Je me demande, est-ce que lorsque tu croises une nouvelle personne, qu’elle se pose devant toi et te regarde droit dans les yeux, est-ce que tu te demandes l’espace d’un instant, est-ce elle ? et tu te décomposes alors ? Est-ce que tu perds pied dans un imaginaire où je n’existe pas.
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[TW] mort
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Lundi 23 septembre
La matinée dans le jardin, je rentre très fatiguée. Combien de temps est-ce qu’on peut traîner ses nuits derrière soi ?
13h35. Coupure internet, je reste 45 minutes en ligne avec une femme formatée dans ses réponses et qui rapidement devient humaine et plus seulement une voix programmée pour répondre à ma demande – j’adore faire ça, bouger les lignes. Nous raccrochons l’une et l’autre, avec le sourire dans la voix.
Pas d’internet possiblement jusqu’à 72h. Par contre. Toutes les lignes ne sont pas mouvantes.
Dans le pot du citronnier, je découvre des invitées : des côtes de blettes. Aucune explication possible à cette incongruité, je n’ai pas de jardin potager. Quelques feuilles terminent leur vie dans la soupe, et je demande à LeChat de deviner ce qu’il y a dedans (il ne trouve pas, mais c’était le but ^^)

24 septembre
Vers 10h30 internet réapparaît, je suis ravie. Je n’en profite pas, je réponds à des appels et je range des choses puis je sors, je jardine en douceur. J’apprécie de plus en plus être dehors et discuter avec mes beaux-parents de choses et d’autres. Sur mon idée je tamise la terre pour récupérer les bulbilles de la ciboule de Chine qui s’est drôlement bien installée (trop au goût de ma bm) et je filtre ainsi le problème. Je suis mandatée pour regarder une vidéo pour procéder à une taille des framboisiers, celle de ma belle-mère a été trop violente l’année dernière. Après le repas je procrastine le temps d’envoyer une critique au prix littéraire et terminer mon journal des derniers jours, j’envoie l’article, je commence à répondre à un commentaire chez Kalys et internet disparaît sans que je l’ai abouti. Encore. Il est 14h05. A trente minute prêt, à la même heure que la veille. Je songe à du sabotage dans les règles de l’art.
J’envoie un message à mon fournisseur qui me répond que c’est collectif cette fois ; le sabotage reste possible, la porte du placard ne ferme pas et n’importe qui peut en arracher les fils. Je songe à tenir un journal du nombre de jours suivis où j’ai internet sans qu’il s’évapore. Histoire de rire, un peu.
Dans le jardin, Corail m’attend et se lasse.

Et puis soudain c’est comme un éclair, la nouvelle coupe le souffle un instant. Christelle est mourante. Un AVC hémorragique. J’espère que ça va aller vite, vraiment vite. J’ai une tristesse douce, attendue. La dernière fois que je l’ai vue elle était si maigre, j’ai pensé qu’elle ne tiendrait pas l’année. Trop malade. Trop d’opérations. Mais tout de même, je ne m’attendais pas à ça… l’image de mon grand-père se superpose aux larmes de ma belle-mère. On attend alors, que la vie s’éteigne. A-t-on le droit ?
25 septembre
Et puis elle est morte. Cette nuit. Tellement rapidement, est-ce qu’on a eu le temps de respirer avec elle. Est-ce qu’il y a eu le temps de saisir, ressentir. Comprendre. Je ne crois pas. Nous sommes surtout soulagés pour elle, je crois que ça domine les autres émotions, qu’il n’y a plus rien d’autre que cette disparition évidente là où elle n’en pouvait plus. Pour l’instant, en tout cas.
Mon linge sèche à l’humidité ambiante, dans le gris d’un ciel prêt à se casser la gueule. Je m’obstine. Ma seule chance avant des jours et des jours de pluie filasse. LeChat me dépose à la fripe à l’heure pile, je suis la première. Je me prépare mentalement à ce qui va se passer inévitablement, je dépose beaucoup de patience au fond de moi, je respire. Ce matin, je suis avec l’un des pires combo possibles, toutes les autres ont fui, refuse de venir ce jour-là. Pour pas mal parler, faire du mal. Agresser. Ou partir.
