Mardi 21
L’actualité vient me chercher jusque dans mes rêves, une urgence à se préparer, la guerre qui monte et moi je ne sais toujours pas le nom de toutes les plantes comestibles.
Je me réveille sur tout ce que je ne sais pas. Je protège comment mes enfants dans ce monde de dingues milliardaires. J’apprends au réveil que tous les GAFAM (j’ignorais jusque là pour Bezos/Amazon) ont rejoint d’une manière ou d’une autre Trump, vous pouvez inclure Spotify. Je suis effarée de voir les commentaires de-ci de-là « quatre ans à tenir », vous êtes aussi fou que ce monde si vous pensez réellement qu’il va rendre le pouvoir après avoir tenté un premier assaut du Capitole, ne vous inquiétez pas il réussira le prochain (s’ils ne se sont pas tapés dessus avant pour être le premier adulé, évidemment).
L’impression d’être en 1933, avec des milliards et la technologie en plus.
Le monde se délite.
Trump annonce qu’il n’existe que deux genres, nous avons un rendez-vous qui dit le contraire concernant la transidentité pour Chouette (et vaguement Kira, à cause d’un malentendu). Je suis au féminin pour le plaisir, j’ai maquillé les yeux et sous les yeux, mais j’ai aussi cassé un ongle (le troisième, j’arrête-là les jolis ongles effilés, retour à la facilité des ongles taillés à la serpe) et je m’en aperçois en plein rendez-vous, ça m’agace le cerveau et les doigts, je le touche sans arrêt. La pulpe sur l’arrête.
Il a une heure de retard, j’ai tout mon temps pour observer le lieu. Un père demande à une aide-soignante où sont les toilettes, elle montre la porte. Il insiste, les toilettes pour enfants, elle montre de nouveau la porte. Le problème ? En pleine aile pédiatrique, les toilettes sont pour des adultes. Est-ce que ce monde a seulement du sens quelque part ? Au mur des peintures enfantines, les yeux éberlués aussi.

Le médecin (grand manitou de l’hôpital) gagne le concours de celui qui parle le plus vite à travers un masque, je ne comprends rien, ou pas tout. Les mots restent dans le masque, et plus je pense à ces mots coincés moins je comprends ce qu’il dit. Parfois je dis oui pour le principe, c’est plus simple. Plus simple que de lui dire pardon mais moins vite et plus fort, pardon mais vous pouvez répéter, pardon j’ai décroché, pardon vous pouvez soulever le masque ? c’est pour libérer les mots (j’imagine le bordel des mots lâchés d’un coup, emmêlés, c’est casse-gueule cette affaire, ça sera tout autant incompréhensible : voué à l’échec). Je suis fatiguée, le pouce toujours sur l’arrête de l’ongle. Chouette et Kira sont tombées dans leur silence autistique, le silence règne. Le médecin me demande qui a prescrit les hormones pour Kira et je botte en touche. Je refuse de donner le nom du généraliste alors qu’il y a une petite guerre, une prérogative en cours où seul.e un.e endocrinologue peut prescrire la première ordonnance. Le généraliste est formé, spécialisé dans le domaine, je tais son existence. Le médecin a le bon goût de ne pas insister, il vérifie simplement le travail fait et tout est correct évidemment. Les choses s’enclenchent doucement pour Chouette qui n’a que douze ans (bientôt treize, oups), bloqueur de puberté pendant deux ou trois ans dès qu’il aura vérifié les précédentes prises de sang prélevées par sa collègue au centre de croissance. Je ne compte pas sur un retour rapide.
Ce n’était pas le médecin le plus amical : il ne donne pas spécialement envie de revenir, mais on n’a pas non plus envie de l’éviter donc à tout prendre, ce n’est pas si mal.
Nous repartons, moi épuisée par l’effort mental intense demandé pour comprendre le médecin. Je propose Gibert (ça surprend encore quelqu’un ?) et la librairie-manga pour tenter le japonais, et nous partons vers le centre-ville avec plus de joie pour ma part, que le matin pour l’hôpital. Et je ne trouve aucun livre, c’est incroyable – je n’y ai pas mis beaucoup d’efforts, ceci dit. Par contre, certains m’interpellent comme celui-ci, que j’ai photographié pour le chercher en epub – et trouvé. S’il est aussi bien que sa couverture, je l’achèterai.

LeChat ne trouve rien dans la librairie-manga, nous rejoint chez Gibert où au cinquième étage (je crois ? je les mélange) (langues étrangères) la vendeuse soutient qu’ils n’ont rien en japonais. J’insiste pour qu’il aille voir au dernier étage, le rayon des mangas. Il a la surprise d’y découvrir un tout petit rayon (n’en déplaise à la vendeuse du 5e) et mieux encore, le tome 1 de Les carnets de l’apothicaire. L’Univers a comploté juste pour nous !

