8 août
LeChat et Kira sont allés chez nos voisins grands-parentaux, où le coming out a enfin été fait. Le soulagement de l’adoe, si flagrant… elle revit. Je craignais qu’elle n’arrive pas à seulement s’y rendre (elle trouvait déjà une excuse pour repousser à cause de la présence du cousin, que j’ai solutionné en envoyant Chouette l’occuper à part), mais ils y sont allés et son père a parlé pour elle – elle l’avait demandé. Sortie de notre noyau familial où elle s’exprime très facilement (et parfois beaucoup ^^), sa communication est difficile à l’extérieur, pour ne pas dire silencieuse. Et je ne sais pas comment l’aider – ce n’est pas comme si j’étais à l’aise moi-même..
9 août
Je réfléchis à mille à l’heure et je finis par m’entendre et donc comprendre que non, ce n’est pas une question de deuil qui me balaye. Je me questionne sur sa transidentité (de manière légère, de prise de note mentale) depuis que Kira a cinq ans. Il y a longtemps que j’ai avancé, à mon propre sujet, sur la question de genre, et qu’il y ait une idée de il, elle ou neutre, c’est pas que je m’en fiche, mais un peu, en fait. Il y a un pronom à adapter sur lequel je m’emmêle quelques fois (j’en viens à genrer au féminin mon mari par inadvertance), mais à part ça, chacun peut bien se sentir du genre qu’iel veut, ça ne me regarde pas et je l’accepte pleinement. J’ai deux filles, contrairement à ce que l’échographie a tenté de me faire croire, tout simplement parce que cette histoire de genre est très floue depuis la nuit des temps. Il serait temps d’entendre que la pensée binaire est à revoir, profondément, et que la religion a vraiment fait beaucoup de dégâts.
Toujours est-il que non je ne suis pas en deuil, ce qui me traverse est tout autre : je suis profondément angoissée par le chemin devant elles. J’ai peur. Pour leur parcours de transition, pour ce que leur corps subira, pour ce qu’elles prendront (alors que nous tentons tellement d’éviter ce qui n’est pas naturel, hors vaccin bien sur), pour les effets secondaires possibles (et soulagée de les voir si heureuses désormais, l’ambivalence, toujours), et pour leur vie, simplement leur vie, j’ai peur pour elles. Il y a quelques semaines, en France, deux femmes trans ont été tuées, dont une par son conjoint. Et parce que je ne peux pas m’en ouvrir auprès d’elles, je n’arrivais pas à voir cette peur en train de prendre toute la place.
Je me tourne vers Blanche, et à défaut de retirer pleinement l’angoisse, cela me fait du bien de m’entendre le dire. Oui, j’ai peur.
Un poussin est né chez mes beaux-parents, il a tout juste le temps de sécher qu’il nous l’amène et je le tiens dans mes mains avant de le déposer délicatement entre celles de Kira. Le petit nous observe et parfois il piaille extrêmement fort, je suis étonnée par la placidité de Corail qui ne daigne même pas ouvrir un œil. Visiblement elle préfère les rats, plus dodus.

10 août
Je retourne enfin à la lecture, mais pas du tout les livres choisis ce matin à la médiathèque. Je commence par « Écrire comme une abeille » de Clémentine Beauvais (emprunté il y a déjà deux semaines), un régal, vraiment. Certaines phrases m’ont demandé une relecture successive juste pour le plaisir, et celle-ci j’ai dû la relire trois fois parce que j’ai bugué avant de m’étouffer de rire (à propos des questions qu’on peut se poser lors d’une lecture) :
« Je me demande si Harry va finir par s’apercevoir que Voldemort est son père » (pardon pour le spoiler).
Maintenant je n’ai plus qu’une envie, m’offrir ce livre. Si quelqu’un a un job pour moi (pas physique, déconnez pas), je suis preneuse, j’ai besoin d’argent pour m’offrir des livres, merci beaucoup.
Les deux heures de sommeil rattrapent mon cerveau et très vite je n’y arrive plus, j’opte pour un roman plus facile à lire et sur les conseils de Blanche je commence Tout le bleu du ciel. Sauf que le sujet est difficile, et que les black-outs me font frémir parce que je connais bien, très bien, et que le lire ne me plaît pas davantage qu’à vivre. J’hésite à le reposer. Cela fait deux ans que ça ne s’est pas produit et ce par je ne sais quel miracle, je n’ai pas envie que mon inconscient les déclenche. Ça ne fonctionne évidemment pas ainsi, mais comme justement, on ne comprend pas les déclencheurs… enfin j’en avais déduit l’épuisement, et peut-être l’angoisse très forte.
Je décide de continuer, en essayant de maintenir une distance.
Le soir nous partons à la rivière à l’heure où tout le monde rentre, et très vite nous l’avons pour nous seuls. Et c’est dingue, mais l’eau est si proche d’être tiède, je me baigne – inquiétante, cette température non ?




