17 août
La journée devient folle à peine ouverts les yeux, et peut-être j’en suis ravie, j’ai besoin de me mouvoir, de lâcher l’inertie de la nuit et de la canicule. Je fais une machine, je l’étends sous le soleil revenu et puis nous partons pour des heures chaudes et intenses. Le week-end nous rattrapons tout ce qui s’est mis en attente la semaine, je ne conduis pas et ça alourdit notre présence à la campagne-éloignée-de-tout. Nous commençons par une boutique-chaîne où on doit échanger des draps housses (LeChat s’est trompé, ils sont trop grands, et les nôtres sont troués-déchirés) et j’en profite pour m’acheter un carnet de dessin créatif-botanique avec des cartes postales dans les pages – mince, encore elles – dont je n’ai pas besoin si on creuse mais il me plaît, m’appelle, m’aidera peut-être à dénouer ce qui coince. Nous contournons le centre surchargé de St C. pour rejoindre notre « grande ville » bien petite et nous allons à la médiathèque. Je ne cherche absolument rien aujourd’hui, j’ai tout ce qu’il me faut à lire et je repars évidemment avec un ouvrage mis en avant sur une étagère à l’entrée (c’est donc leur faute) : Coming Out, dont je lis un témoignage (celui de Augustin Trapenard parce que j’aime cet homme) avant de me décider à le passer sur ma carte.
Nous enchaînons avec un magasin de chaussures (des achats pour trois) où je trouve des chaussures-chausson incroyables et chères aussi, puis avec un pique-nique dans un parc boisé comme une forêt.

Je repère de la ciguë cachée au milieu de la carotte sauvage, et j’en prends une fleur pour Blanche – des années qu’elle en cherche ici, sans en trouver. Forcément maintenant, je dois faire attention à ne pas toucher mes yeux, je n’ai presque rien pour me laver les mains.. c’est malin.
À peine plus loin, une mineuse (une larve) s’est amusée à écrire sur une feuille, la galerie formée est une mine foliaire. Je trouve ça extraordinaire qu’une bestiole soit si fine qu’elle puisse creuser à l’intérieur sans rien trouer, c’est fascinant. Imaginez-vous pouvoir prétendre à tant de délicatesse ?

La tarte de légumes mangée (préparée par LeChat), nous repartons vers trois lieux différents pour les courses de la semaine (la pire idée du siècle, trois). Nous rentrons, accueillis par Corail comme chaque fois.
Après avoir rangé les achats, je m’écroule sur le lit, l’épuisement m’écrase et je m’endors. Quelque part bien avant, nous avions perdu Kira, elle ne parlait plus que par monosyllabes et était repliée sur elle-même dans la voiture. Mais là où je suis incapable d’ouvrir un œil après une heure de sieste, elle se relève sans mal pour se rendre à la rivière – tristesse, pour ma part, cela sera sans moi donc.
Après leur départ, (elle assiste à toutes nos allées et venues, toujours) Corail rentre dans la maison, désespérée, elle miaule comme en panique : tout le monde est parti ? Je l’appelle et elle me rejoint dans le lit, rassurée, pour un long câlin.. Cette minette..
Parce que je ne suis capable de rien, je me pose devant House of Dragons et me peins les ongles en violet foncé. D’une certaine manière, je tente d’attraper le féminin au vol.
(Dimanche !) 18 août
Les jours ont filé sans bruit, si je ne notais pas ce que j’y mets je ne saurais plus comment je les ai remplis. D’un certain angle il ne se passe rien, de l’autre cela s’enchaîne sans visibilité aucune. Un blog que je suivais a été détruit sans que j’ai le temps de lire le dernier article (qui sans doute parlait de sa dissolution ? mais le fil RSS me donne un copié-collé de son texte à demi-lisible côté payant), il datait d’une semaine, il faut croire que c’est le délai pour annoncer une rupture-lecture ? Je suis en retard de rupture. Je soupçonne que la dame se concentre sur son espace rémunéré (ou alors elle a cliqué par inadvertance sur la suppression de son Moi trop facile d’accès), mais comme je n’ai pas d’argent à disperser, notre partenariat lectrice-autrice s’arrête là, à regret.
Je suis interrompue dans l’écriture par mon beau-père, une couleuvre s’est pris dans un filet sur le figuier (mais de quoi parle-t-il ?) et demande si nous voulons venir – quelle question. Nous nous précipitons. Je m’attriste de ce qu’il a fait : des rideaux dentelés ont été jeté sur l’arbre pour empêcher les oiseaux de « lui voler » ses figues, et le pauvre serpent s’est engagé dans les espaces bien trop larges et ne peut plus en ressortir – vas-y toi, recule avec des écailles, pour voir.

