Quelque part au début du mois, mon beau-père est appelé pour récupérer un essaim. Et cette fois, je me sens de venir – entre la fatigue, la chaleur, les douleurs, ce n’est pas évident de me déplacer. Alors cela fait longtemps, pour moi, bien une année que je ne suis pas venue, peut-être deux.
Nous prenons la route, pour quarante minutes. La boite à lettre est trouvée par le GPS, mais l’entrée est complètement ailleurs, c’est très étonnant. Le monsieur nous attendait, et nous présente son terrain, ses arbres, puis les abeilles.
Nous nous approchons tranquillement, la tête dans les branches basses. Je leur dis que nous venons les retirer de ce lieu qu’elles ont choisi, pour les placer là où ce sera mieux pour les humains, mais aussi pour elles. Normalement, elles ne se posent dans les arbres que pour mieux repartir ensuite vers un lieu abrité. Pas cette fois. Je pose mes mains sur elles, j’apprivoise les abeilles et sans doute, un peu moi aussi. Elles ont commencé à construire dans un olivier (à la première pluie, ça sera la catastrophe pour elles). On ne peut jamais savoir à l’avance comment elles seront, agitées ou apaisées. Je mets les mains dans leur douceur vibrante et c’est fou cette vie si confiante sous les doigts, je suis touchée chaque fois par l’approche si simple entre elles et nous.
Nous repartons vers la camionnette, pour nous habiller. Sous ma tenue, j’étouffe un peu, il y a ce manque d’air soudain, emprisonné, où la chaleur s’ajoute. Mais c’est mieux que d’en prendre dans les cheveux comme cela m’est arrivé une fois… Je ne porte pas les gants, je n’aime pas. Je l’ai regretté une seule fois, cinq piqûres simultanées sur la même main. J’en suis responsable, tellement prise dans mes photos je n’ai pas vu qu’elles me demandaient de m’écarter d’elles, alors qu’elles étaient très énervées par un orage en préparation. J’ai lâché l’appareil sous la douleur, que j’avais heureusement mis autour du cou. Désormais je reste attentive à ce qu’elles disent, quel que soit ma concentration. J’ai appris. Ce jour-là, cinq abeilles sont mortes et c’était évitable, donc je fais attention, pour elles.



Je me recule et je laisse faire Prince, elle les prend dans ses mains et les dépose délicatement dans la boîte qui va les transporter. Je ne suis là que pour photographier, même si je pourrais aussi m’en occuper.


La plupart des apiculteurs ont une méthode très différente pour les approcher, l’enfumoir par exemple. J’ai même entendu dire que ça calmait les abeilles, mais c’est faux. Ca les disperse, les inquiète, leur pose problème mais non, ça ne les calme pas. C’est l’apiculteur, que ça tranquillise. Mais surtout, toutes les formations apprennent ainsi, et dans un but de récolte de miel. On peut pourtant faire autrement.
Ce dont je parle ici est différent. Mon beau-père récupère les essaims dans une démarche de biodiversité, il ne touche pas au miel. Il les dépose ensuite chez des personnes ayant la même volonté d’aider les abeilles d’une manière globale, c’est à dire sans plus aucune intervention par la suite. L’un d’eux sera d’ailleurs prochainement installé dans une forêt privée, dans le creux d’un arbre, proche d’ici.

C’est l’un des essaims les plus doux que j’ai pu voir, notre présence ne les inquiète pas, ni notre travail. Elles acceptent et je me demande, pourquoi. Qu’est-ce qui les poussent à se laisser attraper, diriger, changer de lieu ? À quel moment avons-nous gagné leur confiance ? Je suis chaque fois perplexe, j’aimerais savoir comment nous sommes perçus.

La grille jaune sur laquelle elles sont posées laissent passer les abeilles sans difficulté, mais pas la reine. Cela permet d’être certain que l’essaim est viable. Dans le cas contraire, il faut les déposer devant une autre ruche pour qu’elles soient adoptées, assimilées. J’ai vu la manœuvre se faire une fois, elles étaient des milliers à attendre dehors, poser sur la ruche, c’était impressionnant.
La plume, assez rigide, est appréciable pour la facilité avec laquelle nous pouvons les faire glisser vers la grille, lorsqu’elles restent sur les mains.

La petite pince en métal sert à attraper la reine lorsqu’on la trouve, délicatement, pour quelques minutes, ici le temps de la montrer au couple propriétaire des lieux. Nous la relâchons rapidement, dans la boite, celle sous la grille jaune. Et le travail continue.


