Vendredi 23 août
À défaut de voyager ces temps-ci – cela me manque jusqu’au plus profond de moi – je me décide à m’offrir un livre arrivé dans ma boite mail il y a une semaine. Je le fais pour marcher droit dans les pas des autres. Ou me rappeler comment on peut marcher droit dans mes pas à moi, peut-être. Ou même, comment on rêve.
J’avais demandé à Gibert de me prévenir s’il était en occasion : Mékong, de la source au delta, une aventure à pied. Je me dis que pour dix euros, ça ira. Je fais l’erreur (ou pas, cela dépend si on regarde du côté des finances ou de la joie) de chercher des titres que j’avais repérés en carnets de voyage.. bien sûr j’en trouve, et je les prends tous, c’est tout ce que je peux, les livres-déjà-lus, les pages-déjà-tournées, pour la planète comme pour moi.

J’attends donc un colis avec trois livres dedans, je suis extatique (et délestée de quarante euros). C’est officiel, je n’ai plus d’argent sur mon compte personnel et quelque part, je m’en fiche – c’est inquiétant.
Cette nuit j’ai rêvé que S. avait la charge de notre bébé et l’égarait, il avait perdu ce qui nous liait, ce petit que j’avais voulu. Je passais de pièce en pièce et dans un bus (!?) où habitaient d’autres mères et d’autres nouveau-nés, j’étais désespérée et lui s’en foutait, il me regardait chercher – c’était tellement lui. Il me suivait des yeux, il regardait l’angoisse prendre la place de l’enfant.
Au réveil, je mets trente minutes à me rappeler d’une des mamans, je la connais, mais d’où ? de quelle vie ? de quelle époque.. avant de me souvenir qu’il s’agit d’E., la fille qui était en classe avec moi à Nîmes en seconde, et que j’ai retrouvée libraire dans ma ville en Auvergne (le truc improbable) (il se trouve qu’elle avait eu de la difficulté à tomber enceinte… mais que fais-tu dans mon inconscient alors qu’on ne s’appréciait même pas vraiment).
Je n’ai rien compris au rêve, sinon qu’on peut dire, oui, que nous y avons perdu un bébé. Cela m’évoque cet autre, fait en 2004 (il était encore en vie, et moi avec lui, pour quelques semaines) où j’étais sur le pont de Chinon et je regardais la rivière couler très vite, très noire, une eau qui m’appelait, m’aspirait, je revois l’eau sombre, ses tourbillons et l’envie de la rejoindre, et j’entendais un bébé pleurer dans le lointain des eaux, emporté. Je garde les pleurs en moi comme si c’était vraiment arrivé, ce bébé emporté par l’eau et moi qui ne songe qu’à y sombrer.
Les Petites Cuillères (Le prix littéraire jeunesse qui aide à casser les préjugés autour du handicap) recommence son travail de sélection d’ouvrages pour les écoles, je me désiste pour le rendez-vous en visio (alors que j’ai enfin un ordinateur pouvant supporter une vidéo), je ne suis plus capable d’une telle sociabilité. Mais je cherche les epubs ; trouver quelques livres supplémentaires et lire avec un esprit critique, je sais le faire.
Le courrier du jour est entouré de toile d’araignée.. – soupir.
24 août
Premier signe de la fin de l’été – alors même que les jours sont toujours à plus de trente degrés – mes mains ont retrouvé les douleurs brutales, fulgurantes de l’hiver.
Je me suis finalement décidé à lire Feu et Sang en français, l’ouvrage est de l’Histoire pure et relativement indigeste dans sa langue originale – alors que je l’apprécie dans la mienne, justement c’est de l’Histoire. Sa traduction, pour ce que je peux en juger, est très bonne, pas la peine de me mettre la tête à l’envers.
