19 septembre – C’est pas moi (pas comme ça)
Parce que le temps, dans les jours qui viennent, va basculer et froncer le ciel, je lance deux machines à étendre puis à plier. L’énergie n’est pas là, les obligations si. Je me mets en mouvement sous la caresse de l’automne, j’apprécie sa douceur sur la peau. Je ralentis même un peu les gestes juste pour être là, être touchée.
J’en. ai. par.dessus. la. tête. de. wordpress. non. modifiable.
Ça me passera. Mais là tout de suite je voudrais retourner à une version payante parce que je ne peux pas bouger un cil et que c’est éprouvant, le manque de liberté. Je me prends la tête pour la énième fois sur cette page de liens, sur les bugs qui apparaissent, la mise en page qui s’effondre, la limite esthétique. Je glisse d’un silence à un mur, les compromis sont des pièges qui m’enferment. J’étouffe.
Blanche m’appelle et me propose de se voir sur Montpellier samedi ou dimanche : ils sont de passage pour trois jours, Lutin (16 ans) souhaite revenir dans les pas de son enfance et le programme est assez libre du moment qu’il y a nostalgie (la décision sera finalement prise pour l’aquarium et un petit parc pour enfant). Très heureuse, j’accepte avant même d’en parler à LeChat, oups.
Nous marchons toutes les trois jusqu’à l’activité des filles, le soleil se pense encore en été, il frappe fort comme pour y croire encore. Je plisse les yeux, j’ai oublié mes lunettes – elles m’empêchent de voir de proche alors il y a là comme un déni d’existence, très souvent.
22h10, je reçois un sms de condoléances. Je comprends tout de suite qu’il y a erreur et pourtant mon cœur s’arrête de battre et je cherche qui a pu mourir dans mes connaissances (mais à quel moment est-ce que je pense pouvoir, en scannant la liste des gens que je connais, voir apparaître le nom d’un mort ?) ; je ne sais pas comment fait le cerveau, ou le mien, peut-être qu’il ne s’agit que du mien, pour tourner sur deux chemins à la fois, entendre une mort et entendre une erreur.
Je signale, doucement, que je ne suis pas celle qui devait recevoir la douleur. Je reçois un ah désolée. Je viens de déstabiliser une dénommée Marie et je ne réponds pas que ce n’est pas grave, je n’ai pas ma place dans cette correspondance souffrante.
La boule dans la gorge reste collée. Noire. Je sais comme la vie bascule. Je le sais tellement, je m’attends toujours à une catastrophe, à un appel, à la police qui vient frapper à ma porte ou à mon téléphone, comme pour S. Tant que tout le monde n’est pas rentré à la maison, une part de moi se demande si je vais le, la, revoir. Je le sais comme un trauma bien installé que je regarde droit dans les yeux, parce que je n’ai pas peur. Il ne s’agit pas d’angoisse ni même d’inquiétude, juste… un fait. Une évidence de fragilité.
20 septembre – À tout jamais, la folie
Ma plus grande folie c’est aujourd’hui.
J’ai effleuré il y a deux jours le sujet de Mylène Farmer sur cet espace, sur lequel a rebondi Kalys, ici mais surtout sur son blog à elle. Juste une petite phrase sans même la nommer – c’est à ça qu’on reconnaît les fans, finalement. J’ai eu l’envie d’écouter un petit bout de ce précédent concert alors je l’ai trouvé sur Youtube et j’ai chanté avec elle – j’adore chanter et celle-ci particulièrement.
J’ai cliqué un peu comme ça, sous la vidéo, c’était presque de la nonchalance, en tout cas ce n’était pas voulu. En vrai je ne sais pas pourquoi le geste, pourquoi j’ai appuyé et puis lu et puis cliqué de nouveau. Certaines fois je suis le mouvement, il n’y a pas de réflexion et ensuite je ne sais pas ce qu’il s’est passé, l’enchaînement, sinon qu’il y a ce petit geste qui amène à quelque chose de complètement dingue et de plus grand que moi. C’est là que ma belle-mère me dit qu’elle est dans le jardin et que je peux venir, je lui dis que je vais arriver.
J’ai pensé ouvrir un site officiel de l’artiste, je me suis retrouvée sur une carte de France et la fin de sa tournée de concert Nevermore – dans une semaine. J’ai cliqué sur le 1er octobre comme ça, pour le plaisir, tout était vendu. Sur le 27, tout était vendu. Sur le 28, il y avait des places. Des. Places. Et j’ai pa.ni.qué. Je suis fan depuis mes quatorze ans, elle m’a sauvé de beaucoup de choses, à commencer de moi-même, je lui dois beaucoup. Et surtout, j’ai toujours dit que si je devais faire un concert dans ma vie, c’était elle. J’ai pris le temps de déconner avec mon mari « tu es libre samedi prochain ? On a concert » qui m’a répondu « Mylène Farmer ? » (il me connaît trop bien cet homme). Et puis encore plus sérieusement il m’a lancé « Mais comment c’est possible, c’est plein ? » : il m’explique que depuis des mois, il regarde les ventes. Il comptait me l’offrir mais n’a jamais trouvé de billets. Merveilleux cet homme, je ne le dis pas assez souvent ici – je devrais.