Nous ne pouvons pas davantage la faire reculer, nous la blesserions. Elle siffle très fort pour nous intimider, mais si on la laisse faire elle va mourir. Mon beau-père découpe le tissu avec une sorte de pince coupante (barbare, cet homme, il ne prend pas le temps d’aller chercher de petits ciseaux de broderie) pendant que Kira la tient doucement, puis plus fermement lorsqu’ils sont prêt d’y arriver.




Je n’ai pas photographié la fin des opérations, nous étions au milieu des ruches et des abeilles faisaient de grands huit autour de moi, il était temps de me reculer. Mais ce fut magique de la voir déposer au sol et filer vite, vite, loin de ses fous d’humains.. quelle idée, vraiment, de ne pas partager les fruits avec les autres animaux..
À la rivière, côté moulin cette fois, l’eau froide me saisit et me coupe le souffle – on ne parle pas assez des poumons des pieds. Je parviens tant bien que mal à marcher jusqu’à ce que l’eau m’arrive au bas du dos, et là je tombe à l’arrêt. Plus moyen d’avancer, c’est trop glacial sur la peau nue (note pour plus tard, acheter une combinaison de plongée). Ma dernière entrée dans la rivière pour l’année, soit…

Sur le retour je ramasse les déchets d’une personne indélicate, qui a pris la route serpentée pour un dépotoir : canettes, lingette, barquette de biscuits, il y en a tellement que lorsque j’arrive enfin à la poubelle d’une (très petite) résidence, ma main s’est tétanisée sur les objets. Deux heures pour récupérer mes doigts sans douleur au mouvement, et j’ai toujours une gêne alors que je m’endors.
19 août
Deux mois, cela fait deux mois que je suis officiellement propriétaire d’un tiers de la maison de ma grand-mère et que je n’appelle pas ma tante (je devrais téléphoner aux deux, mais il y a celle qui décide et celle qui suit aveuglément, alors…) pour vendre ma part. Parce que je n’en veux pas, de cette part et des ennuis qui vont avec, des travaux en attente depuis des années (la toiture à retaper entièrement, l’électricité des années 60 à revoir, le vide sanitaire à créer dans la mesure où le terrain s’effondre désormais sous les rosiers) et qu’elles ne font pas, et puis de ma tante-marraine qui impose ses choix (c’est un stress) de non-travaux, en l’occurrence.
Plus le temps passe et plus j’angoisse. J’en viens à étouffer les nuits. Cette maison, ma grand-mère désirait la vendre. Elle a été placée en Ehpad contre son avis, son foyer a été vidé sans elle, ses affaires ont été données ou vendues (je n’ai dans les faits rien vu passer, pas eu mon mot à dire). Elle a voulu récupérer les albums photos et ne les a pas eu (c’est moi qui lui en ai apporté un, celui où elle me parlait beaucoup de moi enfant lorsque j’habitais chez eux), elle a demandé à avoir les carnets de papi qu’il a tenu toute sa vie, chaque jour, et elle ne les a pas eu non plus. Elle n’a rien eu. Complètement dépossédée. Alors une fois vidée et qu’elle ne lui servait vraiment plus à rien, elle a cherché à la vendre. Ma tante (je laisse deviner laquelle) le lui a refusé : sa fille y est installée.
Cette maison pour moi, au-delà de mon enfance merveilleuse chez eux, c’est cette vieille dame de 96 ans qui n’a plus droit à rien. Qui se fait engueuler quand elle demande l’achat d’un dentifrice à 20h parce que c’est là qu’elle se rend compte qu’elle n’en a plus. Qui angoisse tellement dans sa chambre médicalisée qu’elle appelle sa fille (toujours la même, celle qui dirige, tu sais ?) tous les soirs pour se rassurer avant d’aller dormir. Alors cette maison, ma maison, la mienne, toute mon enfance et toute la joie et tout l’amour du monde dans ses murs, cette maison, je n’en veux pas. Elle a soudain représenté comment en France on considère fort mal nos personnes âgées. Comment ma grand-mère est traitée. Comment je n’aimerais pas être traitée, moi. Elle incarne désormais ma famille dans son entièreté, et ce n’est pas joli, ma famille entière – morcelée non plus.
