Samedi 1er – Balayage
Ma tante-marraine m’appelle, ma grand-mère, qui devrait être épuisée par l’infection, les traitements, les précédentes chutes puis la grippe, est repartie à fond avec son déambulateur, et s’épuise. Je ne l’ai jamais connue assise. Toujours active, à marcher vers un but ou un autre, même regarder un film il fallait qu’elle soit debout à repasser. Sauf que son corps fatigue, tellement que lors des activités soit elle s’endort sur son fauteuil soit elle fait des allers et retours dans la pièce et tangue. Mercredi, elle marchait donc dans tous les sens, a trouvé une porte ouverte qui n’aurait pas dû l’être et est tombée dans l’escalier – deux marches. Elle s’y est brisée des côtes, ou fêlée on ne sait pas bien, il faudrait faire des radios et personne ne va l’embêter avec ça alors qu’on ne peut rien y faire de toute façon. Depuis elle tangue encore plus. Elle verse sur le côté, elle est rattrapée à temps la plupart du temps. L’Ehpad, bien inquiet, a posé une barrière qui gêne tous les visiteurs, pour qu’elle ne chute pas dans les escaliers à côté de l’ascenseur, douce attention.
Et puis cette nuit elle n’a appelé personne, elle s’est levée pour aller aux toilettes, a oublié d’utiliser la chaise et elle est tombée. Encore. Elle s’est blessée de nouveau aux côtes, cette fois elles sont sans doute cassées.
Ma tante m’a proposé de venir bientôt la voir, j’ai sauté sur ces mots, je n’avais pas compris que j’attendais une invitation en réalité. Que j’avais besoin. Ce qui m’interroge fortement sur la place que je prends, moi, dans la famille, et elle ne me semble pas lourde.
Elle m’a dit, tu viendras chez nous ou chez tante-presque gentille – mais moi toute seule, trop à gérer sinon avec toute ma famille – et je n’ai pas su comment répondre que je préférais chez la deuxième sans la blesser. Même si j’ai peu de liens avec elle, elle est celle qui me tient au courant, qui me permet d’appeler le samedi, j’apprécie beaucoup. De l’autre côté, tante-presque-gentille est si angoissée par tout, je crains de l’envahir, d’être un poids. Finalement elles ont tranché dans leur coin et je vais chez tante-presque-gentille. Je crois qu’elle aime mes silences.
J’ai pris les billets, je pars mercredi et rentre vendredi.
Aujourd’hui ma grand-mère savait exactement qui j’étais, le nom de mon mari, son métier, le nom des enfants. En quittant elle m’a dit « à samedi, si je suis encore là » avec cette voix qui pourrait te faire dire que c’est elle qui m’enterrera (alors que dans les douze minutes de conversations qui ont précédé, c’était quand même bien la pagaille).
(elle sera prévenue le jour même de mon arrivée, pour ne pas la rendre plus fébrile encore qu’elle n’est)
Depuis que j’ai les billets, j’ai envie de pleurer. Ils rendent concret comme elle se rapproche d’une certaine fin, celle avec nous, alors que finalement elle peut complètement reprendre toute son énergie et avoir un autre anniversaire. Quitter l’hiver. Tout est là, dans ce quitter l’hiver.
De manière plus terre à terre, ils blessent le compte en banque qui n’avait pas prévu cette dépense, pas plus que EDF qui aurait dû tomber en mars et a fait mal deux mois d’affilés (ça leur arrive de temps en temps). Depuis la couronne, c’est une hémorragie – vivement le remboursement.
Aujourd’hui coup
Le coup est la chute, puis encore la chute, toutes ces chutes, le coup est dans le billet pour la voir en ciblant « la dernière fois » alors qu’on ne sait pas ne saura pas ne saura jamais jusqu’à ce qu’on y soit, le coup est dans les phrases à l’envers celles qui n’ont pas de sens mais qui nous lient ensemble dans une pagaille touchante, le coup est dans ce voyage qu’il me faut apprivoiser et qui me bouleverse.
Dimanche 2 – écrasée relevée
L’angoisse domine, dévore, embrase jusqu’à l’écrasement. J’étouffe d’une douleur dans la poitrine, un besoin de hurler pleurer craquer est en train de m’agripper et je ne sais pas à quel moment ça va éclater – par pitié, pas là-bas. Elle est là quand je parle, marche, ramasse des déchets, dessine, joue, respire, tente de l’écouter puis tente de l’écraser dans un effort lamentable de ne pas écouter, la souffrance est physique et je ne sais pas ce que nous allons devenir, elle et moi.
