Mercredi 13 novembre – Silence
Seule à la fripe avec Maa, nous avons avancé très efficacement, le tout dans un certain silence. J’ai personnellement apprécié, mais je sais qu’elle aime lorsqu’on parle… Ce n’était même pas, comme souvent, du mutisme.. non.. je n’avais juste rien à dire, et si je n’ai rien à dire, pourquoi parler ? Je ne sais pas communiquer, et parfois ça m’effraie.
14 novembre – Voir le monde se défaire
J’ai glissé du sommeil en pleine nuit. J’ai rêvé et insomnié tant qu’il a fait sombre, un mélange de doutes et d’enfer. J’ai revisité mes échecs en amitié dans des songes tortueux, j’ai attendu de me rendormir à 3h, à 4h30, à 6h, j’ai rêvé encore et échoué toujours. Trop fêlée pour réussir ?
Dans le poulailler, je joue avec les canards, ils adorent se jeter sur le tuyau et tenter d’attraper l’eau, ils manquent d’une mare. Ils ne barbotent nulle part alors ce jet pour changer leur eau où boire, devient le plus grand jeu de leur journée. Ce poulailler me donne le cafard. Trop d’animaux. Trop de crasse. Trop de béton sur lequel ils se blessent en sautant. Pas assez d’eau.
Une souris détalle, elle s’échappe du coin des lapereaux.
Nous allons pour changer l’eau des lapins quand nous voyons un bébé mort, en dehors de son terrier. Tué par un rat. Nous vérifions parmi les vivants qu’il n’y en a pas un autre, qu’il ne reste pas là, au milieu d’eux, et les petites boules tressautent toutes, les yeux fermés. Alors nous enterrons l’autre. Kira creuse, elle ne peut pas toucher les corps sans vie. C’est mon rôle, toujours. Et je pleure en le posant, la terre lâchée au-dessus de lui. Je sens l’effondrement interne se lier à l’injustice, à l’évitable. La solution de mon beau-père à ses attaques, du poison. Au lieu de refaire le grillage, du poison (ou la raquette, pour tuer les moineaux qui osent entrer et se servir dans les graines des poules). Tuer au lieu de protéger. Les humains, ces imbéciles qui pensent maîtriser la vie et la mort sans poser de garde-fou.
Autant j’accepte d’enterrer une poule morte de maladie, autant là, ce carnage me rend folle. LeChat a l’idée d’en parler avec son père à son retour (enfin, il a l’idée et je lui demande de la concrétiser en en parlant avec lui) et de lui proposer nos services pour qu’ensemble nous bouchions les trous et remettions un grillage correct et maillé serré. À voir, donc.
Ma tante-marraine m’appelle, me parle de ma grand-mère, me dit qu’elle décline en ce moment (et là c’est moi qui le pense) parce qu’elle a perdu ses joueuses de scrabble : elle s’ennuie. Ses deux filles essayent de passer dans la semaine pour jouer avec elle une ou deux fois, mais ça ne remplacera pas suffisamment.
Je suis devenue d’un seul coup ce moulin à paroles inarrêtable : elle m’a posé une question, j’ai répondu à tout ce qu’elle n’a pas demandé. Comme d’habitude avec ma famille, j’enchaîne jusque dans les choses que je voudrais taire. Je ne comprends tellement pas pourquoi je fais ça.
Et puis je me dis voilà, nous y sommes, ma tante opère un retour à l’essentiel : l’argent qu’elle ne souhaite pas dépenser. Elle me parle de la gravure sur la tombe de ma mère. Il y en a pour 330 € et c’est bien simple, elle me demande franchement si je peux le payer moi : c’est non : pas l’argent. D’abord parce qu’il fuit en ce moment, c’est la période de la taxe foncière, de l’eau, de nos assurances (et des envolées lyriques de nos notes alimentaires), ensuite parce que… non. Je n’ai pas rappelé qu’elles touchaient les assurances vies et qu’elle pouvait bien le payer elles, mais je l’ai pensé (et ça m’agace de l’avoir pensé, suis-je une si mauvaise personne). Elle insiste exactement quatre fois, elle joue de l’émotion et du lien : ça ferait plaisir à mamie que je participe – et c’est un fait. J’ai accepté en précisant que ça ne serait pas une somme élevée. À combien s’élève ce que je dois à ma mère ? Il n’est pas possible de raisonner ainsi, pourtant la question se pose à un certain degré. Y a-t-il un montant à partir duquel plus personne ne me parle de devoirs, y a-t-il un chiffre qui va calmer tout le monde, est-ce qu’il faut donner un euro par coup reçu ou au contraire les retrancher mais à quoi, alors ? Est-ce que je peux soustraire la mort des chatons, les morceaux de verre dans la boite, les couteaux au milieu des livres pour que je m’empale dessus, est-ce qu’on peut retirer les anniversaires oubliés, les noëls avec un shampoing de Foirfouille ou un martinet bien emballés, le vol de mes courriers, de mes photos, les mensonges, les « je ne t’aime pas » qui me faisaient pleurer et qu’elle enregistrait sur cassette quand j’avais trois ans pour me les faire ensuite écouter régulièrement, est-ce qu’on va parler des coups, des murs, des repas froids de la veille servis au petit déjeuner, est-ce que je dois juste rendre les armes et perdre encore et encore ? Sans doute.
