Vendredi
Je passe à l’heure prévue et c’est incroyable – peut-être la fermeture (définitive) des urgences de la seule clinique qui tenait la route ici, y est pour quelque chose. Je suis reçue par un jeune homme doux, très calme, apaisant, qui va d’autant plus contraster avec sa collègue survoltée et efficace. Il n’a pas le temps de finir sa phrase « on va vous installer un masque sur… » que j’ai le masque en question sur le visage ; une cage et une plaque. Je respire calmement et ferme les yeux tandis que le tapis m’emporte dans la foulée dans le tunnel sans même me prévenir, ce n’est pas le moment de faire une crise de panique ou de claustrophobie. J’essaye de ne plus penser, de me retirer en moi, et aux premiers martèlements sonores et schizophréniques de visualiser un doux paysage.
Dix minutes, m’a-t-il prévenue… on sous-estime l’effet sur un cerveau autiste de ce boucan infernal, je ressors lessivée.
Pas de réponse immédiate, je suis renvoyée chez moi avec un code pour accéder en ligne au compte-rendu, « vous l’aurez à votre retour chez vous ». Rien. Le week-end prolonge l’attente.
Lundi
Le compte-rendu arrive en fin de journée. Je me prends de plein fouet deux choses : je ne souffre pas pour rien et j’ai une hernie ainsi que deux vertèbres tassées. Je me sens cassée.
Vague impression qu’entre mes os de la colonne, dans ses intervalles où je m’écrase, se tient ma vie comme une impasse.
Je cherche le lien avec ma maladie, tombe sur cet article américain dans le National Geographic. Je m’agace de voir que nous en sommes toujours là, que les hommes sont diagnostiqués deux fois plus vite. J’ai attendu 37 ans pour l’être, et ça rend fou de s’entendre dire que c’est dans sa tête.
Se confirme le lien hernie-collagène, évidemment. Ce qui est une très mauvaise nouvelle pour la suite. Étourdissant instant où je bascule dans l’avenir.
I’ve never ceased to move forward
Mardi
Je rêve que je suis dans un ascenseur avec un cousin éloigné (riche politicien et avocat, dans la réalité, et prénom identique à l’homme qui partage ma vie), la paroi de gauche s’abîme pendant qu’on monte les étages de plus en plus vite, jusqu’à disparaître totalement, remplacée par un rideau qui ondule avec l’air de la cabine. CousinEloigné est tranquille, il a une confiance aveugle dans son immeuble luxueux (et pourtant, ça se dégrade jusqu’à nous mettre en danger).
Nous arrivons mais dehors (pas dans son appartement, tout là haut), on se dirige vers l’immeuble de CousinEloigné (vague impression de tourner en rond) et j’aperçois une fumée de plus en plus noire, il y a un incendie et CousinEloigné panique, appelle les secours et s’en va je ne sais où vérifier que tout va bien. Je me retourne et je m’aperçois que tous les immeubles autour débute un incendie. C’est volontaire, des hommes blancs les allument pour détruire la communauté noire, je suis désespérée et blanche, tout va trop vite et on ne peut sauver personne, tout brûle en un instant, les flammes plus hautes que les immeubles.
J’imagine qu’il s’agit de ma part d’ombre – la maison brûle.
Lorsque je me réveille, je fais le lien entre les étages et l’âge, plus j’en prends et plus mon corps s’effondre. C’est maintenant à l’écrire que les larmes arrivent. Je suis épuisée par la douleur et la crise de fatigue qui s’est abattue dernièrement sur moi, épuisée par les efforts que cela me demande pour absolument tout. Déprime passagère, mais lourde.
Je devrais pourtant me féliciter d’être arrivée à maintenir la marche tous les jours, 5 minutes au départ, 45 minutes désormais. J’emmerde tout ce qui m’empêche de marcher depuis près de trente ans, je crois qu’on peut dire que c’est efficace. Bataille personnelle avec la maladie, je lui laisse déjà beaucoup du reste.
Partages
. Livre : Tracer sa voix : Une ethnocritique du cycle indochinois de Marguerite Duras, de Savannah Kocevar, ouvrage universitaire extrait d’une thèse et de fait particulièrement pointu, ardu, et donc difficile à lire. Il a son intérêt, mais il faut être concentré.
. Musique : playlist de février (cliquer sur ce lien parce que les extraits, c’est lamentable, mais je n’ai pas mieux pour l’instant)
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Désolée d’apprendre pour la hernie ; j’espère qu’une infiltration vous fera le même bien qu’à moi…
Merci, je l’espère aussi. Est-ce que ça fait mal, l’infiltration ? Pendant, après ? (une douleur pour une autre, vous me direz..)
Difficile de répondre parce que je n’ai vraiment pas eu de chance à la première infiltration (hernie à un étage inhabituel + corps qui tarde à réagir à l’anesthésiant + interne particulièrement inexpérimentée, qui m’a fait une ponction lombaire involontaire). Si j’en crois ma grand-mère, ça ne fait « rien du tout, juste une piqûre » ; si j’en crois ma seconde infiltration avec un médecin compétent, ça fait mal sur le coup, mais ça passe dans les secondes / minutes qui suivent. Une semaine plus tard environ, j’ai commencé à sentir une nette amélioration. Le bonheur de pouvoir se retourner dans son lit sans être réveillée-terrassée par la douleur…
Punaise en effet… cette première fois a dû être épouvantable. Heureusement que la seconde a été parfaitement menée et efficace.
Oui les nuits sont terribles et le réveil brutal. Et selon le geste en journée, ça peut être violent aussi… hâte d’avoir le rendez-vous (et pas, j’appréhende un peu).
Je suis assez bouleversée par la façon dont les personnes qui souffrent vivent avec cette souffrance, douleur persistante. Je leur vois un supplément d’âme, un élan vital qui impose un respect sans faille.
Je ne sais pas quoi répondre, alors <3
Merde… Plein de courage à toi.
Merci, ça finira par aller mieux