Étrangement, plus je me penche sur le japonais plus j’ai envie d’apprendre… l’anglais. Au rayon bilingue, je ne trouve que des classiques de la littérature et non, vraiment, je ne peux pas. Rares sont les classiques que j’ai pu apprécier dans ma vie, Jane Austen en a fait partie, avec les sœurs Brontë (et Cyrano, oh la la). Allergique au reste. Nous sommes fâchés en français, en anglais, dans toutes les langues, c’est définitif. Je pars avec l’idée de me lancer avec Heartstopper et d’arrêter de procrastiner.
Sur un mur, Sauron (pris dans une position d’une belle agressivité, dents sorties) et Lapioche apparaissent, ainsi que… Glouglou. C’est mignon :

Nous passons faire quelques courses plus proche de chez nous, deux tapis pour la maison assez sympathiques (avec des feuilles de monstera deliciosa), que Corail investit joyeusement (la prochaine fois je filme couché, promis, vidéo absolument indispensable de mon chat, ouaip) en faisant ses griffes dessus comme une folle ou en s’attaquant aux chaussures (j’ai une préférence incroyable pour ces dernières, plutôt que la souris (?) de l’autre nuit avec sang partout dans la salle de bain : cette bestiole est psychoCat) :
Le soir je suis si fatiguée, je tombe comme une masse.
Aujourd’hui dégoût et des couleurs
oublié-pas-eu-le-temps.
Mercredi 22
Il pleut, j’ai prévu de ne pas prendre la trottinette aujourd’hui. LeChat m’emmène à 8h15 (au lieu de 9h) et j’abats le plus gros du travail avant l’arrivée de Maa et AnMa. Il ne reste plus qu’à remettre les piles droites, donner un coup de balai. FrB est absente, comme très souvent, je ne pense pas à la prévenir que nous partons, persuadée qu’elle ne viendra pas – il est 9h34, record battu.
Il est 9h50, j’ai un appel de FrB et je culpabilise dans la foulée de ne pas l’avoir prévenue. Je me trompe complètement, elle appelle pour décommander ce matin. Et puis définitivement. En fait. Je ne suis pas surprise, on ne peut pas lui faire confiance en terme de présence et on a dû s’adapter pour qu’elle ne soit jamais seule en vente : elle ne venait pas et la fripe restait fermée… ce n’était qu’une question de temps pour qu’elle quitte le tout.
Je n’ai pas réussi à la cerner, il y a en elle quelque chose de déplacé que je n’explique pas, un fil entre elle et le monde qui n’est pas juste, elle tinte comme une imposture. Un mensonge qui ne dirait pas ce qu’il est. Elle serait une musique, elle sonnerait faux. J’ai passé mon temps à la surveiller (notamment avec Maa qu’elle prenait de haut, l’air de rien), sans comprendre pourquoi, sans saisir ce qui n’allait pas dans sa manière d’être. Une illusion inexacte. Son départ ne me chagrine pas – ne chagrinera personne, c’est assez triste. Pire, Hirondelle et AnMa vont être ravies, elles qui l’évitaient. Triste…
Je reçois un email de l’asso, je vérifie : il manque 4 mails, pourquoi ? Comment ? Il ne s’agit même pas de nouveaux rentrés récemment, ce sont des anciens. Je les remets dans la boucle avant d’envoyer un message, je suis un peu blasée. La personne suivante ignore mon message, reprend la boucle où il manque les quatre personnes. J’abandonne pour cette semaine. Je n’oublie pas que pour l’essentiel, elles ont 80 ans, mais ça m’use tout de même.
Petit colis dans la boite qui me donne le sourire.
En ce moment, le vide de cette boîte m’atteint. Je voudrais chaque jour, quelque chose de doux pour éclater la grisaille.
Sur Arte je regarde le documentaire sur Tolkien (regardable jusqu’au 4 mars 2025), beaucoup d’indécisions, de peut-être, d’endroits magnifiques ou inquiétants, et sans doute est-ce cet ensemble de lieux et de guerre qui l’ont inspiré en effet. Émue par les noms inscrits sur sa tombe. Je regarde la fin en espérant que le message qu’il nous laisse se vérifiera encore – là tout de suite, je ne vois pas.
Le soir je me couche et l’angoisse me saute au visage, violemment. Je me demande si ça ne viendrait pas de ce que je regarde-lis sur le téléphone. Actualité fortement angoissante. J’abandonne pour tester, et prends la liseuse. Sauf que si je suis honnête, je fuis Sidérations. J’en conclus que je vais l’abandonner et entamer un autre ouvrage ; je suis méfiante, en ce moment tous les livres me tombent des mains, je ne suis pas certaine qu’ils soient tous fautifs.