Je lui dis que je vais participer mais faiblement, elle me répond « nous allons voir ce qu’on peut faire » de ce ton un peu ennuyé, comme si ses fins de mois étaient difficiles, comme si l’argent manquait, comme s’il fallait se saigner pour graver le nom de sa sœur sur une plaque.
Un jour j’ai pensé que je m’en sortirais mieux lorsqu’elle serait morte. La vérité c’est qu’on ne s’en sort jamais.
Le médecin de Toulouse devait nous appeler à 15h. Cette après-midi était prévu : l’appel, la Biocoop pour donner le sac de couchage, yoga acrobatique pour LeChat, Self-défense pour Chouette puis pour Kira et LeChat.
Sauf que l’appel n’arrive pas, n’en finit pas de ne pas arriver, nous attendons après une personne très occupée. À 15h50, il envoie un message disant 16h15. À 16h30, il dit dans dix minutes, à 17h30 il appelle enfin… notre après-midi a disparu avec le sac et le yoga. Je gère très mal les changements : j’ai besoin que ce qui est prévu le reste. La crise d’angoisse est tout naturellement à la hauteur de ma journée.
J’entreprends une lettre mais c’est comme si les mots s’emmêlaient, comme si je savais comment rater la conversation mais pas la réussir. Souvent je dois attendre, des heures, des jours. Et sans que je le comprenne cela devient simple, évident, la complexité se décale et je peux alors, accueillir ce que j’avais à dire. J’ai raté ainsi des amitiés de manière phénoménale, à ce niveau c’est de l’autosabotage. J’ai égaré Charles sur une lettre lamentable là où il m’attendait lettrée, j’ai trébuché sur Romi là où elle me désirait psy, j’ai raté N. sur un courrier énumératif là où il aurait fallu de l’émotionnel, et j’en passe. Je sais complètement dire ce qu’il ne faut pas. J’apprends avec l’âge, à différer mes réponses.
15 novembre – Pénibilités de voisinage
J’ai les mains broyées de l’intérieur, je ne peux rien, ni dire ni faire ni tenir. Je m’assois dans le coin de ma chambre, je termine trois livres entamés depuis un moment et en lit un quatrième en entier (je bénis la liseuse que je n’ai pas à tenir). Je ne cuisine pas non plus, le midi on se débrouille avec du riz qu’on vinaigre à la japonaise et le soir LeChat prépare des burritos. Je voudrais déposer mes mains quelque part et les reprendre au printemps ou à l’été, qu’on se sépare le temps qu’elles expriment leur souffrance, un peu comme on met un mur entre soi et ses larmes avec un antidépresseur. Il me faudrait un antidépresseur pour mes mains. Comment je fais ça ?
La conversation est arrivée dans la boite aux lettres, sous la forme d’une grande enveloppe griffée d’un « vos voisins E. et S » qui m’a fait penser que des ennuis arrivaient. Je l’ai décachetée tendue, j’en ai donc eu une lecture tendue – CQFD. L’angoisse est montée en flèche (LeChat lui l’a trouvée très gentille et respectueuse, comme quoi).
En résumé, toujours le même problème : le frêne d’abord, leur pose deux soucis : la peur des branches qui pourraient casser (réelle, avec les rafales folles que nous avons ici) et les feuilles qui tombent chez eux et leur pourri la vie. À ce stade je suppose qu’il faut signaler leur phobie de la nature : aucune herbe n’existe, tout a été arraché ou mis en pot bien propre, c’est taillé net et rien ne dépasse. Ils ont également installé des appareils pour faire fuir les animaux de toutes sortes, à plumes ou à poils (l’efficacité est nullissime, si je puis me permettre), ça m’indispose régulièrement à cause du bruit généré (j’entends les sons très très aigus, je peux entrer dans une pièce et savoir qu’une tv a été mise en veille, par exemple). Dernièrement, lui était sur son toit a projeter un produit toxique sur ses tuiles pour virer les oiseaux.
Et donc le frêne les rend fou. Avec ses feuilles. Qui tombent. Sur leur sol. Immaculé. On l’a déjà élagué deux fois en trois ans, et cette fois ils veulent qu’on le coupe en hauteur. Le problème est qu’on ne l’enlèvera pas ni le réduira, il nous fournit la plus grosse partie de l’ombre dont on a besoin pour rafraîchir autour de la maison lors des canicules. J’ai mesuré, on gagne deux degrés sur le terrain.