À la médiathèque, je le cherche en rayon mais j’ai besoin d’aide, leur système de classement me perd chaque fois : les livres sont rangés par auteur sauf. Tout est là, dans le « sauf ». Si une série est très connue, alors elle est répertoriée au nom de cette série. Dois-je regarder à MAR (Martin), à HOU (House of Dragon), à GAM (Game of Thrones), à TRO (Trône de fer ; sachant que le mot anglais se superpose dans ma tête et que j’ai tendance à le chercher à THR du coup) ou à FEU (Feu et Sang). Et encore, maintenant j’ai compris qu’on pouvait retirer le déterminant (ça aurait donné LET au lieu de TRO). Ce n’est pas de la mauvaise volonté, j’aimerais vraiment que tout le monde soit classé sous son auteur et qu’on n’en parle plus.
Bref. C’était à TRO (sans logique, c’est le même monde mais un autre cycle, ne cherchez pas ça agace mes neurones).
Je demande donc de l’aide, elle me trouve Feu et Sang et nous commençons à discuter de la série puis de l’anglais, de ma décision de lire Game of Throne dans sa langue ce qui la ravit (les livres ne sortent jamais, du coup elle hésite à acheter celui-ci en anglais). J’entreprends de lui raconter mon problème, la résistance de mon cerveau avec l’anglais (pourtant je regarde des films en VO et que de temps à autre j’entends lorsque c’est mal traduit voire oublié), ma gorge se serre et elle voit que j’ai plus de difficulté à m’exprimer. Je lui explique alors, l’histoire. La sixième, la prof, le harcèlement et toute cette classe atroce avec cette femme et… je me mets à pleurer. C’est là que j’ai compris que je n’avais toujours pas dépassé le traumatisme. Pas étonnant que l’anglais, je n’y arrive pas. Pourtant, je le travaille depuis des années…
25 août
Lors d’une réunion de travail, je m’aperçois au moment de me lever que dans mon sac, devenu extrêmement lourd, il y a un énorme fouillis d’objets qui ne m’appartiennent pas, des bijoux, des montres et je commence à rendre à chacune des personnes, je m’excuse sans cesse je suis mortifiée, je ne comprends pas comment c’est arrivé là. Tout le monde le prend très bien, récupère ses affaires comme si c’était normal. Sauf deux femmes très tendues, elles ne me parlent pas mais me regardent avec mépris voire colère. Quelqu’un me glisse, « fais attention aux platistes » et je réalise que ce sont elles qui ont mis les objets dans mon sac. Et soudain je m’aperçois que je n’ai plus mon téléphone, il a disparu, il a été volé par ces deux platistes. Et j’ai beau me tourner dans tous les sens, l’angoisse monte, j’ai besoin de mon téléphone je m’affole de plus en plus, quelque chose de précieux et qui m’appartenait est introuvable et je me réveille en hurlant, tremblante et en panique, la nuit et LeChat m’enveloppent alors – et avec le recul, pourquoi cette panique, vraiment !
C’est bien plus tard, en pleine journée, que je réaliserai toute l’absurdité de ce rêve (des platistes !!) mais surtout le caractère stressant de ma reprise de travail et la peur de l’aplatissement de mes cervicales (pas si fou, mon inconscient).
Les petits travaux se poursuivent : une moustiquaire est posée dans la dernière chambre, celle de la cuisine est refaite de manière à tenir en place – comprendre, sans que le vent ne la mette à terre. Tous les insectes de la création passaient de temps à autre sur les côtés, son existence manquait de pertinence.