11 août
Journée de travaux : deux moustiquaires sur trois sont posées, le troisième volet est en place, et l’écran d’ordi hors service est enfin démonté pour vérifier si on ne pourrait pas le rafistoler (et en fait, si, Chouette et LeChat se sont régalés à l’ouvrir, déplier une carte comprimée qui créait ainsi un faux contact, le refermer, et le voir de nouveau fonctionner). Il a évité la casse, de justesse.
L’entrée est de nouveau libre de circulation et cela fait un bien fou.
J’en profite pour aider Chouette à ranger sa chambre sale et bordélique, et dans un excès d’enthousiasme je souhaite en faire tout autant dans la chambre de Kira, qui s’effondre en PLS dans le canapé. Ce n’était qu’une proposition, mais j’ai oublié d’anticiper la crise down. Penser à préparer psychologiquement la prochaine fois (pas faute de le savoir), pour le prévoir dans la semaine et non le jour même..
12 août

Je termine Tout le bleu du ciel, en ne sachant absolument pas comment le noter. Pour un feelgood (j’ai mis un moment à comprendre que c’était le genre du livre, et j’ai appris depuis que l’autrice s’en défendait et ne comprenait pas la catégorisation des lecteurs), il est relativement bon (j’en ai lu où je cherchais la corde, pas le cas ici), l’écriture est très agréable (bien que comportant des défauts), le sujet est bien traité même s’il fait pleurer dans les chaumières, il coche les cases de développement personnel (rhaaaa je n’aime pas Paolo Coelho moi, mais soit), du voyage, des plantes médicinales, de la pleine conscience. C’est amené avec intelligence et tu peux pleurer à la fin, l’histoire d’amour est mesurée (j’ai apprécié), et tout est bien qui finit bien (presque, c’est triste aussi).
Alors c’est quoi le problème ? La longueur, déjà : 840 pages. Je pense que si on retire toutes les phrases du style « il doit y avoir une vinaigrette sur la table parce que je vois un bol avec une cuillère dedans » (à peu presque, pas le courage de retrouver la phrase exacte mais c’était ça), on doit tomber à 500 pages facilement et ça aurait aidé. J’ai mis trois jours à le lire parce qu’il m’est tombé des mains de temps à autre, le sujet était lourd et aurait mérité qu’on n’y passe pas l’éternité, qu’on nous évite les longueurs et les redondances. Mais surtout ce qui est fatiguant, c’est le descriptif qui ne s’arrête plus, insiste, oublie la richesse des synonymes et appuie donc un peu trop sur la chose.
Ensuite, des phrases m’ont hérissé en début de lecture (quelque chose de l’ordre de « oh c’est bien une fille ça ») avant de réaliser que c’était les propos du personnage (que nous allons voir évoluer), pas de l’autrice. Il y a des approximations (non un enfant autiste de ce degré et en pleine crise, ne se précipite pas dans les jambes de sa mère pour se cacher, il fait une crise là où il est), des erreurs (le code postal de Roanne c’est 42300 et non 43200, pas de chance je connais bien la ville, et même si ce n’est qu’une faute de frappe ça m’a agacée parce que ce n’est pas la seule), et non les plantes ne font pas tout lorsqu’on est malade. Il n’est pas dit comme s’occuper d’une personne en fin de vie te dévore de l’intérieur, t’épuise, comme tu ne peux plus être libre même de respirer. Au final, avoir tout un village aide, c’est sûr. J’ai été gênée de ce énième déménagement parce que c’est effrayant dans ce cadre, la non-stabilité. Gênée aussi parce qu’Alzheimer ne se contente pas d’être un retour en arrière dans le passé, c’est plus complexe, plus angoissant, plus problématique, un mélange de présent passé plus marqué qu’un simple « je crois que je suis tombée de ma bicyclette comme dans le passé ». Tout leur parcours est jonché de personnes formidables (quelle chance) qui les aident bien dans leur parcours compliqué (sauf un à la fin, mais sans aucun enjeu peut-on vraiment le compter ?). C’est trop de bonté (mais on voudrait bien, oui).
Je m’aperçois que finalement, j’avais des choses négatives à sortir de ce livre pourtant pas si mal. Il a le mérite d’un thème original, de parler d’autisme, de SSPT, de fin de vie (pas de pathos), et de s’en sortir assez bien (pour son genre). On sort des hôpitaux et des traitements, on plonge dans la réappropriation de sa propre mort et cela me touche, nous devrions pouvoir être libre de choisir, libre d’être, libre de vivre et de mourir comme on en ressent le besoin. J’ai été saisie par les odeurs des plantes, les paysages, les ruines sur le chemin, la beauté des villages ; mon envie de voyage s’est réveillée entre les pages..
Un appel est passé à un endocrinologue réputé safe, miraculeusement installé dans notre département. Il ne répond pas, LeChat a laissé un message. Je n’ai aucun espoir, au vu du désert médical auquel nous faisons face ; nous devrons sans doute nous éloigner beaucoup, si on y arrive.
13 août
Je me crois enfermée dans une injonction à échouer la phrase me traverse alors que je songe à la peinture. Je tente de cerner mieux, mais cela m’échappe déjà.
J’ai le temps de répondre à deux commentaires du blog sur les trois, quand internet disparaît. Je pense que je vais finir par supprimer cette chose inconstante, volatile, surfaite, je vais faire de grosses économies. En attendant, un technicien se déplacera vendredi, le problème ne vient pas de chez eux. Le problème c’est la communication rompue, c’est ce que je ne dis pas, ce que je retiens. Si j’arrive à appeler mes tantes et lancer cette demande de rachat de la part de la maison, est-ce que la communication se rétablira définitivement ?
Pendant que je n’ai plus internet, mes beaux-parents n’ont plus de réseau téléphonique : on se complète. Je reçois pour eux un appel concernant le bois de chauffage. Je me déplace pour les avertir, et je disparais 2h20 sans que mes enfants ne s’aperçoivent de rien. Légèrement vexant.
C’est une jolie après-midi de discussions de laquelle je repars avec un livre d’Agnès Ledig (que j’apprécie moyennement, lecture agréable parfois, même si). En fait je la lis pour la partager avec ma belle-mère, il y a besoin parfois. De partager une lecture même si.
Je lis et une phrase me percute doucement, je me demande, me suis-je autorisée à être orpheline ? Difficile est l’accès de ce chemin, orpheline d’une mère en vie est-ce un ordre si évident ? Je suis certaine d’avoir déjà eu cette pensée en lisant Border la bête, qu’il y a cette réflexion posée, des lignes écrites qui soulèvent ce point précis du deuil de parents vivants. Pas certaine d’avoir enfin fait celui de mon père. À ce propos.
14 août
Je termine le livre avec élan, agacée de tout ce dégoulinant et par toute cette facilité. Je me suis ennuyée sur une bonne partie, chaque fois j’oublie que je n’apprécie pas la manière que l’autrice a de traiter ses histoires..
Petite Corail a une forme moins évidente, plus calme. Je l’observe, trop peut-être ? Les trois semaines sont là, la piqûre ne fait plus effet et nous étions censée la ramener pour des injections à vie.. je voudrais une loupe pour ne rien rater d’elle..