Je vais me ramasser.
Le soir ils regardent le film Made in Abyss situé entre les deux séries, qui signe l’arrêt définitif pour LeChat et Chouette (ils ont tenu plus longtemps que moi), et ils sont ravis de voir le court-métrage trouvé chez Kalys qui rééquilibre leur soirée. Il me touche profondément et c’est Kira qui a les mots, il fait penser à nous.
Merci. Et pardon de le dire ici.
Aujourd’hui toujours par deux
Nous marchons sur un chemin boueux caillouteux, au milieu d’une terre vide et trempée, parfois accompagnée de LeChat, parfois de Kira, parfois de Chouette, toujours les pas sont par deux, jamais davantage. Une bizarrerie du jour.

Lundi 3 – la solidité du frêne et la fragilité du voisin
Alors que j’accroche la deuxième machine (le soleil est enfin de retour), j’entends la voisine se plaindre à mon beau-père de notre arbre. Je me dis que c’est le moment d’aller les voir par-dessus la clôture, de comprendre le problème. Le voisin est un sanguin, il s’énerve sur moi et je lui demande de se calmer, il me saoule à mal me parler. Je le force à me dire bonjour, après m’avoir sauté à la gorge, il apprécie moyennement. Que sa femme le supporte si ça lui chante, je n’ai pas à subir ses colères. Il me répond qu’il n’est pas énervé et que je le saurai quand ça arrivera . Vaste blague. Je sens que je suis une femme et qu’il ne me parlera jamais mieux, je sens sa violence et je me demande, il est comment avec elle ? Je le recadre trois fois mais il s’en fout – c’est dit, au moins.
Je me suis engagée pour la semaine prochaine à tailler ce qui dépasse encore (les lilas ont bien sûr poussé de nouveau, mais si peu), et à discuter avec mon mari pour couper ou non le haut de l’arbre (qui était pourtant revenu de la dernière conversation sans devoir l’étêter, mais là le voisin crie tout seul au scandale que ça n’a pas été fait l’année dernière comme convenu, qu’on en fait qu’à notre tête). Quelques envies d’ermitage plus tard, je suis repartie tendue, cet arbre magnifique qui nous fait une ombre merveilleuse l’été ne peut pas être fragilisé par une coupe ridicule (un champignon sévit en Europe depuis 30 ans, le risque de l’affaiblir est là). Il le dit friable, que le frêne casse comme du verre alors qu’il est connu pour sa solidité. La malhonnêteté en bandoulière.
Je n’aime pas les gens. Surtout lui.
LeChat part sur l’idée de le cadrer, lui tenir tête, tout en coupant ce qu’il faut mais pas davantage. Je ne le sens pas du tout, ça va dégénérer en guerre ouverte, cette histoire.
Envie de me rouler en boule et pleurer durant les trois prochaines années, sur une île déserte.
Aujourd’hui question idiote
Qui est le plus fragile à risquer de se briser comme du verre, l’arbre ou l’homme ?
Mardi 4 –
Je n’arrive à rien depuis samedi, suis comme enfermée avec une douleur dans la poitrine et je ne peux même pas dire que ça s’est aggravé avec hier, pas vraiment, ça a juste rajouté une couche entre le monde et moi. Les commentaires s’entassent, attendent, les blogs aussi. Je dois préparer mon sac, je ne souhaite que terminer un livre auquel j’ai donné une seconde chance et qui m’a bousculée profondément. Est-ce que tout est une question d’instant ? Il le fallait juste là, à quelques heures de revenir. Retourner dans la famille, c’est replonger dans la mère. C’est la première fois que je remets les pieds au pays sans qu’elle y respire puis y meurt, il y a trois tonnes de terre entre elle et moi. Poussiéreux. J’ai plus de difficulté à retourner où elle est née, où elle est morte, que là où elle a vécu fracassé. Je ne suis pas sûre d’en saisir la logique.
Je plonge dans le livre et je remplis le sac avec . cherche ma jumelle. Trop à dire sur ce livre . tellement qu’aucun mot ne vient. Mais il était celui qu’il me fallait lire avant le voyage.