Il m’a dit fonce, mais les places ont disparu bien sûr. J’actualise pendant qu’il cherche à se faire remplacer – il travaille samedi – mais quand des places apparaissent je refuse alors qu’il me pousse à les acheter, tant que je ne suis pas certaine qu’il peut aussi c’est non. Dans le doute d’une autre possibilité folle, il obtient finalement d’une collègue un remplacement, et moi dans le doute je continue de surveiller. Jusqu’à l’apparition de deux places à l’autre bout du stade (plus éloigné, tu es dehors), même pas dans le même espace. Il me dit de prendre quand même et qu’on se débrouillera sur place, je panique à l’idée d’y être seule. Entre l’angoisse, violente, et le stress de ce que je suis en train de faire, j’achète bêtement deux places solitaires. Suis-je stupide ? Je ne pourrais jamais et je le sais.
LeChat alors me dit en substance : « tu respires, nous allons au concert quoi qu’il arrive c’est bon. Maintenant tu nous trouves deux places côte à côte ». Heureusement, j’étais assise. Jamais je n’aurais fait une chose pareille (ni un premier achat puis un deuxième, ni un concert d’ailleurs), j’ai une prudence dans la vie qui m’empêche d’agir ainsi – ma folie est ailleurs.
Alors j’actualise et il ne se passe rien sinon des places qui apparaissent de temps à autre, esseulées. Mon énergie s’effondre petit à petit, je commence à lâcher. Et puis, alors que j’allais arrêter là et voir un autre jour peut-être (et sans doute jamais), un miracle se produit : deux places côté à côté, dans le carré le plus proche de la scène (plus près, c’est la scène ou la fosse, tu danses avec les corbeaux). Elles sont chères, je ne peux m’empêcher de lui dire, tu es sûr ? c’est un peu dingue et je ne respire plus, à ce stade je ne sais plus du tout ce que je fais. Je comprends soudain comment les gens se font arnaquer, le cerveau a la mollesse d’un nuage.
Je me retrouve avec quatre places pour un concert absolument pas prémédité, de l’artiste que j’aime le plus au monde. Et je ne saisis pas.
Je prends le temps de mettre en vente les places surnuméraires, sans y croire – elles se vendront en 24h. Et je vérifie pour la millième fois que j’ai bien acheté sur le site officiel. Je suis incapable de saisir. J’ai un mirage entre les doigts, j’y croirais lorsque je passerai le portillon.
Je vais voir Mylène Farmer et l’hystérie monte doucement en même temps que je retrouve la réalité : ma belle-mère, le jardin… oïe. Je la rejoins avec quelque chose comme une ou deux heures de retard, et je plane loin au-dessus des framboisiers – qui m’expliqueront la vie avec quelques échardes.
21 septembre – N’oublie pas
Je me suis endormie après 1h, réveillée à 3h et rendormie quelque part vers 5h30 pour un lever à 6h55. J’ai une tête épouvantable. Par précaution j’emporte du Doliprane, je pense à caler le CBD et la genouillère mais j’oublie les plumes d’oiseaux trouvées que je voulais offrir ; l’insomnie me poursuit.
Au moment de partir, je ne supporte plus mes chaussures (trop confortables pour être virées, mais moches). Sur le dessus, en lettres énormes, NICENICENICE c’est insupportable. J’attrape le marqueur noir et je fonce ce blanc, je l’invisibilise, je le rends absent. Elles sont presque correctes, maintenant. Dans la voiture l’odeur nous suit, incapable de se faire oublier, vengeresse.
Nous arrivons, on tente de se retrouver et puis alors que je suis au téléphone avec elle, je l’aperçois et je fais de grands signes – quid de la dignité.
Blanche a coincé dans ses cheveux deux cornes de démon, elle est en rouge et noir, magnifique comme toujours. Elle m’a apporté six livres, qu’elle a parfois acheté (Manières d’être vivant) ou qu’elle a trouvé en boite à livres (posés sur la table basse en attente d’être lus), petit à petit elle remplit ma monstrueuse bibliothèque, chasse le vide.
A l’aquarium, rien n’a changé et ça me perturbe (seule l’exposition temporaire est différente, son nom contient un indice il faut dire ; pas de pieuvre donc, mais des planètes). Les poissons se posent sur les mêmes roches, s’arrêtent dans les mêmes courants.