Maa croise mon mari et nous en parlons bien dix minutes, de son métier, ses horaires élastiques, elle a été surprise de le voir, ça a agrandi ses beaux yeux déjà immenses. Elle commence à travailler, elle dans sa pièce, moi dans la mienne. Et puis F. arrive. Je vais l’appeler Aï-aï – ne me demandez pas pourquoi elle m’y fait penser. Aï-aï est gentille, souriante, un peu à côté d’elle tout en étant très ancrée. Je ne sais pas comment on décrit cette sensation de décalage-présence. Quelque chose frotte avec elle, quelque chose que je n’aime pas mais qui m’échappe. De faux, peut-être.
Je l’entends de loin reprendre Maa sur sa manière de plier et je soupire, ce n’est pas possible de la laisser faire, à la seconde remarque j’interviens, gentiment, la voix basse et sans heurt, l’impression de gérer mille personnes, soudain, je recadre une fois, deux fois, jamais de front. Je laisse une porte de sortie. Au lieu de seulement travailler dans la réserve, je jongle, un peu d’un côté, un peu avec elles, je sécurise, je temporise, je fatigue plus vite, aussi. Je surveille et reprends, m’assure que Maa va bien. Elle a soudain perdu sa capacité à faire alors je la guide, mais ça me tort le ventre. Aï-aï est une plaie avec elle, sous couvert de sourires et de « c’est comme ça qu’il faut faire » alors que non, il n’y a pas une seule manière, il y en a autant que nous sommes, nous, présentes. Mais il y a cette ascendance qui ne porte pas son nom, la vieillesse sur la jeunesse, la bien portante sur l’handicapée. C’est là en sous-marin, à peine touchable, pas franc. Je veille, je fais attention à ne pas vexer mais je sais qu’un jour je vais vriller si je n’arrive pas à la recadrer de manière plus efficace. J’entends par-là, durable et sécuritaire. Qu’on n’y revienne pas. L’année dernière j’ai réussi, elle était aussi moins venue ensuite. C’est peut-être la solution, finalement. Mais une part de moi aimerait pouvoir créer un équilibre fiable où les deux peuvent travailler.
S’il faut choisir, ça sera Maa.
26 septembre
Un oiseau se cogne dans la baie vitrée, j’entends le poc, sourd, en même temps que je le vois repartir – soulagée. Il a laissé une empreinte mouillée et une mini plume, un duvet fin qui me fait dire que je n’ai pas rêvé – je fatigue d’avoir toujours besoin de preuve à montrer, même auprès de moi.
Je prends la vie avec une tasse de thé à l’orange, je réchauffe les morceaux de moi éparpillés, ceux qui rêvent de S. trop de nuits. Je ne sais pas quoi faire de plus, je prends la mélatonine, je m’épuise la journée, je m’effondre le soir, alors pourquoi ces putains de nuits sont-elles si écartelées, brisées, et ajoutées de sa présence. Je ne sais pas ce que c’est dormir – peut-être.
Et puis l’annonce. Tu sais, quand ça s’effondre vraiment mais que ça tient encore, aussi. Quand ce n’est pas assez, ce que tu dois gérer et que la vie se charge de te rappeler comme ça peut être violent, d’exister. Un cancer, ma deuxième belle-sœur.. j’ai vacillé tout en me disant que je savais que c’était grave, son problème de mâchoire, vacillé sans être si surprise.