Je range, le blog, l’espace, babelio, je range, corrige, envoie et ne m’apaise pas. Je suis malade, lentement mais sûrement, complètement détraquée de l’intérieur. Et puis je ne sais pas. Quelque chose se délie. Je fais effectivement mon sac, j’y pose des vêtements critiquables qui auront le bon goût de ne pas se vexer. Peut-être que ça éloigne l’angoisse, des tissus éponges qui prendront à ma place tout ce que je ferai mal. Je cuisine le repas et manger m’ancre dans l’instant. Nous pâtissons des sablés pour qu’il y ait des goûters même en mon absence, je lis encore celle que je suis entre les sœurs, le termine avec une tasse de thé, le poids se délite, nous marchons avec ma BM et le soleil écrase le reste. Une cousine appelle alors que je marche, je m’attendais à la seconde pas à elle, et je préfère. Est-ce que c’est horrible, les préférences entre cousins ? Elle m’appelle une fois par an, ne s’emmerde pas à me reprocher mon silence, elle sait exactement les difficultés et les replis et sans doute je l’aime aussi pour ça. Elle me raconte son année, je tais la mienne. Elle me dit, je crois que mamie attend que tu viennes la voir pour partir et je ne le pense pas mais ça me met quand même les larmes aux yeux, là, en plein sur mon chemin. On essaiera de se voir jeudi, entre les mots bouclés de mamie. Je remplis ma visite avec tout le monde, une journée sans respirer, à essuyer les critiques, aussi. Je ne sais pas protéger mes cheveux, mon corps, mon alimentation, ma présence, mon existence, ça va tailler sec sans la présence de LeChat.
Ou pas.
On sera peut-être trop occupé, eux à critiquer ma grand-mère et moi à écouter sans vague.
Aujourd’hui ça me regarde
Disons que ça n’a pas l’air comme ça, mais on ne peut pas tout raconter.
J’écoute Mylène pour me cadrer, elle choisit le titre sans le savoir.
Je ne relis rien, j’envoie avant le départ.
Qu’il y ait cassure – entre deux présents.
En savoir plus sur Carnets
Subscribe to get the latest posts sent to your email.
Pas doux, les mots, même si c’est ceux que tu as demandés. La vie cingle et brûle assez, je sais, mais je me souviens que tu t’efforces à, et j’ai envie de te dire que parfois la colère est légitime. Reposante, jamais, mais légitime.
Je suis heureuse que vous ayez pu vivre un moment de partage autour de ce court-métrage. Quand je l’ai vu j’ai pensé à la façon dont j’aurais été si j’avais eu des enfants, la façon dont je suis peut-être avec ceux qui ne sont pas les miens, et à ma mère dans ses silences.
Je te souhaite cette cassure puisque tu la conjures avec un subjonctif, à moins qu’à la phrase manque le début. Dans tous les cas je te soutiendrai de toutes mes forces – et tu m’as dit un jour croire aux fantômes alors je suis sûre que tu peux croire aussi aux présences distantes et aux silhouettes amies qui tentent de se frayer un passage dimensionnel jusqu’à toi. Mes bras sont à portée si tu le souhaites, penses-y et puise-y ce dont tu as besoin.
La colère légitime.. c’est fou comme j’ai du mal, même avec elle. Je ne la laisse jamais s’installer longtemps. Mais oui tu as raison.
Il est superbe ce court métrage, il bouleverse tellement il nous parle en profondeur. Je ne doute pas de la manière dont tu es avec ceux qui ne sont pas les tiens, en tout cas <3
La cassure venait avec la phrase précédente, cassure écrite pour que le voyage, le séjour, le retour, restent ensemble sans se mêler ni à ma vie d’avant lui, ni à ma vie ensuite. Au final il sera lié définitivement à la suite, mais j’ai séparé les écrits malgré tout.
Oh oui j’y crois, aux présences amies distantes ♥ merci infiniment
Il faut peut-être laisser la colère être parfois, s’exprimer même si ça n’est ni facile à vivre, à être.
On raconte ce qui vient, ce qui se dit, ce qui se sent et le reste, et bien reste un entre soi ou bien ne s’exprime que dans un langage qu’on ne sait pas toujours.
Compliqué la colère, quand elle arrive, elle me dévore et elle fait mal.
Oui ailleurs, parfois. Et c’est bien ainsi, c’est vrai 🙂