Phrase du jour, LeChat : « tu es grave stylée dans ta sauvagitude«
(aucune envie de me coiffer avant de sortir, je demandais si ça « allait ») * soupir*
Aujourd’hui la force
L’énergie s’est envolée, l’écriture dissipée. Mais qu’est-ce qu’on pourrait bien avoir à dire encore ? Avec quelle énergie.
Jeudi 23
J’ai rêvé que je retrouvais Ludivine, l’importance tenait de la sœur, de l’âme sœur, puis de la terreur à l’idée de le perdre de nouveau : sous le choc, nous oublions l’une et l’autre de prendre les coordonnées de l’autre et alors comment dans l’immensité de ce monde complètement fou, se re-lier. Je crois que l’importance tenait dans la fin de cette phrase.
Kira et moi partons marcher, il fait 14° et presque cette température est agréable. Un petit aparté entre deux semaines de pluies, passées et à venir. Le linge a séché, étonnamment. Je m’assois quinze minutes avant de faire des cookies pimentés – enfin, ils essayent de l’être, nous n’avons toujours pas la bonne mesure. Cette fois ça picote légèrement sur la langue comme des mots perdus – nous approchons.
Ma tante-marraine appelle enfin – cinq jours. Elle décrit l’état de santé de ma grand-mère, l’évolution de la semaine : elle marche de nouveau, s’épuise vite. Se souvient de nouveau comment raccrocher le téléphone, pas encore pour le décrocher. Samedi, j’appellerai lorsque ma tante sera là. Pour aider.
Et écouter.
Délicate situation où sans elle, je ne pourrais plus communiquer avec ma grand-mère.
Trois jours que j’oublie de dessiner ou que je n’ai pas l’énergie pour m’y mettre. Je compense en me lançant dans un portrait de Jinx, difficulté intéressante au possible – je vais pleurer sur le visage. Je ressens déjà la tension dans le coup de crayon, sa colère, sa rage dans les épaules. Je ne sais pas ce qui peut passer de la mienne, sans doute peu ; elle n’est lâchée sur rien.

Je tente Expats, mais je n’arrive pas à accrocher aux personnages, drames, plans de caméra, je m’ennuie, et il est également possible que Nikole Kidman me fatigue avec son visage figé. Je rate la série.
Aujourd’hui mélange
Je mêle les épices au sucre, les épices à la farine, les mots au papier, les émotions au crayon, j’emmêle les cheveux dans le vent, les lettres dans les mots, la vulnérabilité et le souffle, et puis je rectifie, redresse, range, affronte, je rends lisible ce qui n’a plus de sens.

Vendredi 24
Moins d’infos, moins d’angoisse. CQFD. Je pensais que leur source était essentiellement interne, liée à je ne sais quelle pagaille de pensées passées, je me mettais la tête à l’envers pour essayer d’avancer et finalement il s’agissait essentiellement de l’extérieur. Je ne vais bien que lorsque je me replie.
Celles qui restent sont plus gérables. Je respire d’avoir mis le monde à la porte, je n’aime pas l’avoir mis à la porte. Je coupe ce qui s’effondre et me maintiens en équilibre pendant que le reste tombe, égoïsme assumé et perturbé, aussi.
LeChat propose de sortir ce soir, mais outre que je suis très fatiguée, je lui signale qu’il va pleuvoir et beaucoup… ça rappelle quelques souvenirs. Si j’adore l’idée de revoir l’eau dorée, lui goutte beaucoup moins la plaisanterie. Nous reportons à un futur inexistant bancal.
Dernier rendez-vous avec la dentiste. J’ai de nouveau une couronne – princesse ?
Aujourd’hui c’est long
[pas inspirée]
Samedi 25
Je crois que j’ai une otite externe. Le rhume (celui qui s’est à peine déclaré) a voyagé du cerveau à l’oreille, je ne comprends pas bien le microbe. Trois jours que j’ai mal mais à l’extérieur de l’oreille, au toucher. Les boules quies, un peu l’enfer, et dormir sur ce côté, impossible. J’ai même un doute sur la deuxième oreille…
Mamie a la voix ravagée, mille fois rayée d’avoir trop parlé, de s’être usée sur la grippe sans doute, aussi. Elle grince dans mes oreilles, me crispe dans les aigus, je dois respirer pour ne pas raccrocher. Ma tante cette fois s’est éloignée, je l’entends parler au loin à quelqu’un : je vais être un peu tranquille… Ma grand-mère m’appelle dans le même souffle par le prénom de ma tante, de ma marraine, de ma mère avant d’atterrir un peu par hasard sur le mien, qu’elle cherchait désespérément – chaque fois, je grimace sur celui de ma mère. Ma grand-mère ne m’entend pas même lorsque je répète très fort, mais elle est bien là alors elle invente des réponses, dans le doute. Comment tu vas, mamie ? Oui il y a du monde aujourd’hui. Ça me permet de poser plusieurs fois la question et d’avoir tout autant de réponses disparates. Nous inventons une discussion où nous sommes à côté l’une de l’autre, c’est doux, même décalé.
