Jeudi 2
L’angoisse m’a sauté littéralement à la gorge lorsque j’ai reçu un sms me disant que demain elle m’appelait. Ce n’est pourtant pas la tante que je redoute, elle ne fait que représenter dans son ensemble le sceptre familial que je ne gère pas bien. Je réponds de manière un peu lapidaire à ses vœux, je m’en veux un peu (lorsque je relis, non, ça va). C’est donc dans l’angoisse furieuse que j’ai payé deux factures par internet, envoyé un papier à l’hôpital du 30 décembre et envisagé de reprendre sérieusement le 366 réels (après tout, mon bilan d’hier fait bien 100 mots *toussote* et correspond au thème, je suis dans les temps pour une année calendaire. Je pense aussi reprendre le projet « un jour une photo un texte » (honteusement abandonné l’année dernière après une journée, incroyable) et pourquoi pas les lier au 366, mais sans pression et pas aujourd’hui (je n’ai vraiment rien de bleu, j’ai oublié, je n’ai pas cherché, rien photographié, je suis restée sur la ligne de fragilité, j’ai échoué).
Aujourd’hui bleu
J’ouvre les yeux mais rien n’est bleu aujourd’hui. Une amie m’a envoyé Le muguet rouge, le ciel est gris, les biscuits sont chocolat, mon bureau est noir, le chat orange. Rien n’est bleu sinon peut-être celui sur ma jambe, pas encore résorbé.
Est-ce qu’on peut se parler ? J’ai du bleu pour ton demain.
Vendredi 3
Elle a appelé et rien, dix minutes à parler grippe et météo – les forêts vont plus vite à remplir le vide laissé par les humains. Je ne sais pas ce que j’appréhende si fort, de toute façon elle écourte les appels. LeChat pense qu’elle vieillit, qu’elle devient une vieille femme recroquevillée sur ses peurs. Je crois qu’il va bien falloir que j’admette que nous n’avons plus rien à nous dire, que la tante que j’aimais à glisser loin de moi. Et peut-être ce sont les vingt années vécues à distance qui en sont responsables, peut-être qu’elle a changé, peut-être que c’est moi. Peut-être que mon besoin d’avoir une mère ne passe plus par elle – ne passe plus.
Aujourd’hui taper
Ça n’a rien changé à l’angoisse, mais j’ai tapé un sanglier. Je veux dire, plusieurs sangliers. Ça n’était pas arrivé depuis… je ne sais plus. Chouette m’a demandé de jouer avec elle alors je me suis connectée à Wakfu et j’ai tapé avec elle des monstres qui n’avaient rien demandé, avec la joie d’être simplement ensemble pendant une heure. Parfois, j’aimerais savoir plonger dans un jeu, m’immerger et frapper, frapper, frapper jusqu’à valser ce qui me dévore, hurler avec les poings ce qui reste en dedans, caché.
Samedi 4
La douceur d’une journée où rien n’est prévu (LeChat travaille toute la journée) : pas de courses, pas de médiathèque, peu de fièvre pour Chouette (38°, puis 37,5°), pas d’administratif : je me suis assise sur le canapé avec un livre gros et lourd, Afghanes. Sa lecture déjà peu évidente en terme historique fut compliquée par Corail, bien décidée à prendre sa place. Je l’ai donc laissée venir sur mes genoux, j’ai relégué à plus tard ce livre-là et j’ai tendu la main vers la table basse (celle-là même que je souhaite ranger à terme). J’y ai attrapé un premier livre que j’ai abandonné tant l’égo démesuré de ce père insupportable m’a tendue sans m’intéresser. Et puis j’ai hésité : que fait-on des vieux livres abîmés et lamentablement sans intérêt ? Est-il pertinent de les envoyer dans une boite à livres, où ils risquent de patienter dans le froid et l’humidité jusqu’à en mourir seuls alors qu’ils pourraient être recyclés ?
J’appelle ma grand-mère et j’entends toute sa détresse me répondre, elle ne sait plus si je suis moi ou sa fille, si elle a appelé ou moi, elle se pense le matin à 20h12, elle n’entend plus que je vais bien, elle voulait appeler quelqu’un mais elle a oublié la personne et la personne c’est sa fille et elle panique parce qu’elle ne sait plus, elle sent que ça lui échappe, la vie, elle n’est plus fixée à rien, elle est perdue, égarée dans une brume qui l’angoisse et moi j’essaye bêtement de m’accrocher à sa voix, si je l’entends c’est qu’elle est là ? elle me dit je t’appelle ce soir mais je ne suis toujours pas sa fille, la journée elle sort de sa chambre en chemise de nuit, elle est sortie mais pourquoi, pour qui, pour elle ? une aide-soignante la ramène et l’habille mais elle est entrée dans une nuit sans fin, les repères ont disparu, les repères disparaissent toutes les fins de semaine, elle trébuche sur l’absence d’activités, elle s’éloigne et elle doit avoir tellement peur de ne plus tenir les bords, de flotter.
Aujourd’hui le plus petit des petits riens
.
