une priorité, je suppose).
🙂
Jolies les installations de Spencer Byles, ça me fait penser à celles d’Andy Goldsworthy tu connais ?
Oh non je ne connaissais pas, c’est sublime (il faudra que je le partage lui aussi ^^)