L’annonce est finalement adoucie deux heures plus tard et c’est une montagne russe qui peine à se franchir parce qu’on ne sait plus où l’on peut se tenir, sur la ligne de peur ou le pas d’avant, celui qui te tient encore un peu loin du vide : elle a regardé les résultats sur internet, faute de médecin, en a compris le cancer. Une amie à eux à regardé, il semble que ça ne le soit pas, mais inquiétant tout de même… Alors personne ne sait vraiment, elle a été lâchée comme ça et va devoir se battre pour qu’un médecin la récupère (le sien a fermé d’un coup le cabinet). Je croise fort, si fort, je voudrais que ça serve à quelque chose de croiser. Elle a déjà bien trop vu les hôpitaux, je ne sais pas comment elle va se remettre en mouvement après cet arrêt brutal. Je souffre de mon inutilité.
27 septembre
Je passe une heure à m’assurer que je n’ai rien acheté sur un site d’arnaque. Les billets, oui, encore eux. Je tourne en boucle. Le stress monte, je suis à cran, personne ne dit « c’est bon ce site est fiable », je les déteste sur trois générations (à peu près). Comme je n’ai aucune réponse parfaite, je fais le ménage dans une de mes boites mail et j’en profite pour supprimer l’imbécile – je suis vraiment à cran – avec qui je correspondais par lettres postales jusqu’en mai et qui s’est, sans surprise, dégonflé lorsqu’il a compris que j’étais non seulement mariée, mais heureuse en couple. Le gars n’a pas pigé, alors qu’il a signé la charte, qu’Epistolia n’était pas un site de rencontre. Destruction de l’affaire. Et aucune envie de retenter l’expérience, je dois dire. Tant pis pour les correspondances.
Corail, qui doit sentir comme je me tends, s’installe directement sur mes mains et le clavier. On se câline très fort. Lorsqu’elle repart, je mets doucement de la musique ; j’ai besoin de respirer doux.
J’apprends par hasard la mort de Maggie Smith… ça me désole. La vie et sa fin, toujours. Nous ne sortirons pas de cette roue, souvent je me demande ce qu’on attend, finalement, à rester.
LeChat me demande de lui envoyer les billets de train sur son téléphone, par sécurité, et là, je me traiterais volontiers de tous les noms possibles tant je me sens stupide. L’aller est bien demain, le retour est le 29… octobre. Comment est-ce que j’ai réussi une bêtise pareille ? Déjà heureuse de l’avoir vu, ceci dit, avant dimanche. Est-ce qu’on peut flotter à ce point ?
Je m’occupe du remboursement (immédiat, et sans retenue je suis surprise), puis du changement. Au final nous y gagnons 10 euros, sans doute des cheveux blancs, deux heures de voyage et une arrivée trois heures plus tôt : le train n’a cette fois, qu’une seule correspondance.
Demain le concert… je ne saisis toujours pas, j’espère juste pouvoir entrer, l’écouter, y être. Sensation d’un ailleurs infini.
Je me prépare au voyage, sans doute ce que j’aime le plus, le déplacement. Il y a là un mouvement vers un improbable instant, durant lequel je vais être pendant quelques heures, partout et nulle part – la vitesse, est-ce qu’on réalise. Le risque alors, est de perdre des morceaux de soi dans le paysage. Ou c’est seulement moi – je m’effrite dans le remuement. Je vois comme une poussière, lorsque le train ne déchire plus l’air et se pose, cette poussière un peu dorée me revient et recrée un tout autour de moi. À priori complète.
f you stay another night then
I think you’ll have to stay your whole life*
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. Jeu : Townscaper. Clic gauche pour créer, droit pour retirer, enfoncé pour tourner
. Musique (pour les paroles)* : Run – Smolik, Kev fox
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Haaan mais oui 😀 J’y ai pensé en plus, mais je n’avais pas envie de risquer m’imposer ^^’ Tu me donneras ton adresse ? Je ne l’ai pas.
Je dois reconnaître..! J’ai compris en regardant, ça me rassure du coup. Je n’étais certes pas dans mon état normal ce jour-là, mais je suis en général très attentive comme personne. Mais là avec le mot retour, ça induit bien en erreur en effet. Merci ^^