Je me suis rongé les sangs des heures mais j’ai réussi vers 16h à appeler et à parler de la vente, par elles ou par une agence spécialisée dans les rachats de part, c’est elles qui voient (et c’est tout vu, aucune ingérence extérieure ne sera acceptée, je la connais). La seule chose que j’ai lamentablement échoué, c’est le montant de la vente, impossible de le poser et elle n’a rien demandé : ça va lui permettre de fixer son prix (que je suis libre de refuser mais on ne va pas se leurrer, je ne suis pas de taille). Je déteste les histoires d’argent, encore plus d’héritage.
Elle a sinon voulu savoir comment vont tes garçons. Et je n’ai rien pu dire à des personnes si ouvertement jugeantes et transphobes (et racistes, et homophobes, et grossophobes, et…). J’aurais besoin de vendre ma part et de leur fermer ma porte définitivement. Peut-on à ce point ne pas aimer sa famille, sans conséquences ?
20 août
Je m’attendais à mieux respirer, mais ce n’est guère probant..
Corail a passé sa nuit contre la peau de mon ventre, en alternance avec les jambes de LeChat, en ce moment elle dort avec nous (bientôt elle repartira chez un enfant, elle tourne).
Je crois que sans le vouloir, j’ai cherché à m’abrutir et oublier : une machine faite puis à étendre, le petit déjeuner à découper (le budwig banane, c’est très long), récupérer les feuilles pour la lessive de lierre, la préparer et la bouillir, le gaspacho à cuisiner et mouliner. C’est épuisée et consternée que j’ai vu arriver le repas de midi : je ne me suis pas assise de la matinée, je suis proche du malaise.
En revenant de chez ma belle-mère (le lierre est sur son terrain), je découvre leur raisin.. je crois que ma consternation dépasse la bêtise humaine, mais parfois je ne suis pas sûre.


J’ouvre un nouveau livre de Mélissa Da Costa, toujours sur les conseils de Blanche qui l’adore, Je revenais des autres qu’elle a particulièrement aimé, et je suis exaspérée des les premières pages par l’écriture creuse, l’histoire creuse, les personnages creux – ça fait beaucoup de creux sans bosses. L’unique chose qui me parle en définitive sont les prénoms, le mien et celui de mon père-géniteur (que je déteste ce mot) (et il pourrait être son père, d’ailleurs). Le livre a été très apprécié sur Babélio, je l’abandonne.. il y a quelque part un déséquilibre certain dans nos lectures, je ne saisis pas ce qui plaît et ne plaît pas d’un individu à l’autre. Comment alors peut-on écrire un livre unanimement reconnu, est-ce déjà arrivé, seulement possible ?
Tout le bleu du ciel avait pour lui un thème original qui sauvait les meubles, au moins. Lire de la légèreté d’accord, mais là c’est médiocre. L’idée qu’il y a un deuxième tome à la suite me crispe. J’aime Blanche de tout mon cœur – elle est mon âme sœur – mais s’il y a un domaine qui souvent nous échappe, c’est la littérature : elle adore tout ce que je lui propose de merveilleux, je déteste le plus souvent ce qu’elle me dit être génial.. cela me rend triste, un peu. Mais devons-nous absolument être en accord sur tout ? Assurément, non. Elle a simplement une capacité de lecture plus élargie que la mienne.
J’ai terminé la série House of Dragons, la tristesse chevillée à l’âme. Cet univers me parle profondément, je pourrais dire que les dragons en sont la raison – je vous ai dit qu’il y en avait un immense avec moi, dans ma vie ? Peut-on guérir cette folie-là – mais j’ai adoré tout autant Le trône de fer et les dragons y sont rares et tardifs, ce n’est donc pas là qu’il faut chercher.
Aucune envie d’enchaîner avec une autre série, je pense que je vais lire Feu et Sang tout simplement. Et si la traduction ne me plaît pas, j’imagine que je peux essayer en anglais. Plonger en enfer direct. J’avais été impressionnée par la qualité d’écriture de George Martin. Je dis ça mais je me suis arrêtée très vite sur Game of Thrones, le temps d’en conclure deux choses : l’anglais est vraiment rude pour moi, et le (premier) traducteur ne parvient pas à la cheville de la prose ciselée de l’auteur (le second n’est arrivé que tardivement). Si ça, ce n’est pas une motivation pour enfin m’y mettre, alors je ne le ferai jamais..
Le soir nous regardons Le fabuleux destin d’Amélie Poulain avec les enfants, j’avais complètement oublié la collection des photos d’identité, ça chatouille mon côté atypique et je me demande, et moi, et moi qu’est-ce qu’il y a encore en moi de feu follet et d’un peu dingue ?