Kira semble replonger dans la dépression, elle se referme et mon angoisse remonte.
15 août
J‘étends une machine sous un chant que je ne suis pas certaine de reconnaître, je pense d’abord au rossignol mais non, et puis je dis à Kira, « je ne sais pas pourquoi mais ça me fait penser à un Loriot d’Europe », le chant s’arrête aussi vite et je n’ai pas la confirmation de ce qui n’est rien d’autre qu’une intuition.
LeChat ne travaille pas et je lui pique sa 4G par le point d’accès ; je retrouve, soulagée, mon chemin à l’ordinateur. Écrire me manque, c’est viscéral… je me questionne sur mon incapacité à passer par le stylo (j’ai essayé). Les mots résistent, le refus est là. Pourtant, j’écris des lettres..
J’en profite pour boucler quelques dossiers administratifs et lire mon retard sur les blogs. Je suis soufflée par un article, je me souviens d’hier – un vieux hier – comme je me noyais dans les engueulades les conflits sa dureté, comme il me tuait les nuits et les jours, comme il me tuait. Je disparaissais sans plus aucun lien avec personne, il avait réussi ça, le vide autour, je n’avais rien vu et pourtant c’était lui ce vide. Je n’avais plus rien, argent, travail, amis, famille. Dans un sursaut je suis partie (puis deux, puis trois, parce que retour et départ, parce que l’emprise), et c’est lui qui est mort. Je suis toujours en vie, et je le dois à ce premier, deuxième, dernier départ. Je ne sais pas si, là, se joue une identique détresse, et ceci n’est certainement pas un conseil ; je sais juste qu’il faut savoir partir pour rester en vie.
Je me connecte 25 minutes avec la 4G et je disparais tout aussi vite, je suis tout au bout d’un chemin qui ne sait pas rejoindre le monde. Demain, peut-être..?
Nous partons à la rivière, la fraîcheur de l’eau m’est acceptable et je me baigne, pour la deuxième fois cette année.
L’eau charrie de lourds fardeaux, des branches mêlées d’algues ou des algues seules, dans le courant. Elles s’emmêlent dans nos jambes, nos bras, je frôle des méduses de passage – désagréable. L’orage a-t-il éclaté plus haut dans les Cévennes ? Deux heures encore avant qu’il n’arrive chez nous, et la pluie, le vent nettoient le ciel et les espoirs de promenade en forêt. Le ciel se déchaîne, les arbres ploient. Quelques éclairs complètent le tableau tempête et je me sens bien, sur le canapé, à savourer ma tasse de déca et la sécurité d’un chez-moi..
Et puis le silence. La pluie s’échappe, l’orage s’éloigne, la luminosité est un peu étrange. Nous nous préparons finalement pour la forêt (l’autre, celle à 15 minutes de chez nous en voiture et dans laquelle nous avons le droit de marcher) : le besoin de s’échapper est plus fort que la boue des chemins.