Nous retournons à la rivière mais plus haut que le moulin, les galets y sont peu submergés et l’eau y est donc un brin plus chaude. Je me laisse convaincre, mais elle est vraiment verte, et rapidement les algues me chatouillent, m’emprisonnent, me stressent. J’arrive à m’asseoir dans un creux un peu épargné, le froid est surprenant et je n’y reste pas longtemps. Ma tribu s’amuse à continuer un barrage déjà présent, ils déplacent l’eau, ils la malmènent tandis qu’elle se plie à leur caprice – jusqu’au prochain orage. Beaucoup jouent avec les galets, par ici, et parfois c’est étonnant :

Lundi 26 août
Je me lève péniblement 45 minutes avant de partir, après une énième nuit en dents de scie. Si je n’en ai pas bientôt de meilleures, je crains que quelque chose ne cède. Quelques maux de tête s’installent, à défaut du sommeil…
Corail, elle, ne daigne pas se lever, je dois y mettre trop peu de bonne volonté ^^

Alors que j’étends la machine cinq minutes avant que A.M. n’arrive, la corde (retenue par un nœud alambiqué) se défait et tout tombe au sol, le fil, le linge, les épingles – la corde, à trop tirer dessus… C’est en catastrophe que j’appelle Chouette pour qu’elle m’aide, c’est très lourd de maintenir le tout sans que cela traîne. Je finis par m’en sortir, grâce au retard de ma chauffeuse. Et je n’ai pas tranché, dois-je y voir un signe ?
Un jour, nous en aurons une véritable, tendue entre deux poteaux (et non entre deux arbres).

Il n’y a soudain plus internet. Ne me forcez pas à commenter.
Je reprends mon travail à la fripe avec inquiétude. Si mes cervicales vont beaucoup mieux, je ne peux toujours rien porter de lourd. Et le boulot qui nous attend est titanesque. Dans l’entrée, trois énormes cartons et cinq sacs jaunes ont été abandonnés au bas des escaliers, qu’il nous faut traiter sur place (nous évitant ainsi de monter des vêtements pour ensuite redescendre certains et les jeter). À l’étage, nous retirons tout l’été à bretelles fines, le très léger. Très vite nous débordons de tout ce qui est à donner à une autre fripe, comme de ceux à déposer directement en benne de recyclage (la faute à des collègues qui laissent passer des tissus troués et/ou tachés).
Malgré toute la bienveillance que je mets, l’attention, la douceur… la douleur se réveille d’abord dans la colonne vertébrale puis les cervicales. Je suis fatiguée de ce corps qui gère si peu. tellement fatiguée. Je ne m’habitue pas, ni au peu que je peux faire, ni à la souffrance permanente.
Ce soir, mes mains pâtissent d’avoir manipulé la vie tissée des autres.
A.M. envoie un mail au groupe pour aider le lendemain. Personne ne répondra.
Je termine le livre 1 de Feu et Sang – la maison d’édition ayant là aussi succombé à l’attrait du gain et découpé en deux l’ouvrage original de Martin – avec un peu de perplexité : j’arrive au moment où entre en scène House of Dragons et clairement, les scénaristes ont pris quelques libertés. Je ne sais pas encore à quel point, pour l’instant quelques âges ne correspondent pas avec les acteurs choisis, et quelques faits non plus. C’est un peu flou, mais je sens que ce n’est pas stable. Du tout.
27 août
La course continue (s’est-elle seulement mise en pause). Nous avions (deux) rendez-vous à partir de 9h chez notre médecin, elle avait déjà un retard de 45 minutes (elle commence à 8h). Et ce n’est pas nous qui lui avons fait rattraper quoi que ce soit, bien au contraire. Je n’envie pas ses journées. Mais elle, je l’aime beaucoup, elle prend son temps.
Nous lui avons parlé de l’autisme, du besoin de l’ALD (pour moi, mais en réalité surtout pour Kira), elle a entendu et tout de suite a lancé les démarches (mais l’ordinateur n’a jamais voulu, elle a dû passer par le papier, à moi de me rendre à la sécu, donc). Nous avons enchaîné avec les vaccins, les tremblements de Chouette et elle parle de son alimentation à revoir (ce que nous savions même si le problème n’était pas excessif, mais visiblement son corps ne gère pas bien l’apport de sucre), la vitamine D et le manque de sérotonine pour moi. J’ai si peur de reprendre un antidépresseur que pour l’instant, c’est non. Pour la MDPH, elle me demande de caler deux rendez-vous, afin que nous ayons bien le temps.. mais lorsque je regarderai son planning, rien ne correspondra avec les jours de repos de LeChat (un par mois). La chose est en suspens.