Dimanche 5
Mon plus jeune cousin m’appelle (il conduit) et ça me fait plaisir de l’entendre, même si très vite ni lui ni moi ne trouvons trop à discuter : nous ne nous connaissons plus. Qu’est-ce que tu peux dire, après vingt ans de silence-absence, qu’est-ce que tu peux dire lorsque tu n’es pas sociable, qu’est-ce que tu peux dire lorsqu’on se voit une fois par an et que l’année précédente n’a même pas eu lieu, lorsque la mort de ta mère ne lui a même pas fait décrocher son téléphone. Qu’est-ce que tu dis à un inconnu.
J’ai oublié de dessiner.
5 janvier. Aujourd’hui acheté
Blanche m’a appelé et nous avons discuté d’Ovidie, de son dernier livre et des précédents que je ne connais pas et elle m’a dit attends, attends je vais les acheter pour le boulot et pour moi, et j’ai peut-être doucement envié cette facilité décontractée de la carte bleue qui claque sur des livres.
Lundi 6
Elle est tombée. Hier soir. Elle a peut-être heurté son pied dans l’ascenseur, ou alors celui du déambulateur, elle a basculé quatre-vingt-dix-sept années droit vers le sol et je me dis qu’elle a dû avoir peur et puis elle a heurté de sa tête l’ascenseur ou alors le mur, elle s’est ouvert, un peu. Elle a abîmé aussi le poignet, le coude, mais elle avait retrouvé toute sa lucidité, et je n’ai pas su si c’était la chute qui avait remis les pensées droites ou si elle était déjà revenue.
Sa fille m’a dit, « c’est de sa faute aussi, elle se tient mal ».
…
Je ferme les yeux.
Est-ce que les personnes âgées ont encore le droit d’être, sans culpabilité.
Mon cousin qui me rappelle aujourd’hui – il m’annonce qu’après des mois de chômage, il a un travail et c’est la joie – me dit qu’en fait elle est déjà tombée avant, ou alors cette nuit, ou il ne sait plus mais ce n’est pas la première chute, et je ne sais pas si c’est lui qui a mal compris ou moi qui suis mal informée par ma tante-marraine.
L’écho de ma mère qui tombait et s’ouvrait la tête et se cassait le col du fémur, l’écho alors qu’elle, c’est la vieillesse.
J’ai la tête prise comme si quelqu’un pensait à moi. Sensation que ce n’est pas une bonne chose, sensation étrange – c’est toujours étrange.
Kira a reçu le cadeau de Noël de Blanche, un pull avec Jinx imprimée et il lui va tellement bien.

Aujourd’hui que deviendra cet enfant plus tard ?
Découverte de la journée citoyenne, celle où Kira ne pourra pas se rendre (bien que LeChat pense que si, bien sûr, ça va le faire, toujours optimiste et peut-être qu’il a raison, que j’ai tort, qu’elle réussira à parler, répondre, et qu’on ne le paiera pas ensuite par des semaines de down, j’abandonne), du recensement obligatoire, celui pour lequel elle est en retard ; il va s’agrandir jusqu’à ce que la MDPH statue sur son handicap. En attendant, on va profiler bas, pas de permis, pas de vote à 18 ans, pas de diplôme jusqu’à ces 25 ans, si nous n’arrivons pas à l’exempter. Alors ce que deviendra cette enfant, je ne sais pas, elle criera peut-être des mots dans les histoires qu’elle écrit.
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. Réagir : Quand vous entendez une voisine hurler
. Art : des tasses et des théières étonnantes, de Mitchell Grafton
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Je voulais juste commenter pour te remercier des ressources que tu partages en fin d’article et qui sont souvent de très belles découvertes que je continue à suivre en dehors du blog. J’aime les liens que tu tisses ainsi 🙂
(et je ne commente pas le reste car il est difficile d’intervenir de façon pertinente sur le quotidien et je ne suis pas sûre que tu le recherches d’ailleurs – mais j’aime lire ce que tu racontes de toi, de vous, et c’est devenu un RDV régulier dans mon lecteur de flux <3 )
Je suis heureuse de savoir qu’ils ont une vie au-delà de mon partage, merci à toi 😀
Je trouve que de manière générale, il est difficile d’intervenir de façon pertinente, ce n’est pas un exercice dans lequel j’excelle en tout cas, donc je comprends (et non, je ne le recherche pas spécialement, en effet). Alors merci beaucoup de me le dire, ça me fait inexplicablement beaucoup de bien ♡
En effet, ce sweat n’est pas trop grand, mais parfait. Un sweat n’a aucun intérêt si on ne peut pas s’enfouir dedans 🙂
Mais oui, voilà ^^ (c’est exactement son propos, tu penses bien)
Quand je te lis je retrouve le plaisir du journal, celui tenu, celui partagé. Grâce à toi j’ai commencé les pages « aujourd’hui », ça me permet de me poser en fin de journée et surtout d’écrire à nouveau. Merci pour ça.
Belle journée.
Oh ça me fait tellement plaisir de lire ça ! Heureuse de ma petite participation, heureuse pour toi de ce retour à l’écriture, d’un instant à toi ♡