21 août
Je m’occupe enfin de mon article sur les livres des derniers mois, il manque seulement ce que j’ai pas encore lu. Puis je me lance dans Feu et Sang, le livre à l’origine de House of Dragons. Mon ouvrage (piraté, ne le répétez pas) ne s’ouvre pas. Refusé, grève de DRM, celui-là même qui ne devrait plus être là. J’ai la flemme de mettre les mains dans Calibre je dois l’avouer (surtout qu’il n’y a pas de garantie de succès). Je galère à dénicher une version ouvrable (un comble) et j’y vois un signe que je dois le lire en anglais (mais j’ai mis encore plus de temps à le déterrer en anglais). Si ça se trouve, j’aurais été plus rapide à juste décrocher la puce.
La lecture s’avère bien plus ardue que Game of Throne, je ressors des douze premières pages avec un gros mal de crâne. On le saura que l’anglais et moi, ça fait deux… Ce n’est d’ailleurs pas forcément pertinent de me prendre la tête alors que c’est le second traducteur qui a travaillé dessus et qu’elle est très bonne. J’hésite à retourner au français, et à plutôt relire la première série en anglais.
22 août
Je me suis réveillée, la main dans la fourrure de Corail, sur son ventre.
Douceur.
Je plonge de nouveau dans Écrire comme une abeille, et je prends des notes. Ce n’était pas prévu, tout ça. De le lire et d’en retirer des mots, des phrases, des notions. Le livre m’a appelée depuis son étagère blanche et je l’ai emprunté parce que le titre et l’autrice. Maintenant j’ai la sensation d’être de retour à la fac, l’humour en plus. Il tape dans ma dysfonction exécutive, c’est indéniable, et donc important. Je ne sais pas si j’en ferai quelque chose, je souhaite surtout me prouver que je peux contourner mon problème de cerveau à l’arrêt dès que je me tourne vers le créatif.
Alors j’ai ressorti mon carnet noir, celui de mes textes égarés, de mon histoire, de S. vivant, de S. mort, de mon travail chez le vieux monsieur qui oubliait qui j’étais, des phrases sans queue ni tête (ça ressemble fort à mon « laboratoire de mots en chantier » d’ici), des bouts de récits inventés aussi. C’est un carnet-bordel. Dedans, tout à la fin, j’ajoute mes prises de notes d’Écrire comme une abeille. Pour me montrer le chemin.
Un jour, j’écrirai une histoire.
Pour moi (ou pas).
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. Game of Thrones : À propos de la traduction française, articles 1, 2 et 3
. Brut : Amélie Nothomb (21 août 2024)
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J’avais plusieurs fils de pensée en te lisant, et puis j’ai lancé cette interview de Nothomb qui m’a emportée et qui a tout éclipsé. Alors juste merci pour ce partage qui m’a beaucoup plu, et pardon d’avoir laissé le reste s’envoler !
Cela m’arrive souvent en te lisant, je me suis dit qu’il fallait que je prenne des notes durant ma lecture, les prochaines fois ^^
Amélie Nothomb est merveilleuse à écouter, je suis folle de ses interviews..
J’aime vraiment lire ces entrées quotidiennes, ce cheminement au jour le jour des histoires, des épuisements et des émerveillements malgré tout. 🙂
Pour l’interview d’Amélie Nothomb, c’est étrange, Llu m’en parlait l’autre soir. Je ne serais jamais allée la chercher (je n’ai pas aimé ce que j’ai lu de l’autrice), mais qu’elle soit mentionnée par deux personnes que j’aime suivre à si peu de temps d’intervalle m’a incitée à la regarder — j’ai été fascinée par ce mélange de névrose et d’intensité sensible.
C’est amusant que tu me dises ça juste là, je me questionnais (je me questionne tout le temps) sur la pertinence de ces entrées au jour le jour (il n’y a rien de passionnant à mes journées, en dehors d’un serpent par-ci et d’un hérisson par-là). Je continue alors 😉
J’aime quelques rares livres d’elle mais j’avais été déçue par d’autres et je l’avais abandonnée. Et puis un jour je l’ai écoutée sur une interview et je suis tombée amoureuse d’elle, complètement, aveuglément. Chaque fois je suis fascinée par sa personnalité, sa manière d’être au monde, ses mots, sa sensibilité. Depuis je les regarde toutes. Et je me tourne doucement vers ses livres. Peut-être faut-il l’entendre pour pouvoir la lire ?
(Llu a un espace où elle s’exprime encore ?)