Étonnamment il a très peu plu ici ou alors bien avant nous, la boue n’est pas au rendez-vous et Kira et moi marchons plus d’une heure. C’est ainsi que nous tombons sur une tombe.. elle est là, le long d’un chemin, depuis 24 ans, complètement incompréhensible. Le téléphone n’a pas pris la photo en plan large (il a sa vie propre, il prend ses décisions et parfois ce ne sont pas les mêmes que les miennes), ici on ne voit pas vraiment qu’il s’agit d’un chemin, et elle est floutée par le manque de lumière. Les feuilles mortes jonchent le sol ; l’automne est là, définitivement en prémisse.


Lorsqu’elle est dehors Kira va souvent mieux, alors nous marchons de nouveau tous les jours puisque la canicule s’est éloignée. La fatigue revient me grignoter, mais je préfère la gérer elle plutôt que la dépression de ma fille. Même si je sais que c’est un leurre, que ça ne fait que repousser.
16 août
J’étends la machine sous un chant incroyable (et des nuages noirs), je reconnais tout de suite la mélodie de l’oiseau d’hier. Cette fois j’ai le temps pour l’identification ; il s’agit bien d’un Loriot. Le petit flûtiste m’accompagne dans mes gestes, je ferme les yeux et respire doucement. On sous-estime le pouvoir de la nature sur nos êtres..
J’ouvre la boite aux lettres et tout au fond, une carte postale qui me touche beaucoup m’attend. Je terrifie l’araignée du bas qui se terre dans son espèce de cocon neigeux (elles sont trois, toutes à l’intérieur bien à l’abri, parfois un piège est tendu et reçois le courrier avant moi). Avant elles, nous avions des fourmis et je craignais pour leurs vies mais il n’est jamais rien arrivé de fâcheux ce qui a tenu du miracle.
La carte est belle, je me prends à regretter de ne partir nulle part cette année – on ne peut pas construire une maison et des vacances – j’aurais aimé un partage dans une réponse, de carte à carte. Hier je me disais comme il était étonnant que j’habite là où beaucoup viennent passer leur été et que je rêve d’ailleurs..
Kira et moi partons nous promener autour de la maison pendant qu’ils jouent au badminton dans le vent – deux volants sont sur le toit, ce qui ne les arrête pas. Le ciel est étonnant, en noir et blanc, un peu. Il s’effondre à des endroits, glisse vers la terre, la pluie tombe au loin. Nous en aurons quelques gouttes fraîches au retour, rien de plus.


Lorsque nous rentrons, ils ont envoyé un troisième volant sur le toit et récupéré l’échelle de maçon de mon beau-père. Chouette grimpe avec joie les récupérer et découvre le panorama, les Cévennes sont au loin, cernées par un orage qui ne lâche rien.
Sur les hauteurs, a-t-on réellement une meilleure vue ? Est-ce que j’en manque.. L’impression que ma mère est là à côté de moi, que tout ce mois elle l’a été, l’impression de sentir sa cigarette dans la maison (au point que j’ai de nouveau nettoyé la chaîne platine) et je ne sais pas l’écouter, à vrai dire je ne sais pas quoi en penser, je ne sais pas ce qu’il faut penser d’une mère davantage présente une fois morte.
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J’aime la façon dont tu écris, tu t’écris.
C’est beau pour tes filles et je comprends ta peur. On aimerait tellement des chemins faciles pour nos enfants. Mais existe t-il seulement ce chemin pour tout un chacun?
Je m’interroge souvent sur nos parcours, nos identités, sur tout ce qui nous charme et nous terrasse en même temps.
❤
Je ne crois pas, non. Jamais. J’ai malgré tout la sensation que certains chemins sont plus difficiles, dangereux, que d’autres. Ou alors il faut juste être un homme, blanc, et riche pour que ça passe ?
Moi aussi, beaucoup..