Ils parlent aussi de nos buissons qui abîment leur clôture. Sauf que c’est notre clôture. Elle est en place depuis quarante ans, vraiment, c’est la notre. Et la viorne, il y a deux ans quand j’avais dit à S. que j’allais la couper elle m’avait répondu « non c’est bon je préfère le faire moi » et donc couper elle-même ce qui dépasse chez elle. Quand j’avais parlé de couper les lilas, elle m’avait dit « non c’est bon, on les aime ». Je déteste quand les gens me disent s’occuper de quelque chose puis que c’est de ma faute si ce n’est pas fait. Ils me fatiguent avec leur phobie de la nature, pourquoi habitent-ils à la campagne si c’est pour la détruire ?
C’est LeChat qui va leur parler, c’est mieux. Pour eux et pour moi. Je suis très mauvaise en communication, c’est un fait. Mais surtout. Je crois que la douleur me rend agressive avec les personnes pénibles.
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Signature : Dans un contexte politique et social de plus en plus fragile, Esenca (association belge et centenaire de défense des droits des personnes en situation de handicap, de maladie grave, chronique et invalidante) invite à rejoindre son initiative pour défendre les droits fondamentaux de toute la population. La carte blanche revendique :
. La généralisation du principe du Handistreaming dans les politiques publiques par la prise en compte des personnes en situation de handicap dans l’ensemble des décisions politiques.
. La garantie d’un non-recul des droits et aucune remise en cause des principes d’inclusion et des droits fondamentaux.
On peut signer ici (on clique sur suivant, en bas de la page) avec son compte google (nul n’est parfait).
Ce n’est pas en France, mais c’est sans frontière : solidarité, tout ça.
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Coucou Luciole,
Mince, c’est dommage que tu sois loin, je serai venu élaguer ton frêne avec ma tronçonneuse…
Bon sinon garde le morale, ça va s’arranger tout ça.
Bon weekend 🙂
C’est très gentil, merci beaucoup ! Mon mari s’en est occupé cette après-midi/soirée, c’est fait.
Merci, bon week-end à toi aussi 🙂
Cela paraît fou de ne serait-ce que tenir debout et des aimés dans ses bras quand tes mots laissent entrevoir tout ce qu’on a pu te faire subir… J’imagine que ce sont des choses qui ne peuvent jamais être complètement réparées — tandis que le grillage du poulailler, tu as raison, c’est une bonne idée (pardon pour l’humour déplacé). Je te souhaite du silence confortable pour tes sessions friperie, des rendez-vous qui ne se décalent pas, et des histoires de voisinage qui se tassent comme un épais tapis moelleux de feuilles mortes.
Longtemps je n’ai pas tenu debout, mais l’écriture sauve de beaucoup de choses (je continue d’en avoir besoin, je crois que ça se voit). Vraiment réparer.. non, je crois, ça me poursuit tout le temps. Mais ça tient, l’ensemble tient et se soigne, c’est déjà merveilleux 🙂
Ah ah, j’aime ton humour 😀
Merci 🙂 Je crois que le voisinage se tasse déjà (tout a été coupé dans les limites du raisonnable et du compromis)
Ils me fatiguent avec leur phobie de la nature, pourquoi habitent-ils à la campagne si c’est pour la détruire ?
Rhaaa mais sérieusement, cette phrase j’ai envie de la crier, tout ton passage sur tes voisins m’a donné envie de crier de toute façon.
« y’a des feuilles qui tombent ». « l’herbe est haute. » Oui, et ? Et alors c’est quoi votre fucking problème en fait, c’est quoi qui vous gratte vous pique vous énerve, si ce n’est peut-être que toute cette nature vous survivra ?
C’est vrai que c’est quand même honteux, ces arbres qui se permettent d’être là, de vous préexister même, alors que ce terrain vous l’avez payé.
Oh et puis bref, tu m’as bien comprise. j’suis désolée, ton billet m’a apparemment servie de prétexte à libération.
Pour le reste, La Souris l’a si bien dit, je préfère que tu relises ses mots.
Je dois dire qu’ils me sont une épine dans le pied. Je fais en sorte dans ma vie de ne pas poser de jugements, eux, c’est une catastrophe, je peine. Je ne saisis pas leur manière d’être au monde qui participe à cette destruction massive de la planète. Concrètement, j’ai un exemplaire parfait en mes voisins, de comment nous en sommes arrivés là : des murs hauts pour ne surtout pas voir les autres, une nature arrachée, des caméras pour que personne n’entre et puisse protéger leurs achats onéreux de surconsommation, une agressivité violente et excessive (pas ce jour-là, mais on a vu sur d’autres).
Je ne comprends (pourtant) toujours pas.
Ton coup de gueule est le mien 😉
♡