Je repense aux 100 souvenirs de 2024 de La souris, tombe 53 souvenirs assez facilement, maintenant ça se complique. Où ai-je égaré tous les autres ? Et puis j’en débusque un, le fil reprend comme soulevé de terre.
Le soir, nous continuons de regarder Made in Abyss, 10e épisode et ma limite est atteinte dramatiquement : j’ai envie de vomir. Nous n’avons pas vérifié, mais le manga est interdit au moins de 18 ans (la blague). Ne vous fiez pas au trailer presque gentillet et au design enfantin, c’est d’une violence inouïe. Quand je pense qu’on attend pour que Chouette regarde Arcane… vraiment, quelle blague.
J’ai 13 ans d’âge filmesque, voilà. Ils continuent sans moi, j’ai trois tonnes de livres en retard de toute façon. Mais depuis que j’ai lâché, aucune scène violente n’est à déplorer évidemment.
Aujourd’hui ce qui vous empêche d’écrire
La peur.
L’angoisse du point de départ – quelle est ta première phrase pour te dire -, de n’avoir rien à dire – est-ce que tout le monde n’a pas déjà raconté la vie et la mort et tout ce qu’il y a entre -, de ne pas savoir la fin avant de m’y mettre – vers quoi te diriger, sur quoi te lever les matins, quelle sera ta dernière phrase -, de dérouler sans saveur – l’ennui sans fin d’un livre qui n’avait rien à murmurer -, de m’emmêler dans l’enfance et tomber dans un gouffre – d’avoir trop à raconter, finalement -, de n’avoir aucun sujet – choisis, toi -, de ne pas écrire dans le bon ordre, de l’écriture ratée explosée, de la page blanche, de la page noire, d’en dire trop, de ne pas en dire assez, de rater, de poser mon propre jugement sur les mots choisis.
La peur.
Alors. le silence.
Dimanche 26
L’insomnie a repoussé mon réveil, je rate Blanche. Lorsque je la rappelle elle n’est plus disponible, et j’apprécie le silence autant que je m’attriste d’être passée à côté d’elle – finalement elle m’appelle en fin de journée.
Je reprends Jinx avec effarement, c’est trop gros pour moi, qu’est-ce qui m’a pris de me lancer dans un projet pareil. De peur d’abandonner, ce que je m’apprête à faire je le sens, j’en parle sur Mastodon pour éviter la fuite. Et ça fonctionne. Trois heures de dessin aujourd’hui, ça prend forme (par contre, le temps que ça me prend… juste là, 4h30).


Aujourd’hui numéro en couleur
(pas inspirée)
Lundi 27
L’oreille va me rendre folle (la seconde est légèrement douloureuse), le médecin est dans seize jours, ça va être long. Je cherche des désistements mais n’en trouve pas, tenterai encore…
Qu’est-ce que je rate de ce que le corps exprime ?
L’envie d’une petite boite émerge à la vue de cet article de Lisette. La langue m’est obscure, mais j’aime son univers, ça compense mille fois la barrière et le fait que techniquement, j’aurais pu trouver en français la même chose ailleurs. Je me lance donc avec enthousiasme sur un papier vaguement carré par mes soins (un millimètre quelque part me résiste, que je retrouve évidemment à la fin).

Aujourd’hui journée des pieds
L’otite, la douleur inhérente, le dos douloureux, le bruit de l’aspirateur (de chantier) que je ne peux occulter avec le casque (l’otite), les mails de l’asso, la nuit lamentable, la table et la chaise de l’enfant dans le passage parce qu’en attente de partir, la BD brouillonne, la critique d’un livre… tout me casse les pieds jusqu’à me crisper. Parallèlement c’était une bonne journée, et c’est peut-être ce qui est le plus étrange.