Treize ans ont passé et nous sommes tombés dans un copié-collé. Je me demande si j’ai déjà croisé certains de ces animaux, si ce sont les mêmes parfois. J’encaisse mal leur enfermement, la petitesse de certains lieux, les requins qui gardent exactement le même parcours, dans le même sens, à la même vitesse, rien ne bouge réellement pourtant nous restons trente minutes à observer ce va-et-vient incessant et hypnotique. J’ai comme une nausée – mon corps dit plus jamais.


Les manchots sursautent et se tournent vers nous lorsque Blanche se sert du QR Code sur la planchette devant l’enclos, ce sont des cris de parade… je me demande combien de fois par jour ça leur arrive, je me demande comment ils gèrent l’absence de plage, la petitesse sous leurs pattes, je ne sais plus ce que je fais là à observer des animaux enfermés, je désespère de comprendre et de nouveau retenti un plus jamais – triste écho du concert ou de Poe, c’est la même.

Nous sortons au compte goutte, au rythme de chacun, mangeons très tard à la première enseigne vue. Au moins y a-t-il des légumes dans mon sandwich.
Nous repartons et nous donnons rendez-vous (eux en tramway, nous en voiture) au parc de jeux où Kira et Lutin, cousins et presque frère et sœur, ont joué tous les jours jusqu’à leur 4 ans. Ils vivent leur meilleure vie, finissent même par retomber en enfance : ils creusent.

22 septembre – Je te dis tout
Dimanche est lent. Pas suffisamment sans doute, en voulant éviter la couette au sol je me fracasse l’ongle du gros orteil sur le meuble ; notre chambre est un bordel permanent, faute d’un rangement en dur, tout est bancal. L’ongle est fêlé à l’horizontal, au milieu. Je boite un temps certain, mais je fais malgré tout les courses à Leclerc qui n’ont pas pu être faite hier. La douleur s’apaise ou se relance avec violence, par intermittences. L’ongle est violet sur toute la partie haute.
Et je me demande jusqu’à quel point je ne me boycotte pas en prévision du concert, c’est le deuxième problème de ce type en deux jours.
Cela fait tellement longtemps que j’ai décroché de ce qu’a produit Mylène Farmer, je me renseigne un peu. Et je m’aperçois que je ne connais plus très bien depuis l’album Monkey me inclus, il faut dire c’était une année difficile, 2012. La seconde grossesse avait aggravé ma santé, nous avons déménagé deux fois, j’ai commencé à décliner dans une région magnifique : je voudrais y vivre mais je ne peux pas. Les crises de SED ont été de plus en plus fréquentes, de nouveaux symptômes ont émergé et j’ai enchaîné comme ça, années après années. J’ai moins écouté de musique. Tout simplement.
Je me mets à jour, je crée même une playlist rien que pour elle, Monkey me (son titre m’a fait sourire et puis j’y pose ainsi un clin d’œil sur mon arrêt). Enfin j’ai tout de même écouté L’emprise l’année dernière, lorsqu’en plein Donjon et Dragons au cinéma j’ai entendu et donc sursauté sur sa voix au générique – je la reconnaîtrai toujours.
J’y dépose ce que je souhaite réécouter, conserver peut-être. Elle n’est pas fixe, elle est mouvante comme mes pensées. J’écoute ce soir mais ensuite je vais couper pour ne pas saturer d’ici samedi.
Sa voix est toujours aussi douce, les filaments sont lumineux sous mes yeux. Je découvre son timbre magnifiquement grave sur Histoires de fesse. Là où avant j’aimais tout sauf rarement une chanson, aujourd’hui j’aime seulement quelques chansons éparpillées et trouve quelconque le reste. Il y a pourtant un réel plaisir à écouter l’ensemble, à découvrir. Comme l’Ave Maria de Shubert qui m’a bluffée (mon grand-père aurait dit qu’elle manque d’emprise, personnellement, si je suis d’accord, elle s’en sort très bien vu l’exercice), au départ chanté à des obsèques.
Heureusement que demain réinventera une nouvelle semaine, je crois que je commence à n’avoir qu’un seul sujet de discussion – je déteste lorsque mon cerveau fait ça, tourner en boucle.
Pour la petite histoire, il s’agit de mon premier concert avec elle, mais de mon troisième sinon. La foule m’angoisse, je ne vais pas naturellement vers ce genre de plaisir.
Le premier, c’est un client à Relay qui m’a offert deux places pour Olivia Ruiz à quelques jours du concert. Il ne pouvait plus s’y rendre. Je n’ai jamais su pourquoi moi, pourquoi ses places, cette gentillesse. C’était un homme légèrement plus âgé que moi, d’une très grande politesse, souriant mais avec retenue, un petit côté un peu anglais. Il n’a jamais après ça, fait peser quoi que ce soit déplacé, il est resté identique, gentil avec cette petite distance.