Les courses rapides pour compléter le manque de fruits (on les dévore au petit-déj) achèvent mon énergie – les obligations vs la capacité.
L’après-midi, A.M. vient me chercher et nous travaillons trois heures et demie. Dans les rayons, nous retirons encore l’équivalent de quatre gros sacs jaunes, des vêtements troués, sales (dans le sans pas lavés, et tu ne veux pas savoir ce que j’ai trouvé crois-moi), tachés irrémédiablement ou parfois tout à la fois, et ça me rend folle parce qu’elles ont fait quoi alors, pendant mes 5 mois d’absence ? Lorsque nous partons, nous n’avons toujours pas atteint la réserve, qui méritera le même nombre d’heures..
Mon dos me fait souffrir et nous discutons elle et moi du fait que si personne ne se bouge, nous ne pourrons pas tenir l’association. Travailler oui, y laisser notre santé non. J’ai peur de perdre mon seul extérieur, tout autant que j’ai peur de me blesser davantage.
28 août
J’en ai fait trop. Je suis HS – hors sol.
J’ai si mal à la tête et – trop d’endroits.
J’achève le tome 2 de Feu et Sang, perplexe sur la pertinence d’un livre écrit en énoncé de faits (et parfois presque comme un véritable roman). C’est ennuyeux à souhait, dans certains cas davantage stimulant – est-ce vraiment le même auteur. Dans la mesure où j’aime l’Histoire, je me suis obstinée mais j’ai nagé dans des tueries à n’en plus finir. Les deux saisons filmées de House of Dragon se lisent en 100 pages, j’imagine que la suite tiendra tout autant en deux autres pour terminer la période choisie (puisque 120 pages), mais uniquement parce qu’ils ont su faire éclore un récit intéressant de ce marasme. Et il faudra sans doute encore un ouvrage (ou deux en France) pour relier Feu et Sang à Game of Throne, il manque bien une centaine d’années entre les deux. Mais je ne vois pas comment ils pourront créer d’autres séries de l’avant ou de l’après, tant ils ont mêlés des faits de toutes les époques pour les réunir dans celle-ci (et les âges qui ne sont pas raccord, misère). Ceci étant, House of Dragons est une réussite et c’est d’autant plus incroyable que c’est tiré d’un recueil peu concluant sur le plan littéraire. Il en aura fallu, du talent..
Internet est revenu, un problème sur notre réseau. Soit.
D’après Gibert mes livres sont partis lundi à 14h27, d’après La Poste c’est en attente que Gibert leur donne le colis (mais ils sont d’accord pour dire que c’était lundi à 14h27, donc à 14h27 ils n’ont pas eu de colis si je comprends bien ce qu’on m’explique). J’en déduis qu’on peut le prendre depuis le point qu’on veut, la distribution ressemble à notre gouvernement : du grand n’importe quoi et des informations confuses et contradictoires.

Les mains hurlent, elles disent comme je leur en demande trop… mais si je ne le fais pas, je vais faire quoi de mes journées ? Chaque année je reviens à cette inquiétante question, sans savoir bien y répondre. Et cette fois, nous ne sommes même pas encore en septembre. Et moi, je ne voudrais rien d’autre que créer – ma part de rêve, peut-être.
Partages
. Jeu : What beats rock ? (je vous préviens, c’est gentiment addictif)(et il y en a d’autres dessous)
. Citation (13 juin 2011) repêchée de l’ancien blog :
Kira (3 ans) : _ Lui i s’en fou.
Maman embêtée : _ Il « s’en fiche », c’est plus joli ‘_’
Kira : _ Oui, i s’en fiche.
Maman rassurée.
Kira : _ Et aussi, i s’en fou.
Maman : …
. Musique : Intruder – Moderat (Live on KEXP)
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