Mardi 28
Je suis tellement fatiguée, je me réveille à 8h45 et peine à me lever. J’entame une discussion avec Aevole, mordue au visage par son chien, je prends le temps vu la gravité. Je ne dis pas je te l’avais dit l’intérêt est inexistant, c’est la cinquième fois qu’il mord mais la première fois au visage – quelques centimètres plus bas, la gorge. Je n’aurais jamais attendu autant et j’admire, finalement, tout ce qu’elle a tenté pour garder ce chien – mais ayant déjà été mordue enfant, j’en garde un souvenir terrifiant. Je ne dis rien de ce que je pense, mais je pense que je suis douée pour ne pas le dire sans savoir si c’est une bonne chose. Je l’amène à m’exprimer ce qu’elle ressent (je doute qu’elle ait besoin de moi pour ça, je ne fais qu’écouter ce qu’elle a à me dire, à moi) et je repense à la lettre que j’ai raté l’année dernière : pourquoi puis-je écouter Aevole et pas Romi (ça revient encore et encore, j’affronte le ratage en boucle lassante). Pourquoi suis-je capable d’effacer toute présence avec l’une, et incapable avec l’autre. Romi a tenté de faire de moi une écoutante psy imposée, j’ai répondu à côté avec une volonté étonnante de ma part de ne surtout pas l’être. Quelle fragilité chez moi a été soulevée pour que j’empêche l’écoute ? Je tourne depuis à essayer de saisir ce qui échappe à ma compréhension. Je finirai bien par tenir un fil.. – me vient peut-être la mort, si je dois creuser c’est sans doute là. Et pourtant, je ne crois pas que ce soit si simple. Sensation que c’est elle que j’ai mise à la porte, et non son histoire ; pure volonté d’être accueillie en amie et non en écoutante de passage ? Possible.
J’écoute et je petit déjeune à presque midi, la journée est devenue bancale, je ne sais plus où elle est passée mais ça me perturbe dans la stabilité du déroulement qui suit.
En léger craquage côté douleur, je me fais violence et appelle le cabinet médical (doctolib me donne un rendez-vous dans un mois et une semaine, il m’en faut un d’urgence donc). J’entame une discussion avec la secrétaire qui me fait dire que décidément, je suis incapable de suivre une conversation sans rater quelque chose.
_ Bonjour, j’appelle pour deux otites
_ Et ça dure depuis combien de temps ?
_ Cinq jours (six en vrai, je me suis ratée)
_ Bah ce n’est pas une urgence alors.
_ Ah ? Mais il faut combien de jours de souffrance pour que ce soit une urgence ?
Et. elle. rigole. J’aurais dû appeler avant, visiblement. L’implicite. Je ne sais pas, soyez précis quand vous parlez -_- Parfois c’est dificile d’être moi, aussi bien de ne pas comprendre les ensembles de mots pour ce qu’ils veulent vraiment dire, que pour mon attente systématique avant de voir un médecin. Dès fois que mon corps s’en sorte seul – et la plupart du temps, oui, alors m’embetez pas.
J’obtiens un rendez-vous à 17h, qui se décale finalement à 13h parce que la doc a un souci personnel ; je suis si heureuse d’avoir été gardée dans ce qui a dû être une petite bataille pour caser les importances. Côté repas, je viens de manger, ça va être la pagaille toute la journée, cette histoire… Mon beau-père m’emmène, repart. Je passe à 14h10.
Elle regarde. Les deux otites sont bien des otites externes mais… plus compliquées que ça. L’eczéma déclenché il y a quelques années dans les conduits des oreilles (par des boules quiès que je ne supporte plus très bien) génèrent des démangeaisons insupportables régulièrement (j’y pose une crème tout aussi régulièrement). Ça a dégénéré. L’inflammation a fait gonfler les conduits, c’est pas joli. Cortisone à avaler, gouttes, et… une solution à trouver pour dormir. Une autre que de la cire qui assèche. J’angoisse, j’ai déjà tenté plusieurs solutions et tout le reste est insupportable.
Ma belle-mère (venue me chercher) me répond « il va falloir penser à dormir sans ». Compassion, toujours pas. Solution Yaka par contre… Étrangement mon mari ressort pratiquement la même phrase en mode « mais tu es en sécurité avec moi », mais mon cerveau lui ne le sait pas, mais moi j’ai peur de dormir, mais moi le moindre bruit me fait sursauter, mais si cet homme se colle à moi je me réveille alors un bruit tu ne peux pas comprendre, la nuit est toute aussi dangereuse que le jour sauf que je perds mon hyper vigilance. Je l’anesthésie à coup de boules de cire, c’est ridicule de ne plus entendre et d’être à la merci du danger, mais le cerveau. Le mien.
Finalement j’achète en pharmacie de drôle de bouchons qui ressemblent à des branchies (et le test le soir est une réussite, même si la douleur insupportable. Nuit affreuse).