Ici on voit la reine, au milieu de la photo, plus longue que les autres et plus jaune aussi.
Mon beau-père l’attrape, les abeilles vont sortir de la pince. Les reines sont timides et toujours extrêmement protégées. C’est une manœuvre que je ne ferais pas, tant j’aurais peur de coincer une patte ou pire.

Petit à petit, l’essaim dans l’arbre diminue. Ici, les mains de mon beau-père. Prince et lui travaillent l’un après l’autre, en douceur.
Comme la reine est à l’intérieur, les abeilles battent le rappel, abdomen en l’air. Elles appellent les autres pour qu’elles se réunissent toutes à l’intérieur de la boite, où il y a des cadres et des cires alvéolées provenant de d’autres ruches.

Autour de moi les abeilles volent, mais aucune ne frappent au voile, aucune ne font des huit devant moi pour me forcer à reculer. Elles restent calmes. Il y a quelques chose de l’ordre de l’apaisement à s’occuper d’elles, il n’existe plus rien qu’elles. Le monde se résume à leurs danses.
Quelques abeilles se rassurent entre elles, c’est très beau à voir.


J’ai raté la photo où on voit le début de la construction sur la branche, on voyait de petites taches jaunes. Beaucoup de mes photos ne sont pas formidables d’ailleurs, l’appareil est très lourd, il faisait chaud, et je n’avais rien photographié comme ça depuis plusieurs années – la faute à la dépression. Je dois un peu réapprendre à m’en servir, à retrouver la manière de me poser.
La sortie et leur contact m’ont fait beaucoup de bien, c’est le plus important.. J’ai quelque part d’anciennes photos bien plus belles, avec des larves et même un varroa – mais pas l’énergie pour fouiller dans le disque dur de sauvegarde. Si ça vous intéresse, n’hésitez pas à me dire.
Aucune abeille n’est morte, aucune abeille ne nous a piquée. Elles ont été déplacées à mains nues, en douceur. Et déposées chez une personne qui ne récoltera pas leur miel. Je comprends qu’on le prenne, qu’on l’aime, qu’on le mange. C’est juste que de notre côté, nous souhaitons les laisser tranquilles, les protéger. Leur assurer au mieux une sécurité que le dérèglement climatique ne permet plus.
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Un merci immense pour ce partage et ces photos magnifiques. Je n’avais aucune connaissance d’une telle approche à mains nues sans « artifices » et cela m’intrigue énormément !
J’ai assisté et photographié une récolte de miel il y a des années sans y connaitre quoique ce soit, à grands renforts de protections et d’accessoires. Les apiculteurs parlaient de leurs abeilles avec le plus grand respect mais tout de même avant tout dans une mentalité de production – ce qui est à l’entière opposée de l’état d’esprit qui se dégage de ton article.
Combien de pratiques prend-on comme acquis par tradition / habitude sans envisager une approche avec davantage de douceur ? Tu m’as donné énormément de grain à moudre, merci à nouveau pour cette source d’inspiration 🙂
J’ai pensé à toi en l’écrivant, je me disais que ça t’intéresserait sans doute (mais je serais bien en peine d’expliquer pourquoi, juste j’ai la sensation que tu es fortement intéressée par beaucoup de choses autour de toi, je crois), en tout cas ça m’a motivée à l’écrire ^^
Il y a quelques années, j’ai expliqué à mon beau-père que je voulais une ruche sur notre (futur) terrain, pour la biodiversité. Pas de récolte de miel donc. Il a hurlé au scandale (il le ramassait, lui), c’était une hérésie, et j’en passe. J’ai limite baissé dans son estime ce jour-là. Quatre ans plus tard, il y venait de lui-même (aucun souvenir de notre conversation ‘_’ ) et maintenant il fait des conférences dans toute la région pour promouvoir la chose.. C’est amusant parfois, comme nos lignes bougent 🙂
Il en parle ici, si jamais c’est visible sans inscription : https://www.instagram.com/p/CsBSJauot33/
Tu as visé juste <3 Et l’histoire de ton beau-père est incroyablement inspirante ! (pour les abeilles, mais aussi pour toutes ces choses en soi qu’on pense inflexibles 😉 )
Incroyable ces photos !! je n’avais jamais vu un déplacement d’abeilles directement avec les mains, c’est stupéfiant…
Ici on a eu des abeilles qui ont creusé des nids dans mes jardinières, malheureusement il y a eu de grosses pluies et je crains qu’elles n’aient été noyées…
Merci 🙂 Ce qui est fou, c’est la vibration intense qu’on sent, ça chatouille très fort et ça rend très aigu la sensation de leurs vies entre nos mains.
Oh, c’est sans doute des abeilles terrestres (ou terricoles), ce sont des solitaires. Il me semble qu’elles sortent avant la pluie, mais je n’ai pas de certitude sur le sujet..