Je me suis fait remplacer (je bossais jusqu’à 22h à l’époque) et nous y sommes allés, LeChat et moi. Elle a fait monter sur scène son père et ils ont chanté ensemble, sa famille était dans la salle. Dix-sept ont passé, je m’en souviens encore. J’ai apprécié l’ambiance, cette sensation d’intimité (bien qu’au Zénith et donc techniquement immense, il y avait des rideaux derrière nous cachant des strates de fauteuils qui n’avaient pas été vendu, réduisant la salle), une énergie folle se dégageait de la chanteuse, c’était incroyablement puissant. Je n’étais pas une grande fan, je l’appréciais mais sans plus : je peux dire qu’un concert change complètement le lien d’un artiste à son public. Je suis ressortie sonnée, heureuse, des étoiles dans le corps. Bouleversée par l’expérience (je n’ai pas davantage apprécié plus que ça la chanteuse par la suite, mais je garde d’elle un souvenir généreux, lumineux.
Et j’étais persuadée que ce serait mon seul concert.
(Un lien pourri ici, d’elle avec son père. Je ne le mets pas en vidéo, il se lance automatiquement c’est pénible).
Le second est survenu complètement par hasard. Blanche m’appelle et me demande si j’aurais envie de me rendre au concert de Joan Baez afin d’accompagner la mère de Noir (le mari de Blanche, il y a une logique à base de Dame et de Roi que j’ai fait disparaître avec le temps) qui est une grande fan. Joan Baez ? La grande Dame ? Misère oui, bien sûr que je viens. Elle a accompagné mon enfance (plus exactement, durant les voyages qui me menaient à mes grands-parents), ma mère l’adorait. Elle représente toute une époque pour moi, l’Amérique aussi un peu, la vieille, celle où je ne suis pas née, et surtout la paix, la vraie.
Le 24 octobre 2009, je suis sur le parvis du Peyrou à Montpellier avec 20 000 autres personnes. Elle a une force dans sa voix qui est bouleversante. Elle chante des chansons que je ne connais pas, et d’autres que j’ai tant aimé. Le concert est (étonnamment) gratuit, et tout ça est pour moi complètement dingue. Être là, c’est participer à quelque chose de plus grand que moi. Bien plus vaste.
Et donc le troisième, à venir… Sans doute le dernier – mais j’ai déjà prononcé ces mots.
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Ah mais c’est super! Ce concert, cette suite d’évènements qui a conduit à ces places, comme par magie presque! Je suis heureuse pour toi. Moi aussi je me suis souvent dit « si je n’en fais qu’un ça sera elle ». Mais j’en ai fait entre temps, jamais elle.
Joan Baez j’aurai tant aimé…que de mélodies qui ont accompagné et accompagnent encore ma vie. La force d’une voix et la force de son message aussi.
C’est fou, s’il n’y avait pas eu cet enchaînement étrange (magique en effet), moi non plus, jamais je ne serais allée la voir. C’est trop dingue la manière dont les places se vendent en quelques heures, ce n’est pas possible d’être ainsi derrière… Je te souhaite un jour de la voir <3
Joan Baez, c’est une grande dame..
Tu as vu Joan Baez !! Quelle chance ! Je me souviens encore avec des frissons de sa participation à l’émission de Trapenard il y a quelques années, la pureté de sa voix et l’émotion absolue que c’était pour moi de seulement l’entendre en direct, comme si elle était toute proche. J’en étais restée presque sonnée…
Tu peux pas savoir comme ton paragraphe sur l’achat des places m’a collé un sourire. Je suis très heureuse pour toi, c’est rare que je sois heureuse comme ça juste par procuration – même si je suis quelqu’un de très empathique, enfin je crois, mais là j’ai l’impression d’être reliée à toi par un fil invisible (je sais que je ne suis pas nette, mais ne me le dis pas, s’il te plaît ;))
(j’adorais les émissions de Trapenard, mais quel poète cet homme ! J’étais une grande fan de ces questions décalées)
Il y a des rencontres improbables dès fois… je comprends tellement ce que tu as ressenti… C’est une femme bouleversante, j’ai conscience de cette chance incroyable que j’ai eu.
Je ne me remets pas de l’enchaînement et de ce grand n’importe quoi qui aboutit à une aussi belle rencontre samedi 😀 je me repasse parfois le film en boucle et je ne comprends pas ce qu’il s’est passé. Improbable.
Je vois tellement le lien, sais-tu. Et jamais je ne dirais une chose pareille, à personne, jamais. Encore moins lorsque je le ressens aussi <3
♥♥♥
(je suis trop émue pour répondre autre chose)