Ma belle-mère vient se réfugier chez moi, son homme travaille à la scie circulaire et autres joyeusetés bruyantes et infernales. Je n’ai pas mangé et là il est 15h, j’aurais volontiers pris mon repas et je. suis. incapable. de. m’en. occuper. devant. elle. Je découvre un fonctionnement chez moi inédit, je ne peux pas cuisiner puis manger avec elle dans la pièce alors que sa présence n’était pas prévue. Ce que je peux me fatiguer d’être moi. Je ne comprends pas ce qui se joue, la peur d’être jugée ? Je suis paralysée. Je ne mange pas, j’attends sagement le goûter, je me sens ridicule. Et affamée.
Le soir je me mets au lit avec un livre quand soudain (mais pourquoi) je crois comprendre ce qui m’a jusque là échappé avec Romi, l’évidence me frappe : d’avoir été mise sur un piédestal (semaine après semaine, message après message), j’ai préféré m’en faire descendre tout de suite, avant de m’investir, de tomber de bien plus haut et me tuer, ce que je sentais poindre de manière inévitable.
Je me demande… N’y aurait-il pas derrière, aussi, la volonté de briser sa vision de moi (pas fausse au demeurant, mais pas réelle non plus), la petite voix en sourdine qui me hurle que je ne suis pas si intéressante, si intelligente, mais bel et bien laide et sans valeur ? Des deux, lequel l’a emporté dans cette lettre. Regarde comme je suis idiote, comme tu t’es trompée. Repars, tu te fourvoies.
Mais alors une deuxième évidence m’achève au moment où je reprends mon livre (il a un pouvoir magique indéniable, celui-là), Romi (et pas seulement par sa première lettre) était une R. au féminin, une même essence, une même couleur d’aura, et cet autre piédestal fissuré puis brisé a failli me détruire : pas deux fois. Romi, impossible à écouter après le passage de R., a payé quelques pots cassés au prix de ma protection.
J’ai bel et bien brisé le piédestal où elle m’avait posée. Je suppose que Je sait ce qu’il fait… contrairement à moi.
C’est tellement libérateur, j’ai l’impression d’un soufflé qui retombe, je vais pouvoir arrêter d’en parler, d’y penser, de me mettre la tête à l’envers.
Soulagée.
Aujourd’hui bu
J’ai écrit, sa présence dans mon dos, perturbante. Je n’ai pas réussi à me faire le thé dont j’avais envie, et je ne me l’explique pas, je veux dire elle ne gênait pas, elle lisait, tout était calme, il y avait la place d’elle dans le canapé, moi au bureau et la tasse à côté de moi, il y avait ce possible et alors rien. J’ai bu de l’eau, plus tard j’ai pris mon nouveau traitement à la cortisone et jamais je ne me suis offert cette chaleur entre les doigts et l’âme.
Il me semble que le thé accompagne un silence et une solitude, ou alors une amitié. Rien n’était réuni.
J’ai raté sur un vide et il me faudrait creuser ce qu’il ne s’est pas passé.
Mercredi 29
Hirondelle arrive en retard, doublement parce qu’elle a oublié mes clés chez elle et qu’elle doit y retourner. Je découvre donc depuis l’extérieure, sa maison, je n’avais jamais pensé à comment elle pouvait être. Je ne sais pas exactement pourquoi ça revêt cette légère importance.
Aujourd’hui nous accueillons un nouveau bureau afin de remplacer celui qui prenait une place folle. La pièce respire, j’ai l’impression d’un soupir. Nous remplaçons également les petits cartons tout moches par des cagettes en plastiques identiques qui donnent tout de suite une petite note plus joyeuse à l’ensemble. Je crois que c’est la première fois que nous sommes autant : huit bénévoles qui pourraient se marcher dessus mais non, il y a trop à faire. Je profite même d’une accalmie avant le départ (il est midi) pour vite replacer par couleurs les vêtements sur les portants. Ça me satisfait l’œil chaque fois.
On oublie complètement les biscuits (au bout d’une semaine je crois que plus aucune excuse n’est plausible), le linge reste dehors trop longtemps, je n’ai pas rangé mon bureau et n’ai même pas avancé sur Jinx, mais Kira et moi sommes parties marcher sous un soleil éclatant et ça rattrape tout le reste. Je prends conscience que cette année, aussi fatiguée et douloureuse que je sois, je m’en sors mieux que toutes les années précédentes (sur au moins dix-sept ans). Nous sommes en janvier et je continue de pouvoir marcher lorsque le temps le permet, je garde un certain équilibre, les douleurs sont là mais rarement à vouloir mourir, je suis moins assommée. Je ne sais pas à quoi je le dois, en dehors du fait d’habiter un lieu propice pour ma santé (la chaleur) (mais c’est déjà le cas depuis 5 ans). Un meilleur mental ? Ma mère est morte ? J’envisage sérieusement la chose – le poids retiré. Peut-être les amitiés délétères que je déleste (j’adore la sonorité de ses mots mis l’un à côté de l’autre), ou alors un ensemble. Ou c’est l’année à profiter parce que non reproductible ?
Je ne sais pas.
Aujourd’hui une princesse
Je suis certaine de l’avoir dit quelque part un jour, je ne suis pas une princesse, aucune fée ne m’a rendue jolie, je ne sais pas comment renverser un pot de paillettes sur moi et je ne suis même plus intéressée. Aujourd’hui j’avais une chevelure hirsute, la faute aux vagues boucles indomptables du lavage de cheveux d’hier soir. Je ne suis pas princesissable, pas davantage instagramable (ça va avec, ces choses). Parfois l’homme qui partage ma vie m’appelle Princesse, ça me suffit. Ou petite fée, et je préfère.
Et puis ce matin, j’ai trouvé ce pendentif. Un peu lourd, j’ai peur de ne pas en supporter le poids, mais si beau. Il y a bien de quoi dans la vie se sentir princesse, finalement.

le feuillage recouvre les branches, de l’autre côté
Jeudi 30
La douleur me réveille dans la nuit, le doliprane ne fait plus aucun effet et il est deux heures trop tôt pour le reprendre, il est 4h21, je n’en peux déjà plus, impossible d’ignorer la souffrance. Pourtant je me rendors puisque je sors d’un rêve à 8h30, LeChat m’offrait un livre de cuisine magnifique en néerlandais, qui change pour des teintes bleuté-vert dès que le doigt touche le papier, une magie folle dans les mains dont j’avais rêvé longtemps. Si déçue qu’il n’existe pas lorsque j’ouvre les yeux.
Ce que je prends pour une douche, étonnante à cette heure de la journée, est en réalité une forte pluie qui s’effondre sur la maison. Il est rare qu’on l’entende. La musique couvre l’orage jusqu’à ce qu’un éclair me sorte de l’écriture. Il faut tout éteindre, débrancher, arrêter. Obligée de lire, alors. Lorsque je relève la tête, le monde a ce gris, cette brume générée par l’eau qui s’écoule du ciel, je suis heureuse d’être à l’intérieur, en sécurité. La grêle s’en mêle, brutalise les fenêtres et un peu des plantes, un temps merveilleux pour les nappes phréatiques, mais bien étonnant en janvier…
Aujourd’hui oublié de
J’écris sur la survie par les mots toute la matinée, à trois endroits différents : la probabilité était de combien que ça se produise, en même temps. J’en oublie le repas, lorsque je relève le nez il est 13h.
La journée se déroule de manière chaotique (orage, une vis des lunettes qui se perd dans la maison et ma vue qui en pâtit jusqu’à la migraine), j’en oublie les activités des enfants.
Et parce que mercredi j’ai oublié mon écharpe, celle que j’ai cousu moi-même, (qui a été mise en vente par AnMa, d’où l’oubli), je suis retournée ce soir, sous la pluie, la récupérer avant la vente de samedi…
Vendredi 31
J’étends le linge dans le froid revenu et me rends à la boite aux lettres, inquiète que le livre attendu envoyé par Babelio ne se soit pris l’humidité de l’orage, mais rien, il reste résolument absent. Rien sinon cette lettre manuscrite de nos voisins : encore une plainte. Je crois qu’ils nous lâcherons si on détruit le frêne et tout ce qui est collé à notre clôture. Le contrôle, tellement. Envie de tout arracher et monter un mur, les enfermer dans leur petite vie étriquée. Je peux l’écrire ici, ce mordant auquel j’aspire et qu’il me faudra retenir pour ne rien envenimer. L’écrire pour ne pas me blesser, moi. Je les déteste (pas tant, en vrai, je suis seulement agacée-tendue).
Je me console en me disant qu’eux n’ont pas la joie de voir des mésanges, des pinsons, des pies, des fauvettes et des écureuils, que nous avons cette richesse même s’ils n’en veulent pas (et voudraient bien que nous non plus).
L’après-midi s’enchaîne, nous cuisinons enfin des biscuits, des sablés. Nous partons marcher mais le froid trop intense nous fait rebrousser chemin à mi-parcours. Et pour la première fois depuis très longtemps, je passe une musique en boucle sur mes oreilles, entraînée par le rythme des tambours (lorsque je retire la boucle, je perd dans la foulée le titre…) et je peins à l’encre après des mois sans approcher un pinceau, c’est un délice. Les filles adorent tellement la bestiole née, Chouette veut que je lui trouve un nom et un lore ; je refile la trouvaille sur Mastodon et le lore à Kira, comme pétrifiée par tant de responsabilités. Par contre j’espère en créer quelques autres !
Aujourd’hui moment lumineux
Alors que je dessinais, le soleil est passé par la porte d’entrée, un soleil brisé, éclatant, presque douloureux. J’ai baissé la tête mais ne me suis pas déplacée, et j’ai peint à l’encre noire, la plus obscure des créatures.

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C’est donc courant, que le bouchons d’oreille provoquent de l’eczéma ? Le médecin m’en a trouvé en m’examinant les oreilles à propos d’un acouphène — rien à voir évidemment, et tout à voir avec le fait qu’il m’est désormais impossible de dormir sans fermer les écoutilles sonores (pour ne rien dire des tac tac infernaux du radiateur quand il se dilate). C’est devenu un signal pour que mon corps (et surtout mon cerveau) se relâche…Pas de cire pour moi en revanche, mais des bouchons Bollsen en silicone mou qui ne font pas pression sur le cartilage — ça a l’air de ressembler à ce que tu décris.
Merci pour le partage de la vidéo sur la plasticienne qui travaille le papier. Son art ne m’évoque pas grand-chose (j’aurais du mal à rester longtemps à le contempler), mais en tant qu’artisanat, je trouve ça fascinant, les techniques, les couleurs, la délicatesse des sensations…
Je te souhaite des jours plus doux et j’ai hâte de voir l’évolution du dessin de Jinx. 🙂
Je ne sais pas, pour moi c’est plutôt l’inverse, les boules quies ont provoqué un eczéma qui a provoqué une infection et un bouchon d’oreille et donc une otite externe.
Toi aussi tu as des acouphènes ? C’est l’enfer le soir on entend que ça..
Je n’ai pas exactement les mêmes mais il font le même job. J’ai trouvé ceux pour les piscines, ils ont presque la même forme et font bien le travail (pour le son). Juste un peu pénible, je dors sur le côté, donc sur l’oreille, donc sur le bouchon.
Avec plaisir 🙂
Merci (à ce stade, moi aussi) ! Le dessin est à l’arrêt avec tout ça, je compte le reprendre bientôt.
Oui, acouphène aussi, d’un côté. Au début, ça me rendait folle, maintenant mon cerveau arrive à peu près à passer outre quand j’ai les bouchons d’oreille et que l’acouphène se mêle aux autres bruits internes du corps. Après, j’ai de la chance, c’est un sifflement continu ; pas de variations de fréquence importantes ni de claquements (les siens réveillent parfois ma mère, qui ne sait pas si une porte a claqué ou si c’est son cerveau qui a émis le son).
Ils ne me gênent pas trop non plus. Parfois il me semble que l’acouphène correspond à quelque chose dans le corps que j’entends (comme la douleur, par exemple, si j’ai très mal alors l’acouphène (d’une certaine tonalité) est plus fort, c’est étrange). Contrairement à toi j’ai des variations, et même plusieurs sons, mais il est rare que ça me hurle dessus, ça n’est arrivé qu’en plein jour jusque là, le son violent. Je n’avais même pas réalisé que ça pourrait m’arriver la nuit et me réveiller ^^’ Je compatis pour ta mère, ça doit être rude à vivre…
Il y a quelque chose de très satisfaisant à voir un chat attaquer des chaussures, je suis ravie !
J’espère que le frêne survivra, que ce sera possible. Ça paraît une très bonne idée, monter un mur très haut 😉
J’espère que l’otite va te lâcher (nan mais décidément, je ne suis pas sûre que j’aurais compris le commentaire de la secrétaire, non plus ^^)
Aaaah merci 😀 J’ai bien hésité à la partager ^^
Il y a eu une évolution côté arbre, on verra. Je n’ai plus aucune certitude avec ce voisin.
Plus d’otite à priori, bien qu’une de mes oreilles qui avaient été la plus gravement touchée, reste légèrement bouchée. À voir avec le temps.
(Bordel j’ai perdu le commentaire précédent ! donc je tente de le refaire)
J’adore la phrase de LeChat sur tes cheveux !
Personnellement, j’évite le plus possible de regarder les actualités sur le téléphone avant de dormir, et même en journée maintenant, parce que je trouve ça vraiment trop trop angoissant. Je pense que la fin du monde va arriver, là, maintenant, dans quelques mois. Et ça me paralyse, ça m’empêche d’avancer ça me terrorise. Donc dans la mesure de ma force mentale, je m’empêche de le faire.
(je déteste quand ça m’arrive, maintenant je copie avant d’envoyer et évidemment tout se passe bien)
Très angoissant, chaque jour donne son lot du pire. Je ne sais pas si elle arrivera de manière visible, ou lente et un jour on se dira « ça a commencé là », mais c’est anxiogène et je n’en peux plus. C’est très sain je pense, de mettre à distance (le déni non, mais consciemment choisir quand et comment les infos nous parviennent, oui).