La douleur me fragilise. Je me sens m’effondrer intérieurement ; si on pouvait voir l’âme des personnes que l’on croise, on me verrait recroquevillée dans un coin sombre, en larmes. Je ne sais pas pourquoi. Je veux dire, j’ai l’habitude, Je veux dire… cela n’a rien de nouveau, je connais. La souffrance élevée, comme la baisse de moral qui l’accompagne. Je suis chaque fois perplexe pourtant, peur de voir revenir la dépression je crois. Ce n’est rien, pourtant, finalement, rien que passager. J’apprends à entendre le désespoir, à accueillir, à entendre la peur. Que jamais cela ne cesse autrement que contre un mur. Parfois, c’est dur, la douleur jusqu’à la nausée. Les nuits redeviennent chaotiques, elle me réveille, m’arrache au sommeil. Je suis si fatiguée.
J’ai trouvé, d’ailleurs, la source de mes cauchemars.
Une nuit le lien s’est fait, sur la tête de mon enfant jeune, un accident, sa mort était un accident et le mot est resté au réveil, lancinant, avec le bruit sourd de sa tête sur le sol qui n’en finissait plus d’être.
C’est quelque chose dont je n’ai ni parlé ni posé les mots à l’écrit, lorsque c’est arrivé. Parce que je ne voulais pas partager ce moment, parce que ce qu’il s’est passé, j’aurais voulu que ce ne soit pas, parce que je voudrais seulement partager la beauté de la vie, pas ‘ça’. Parce que je n’ai pas vu comme ça m’avait traumatisée.
Ma mère est morte et nous avons fait 4h30 de route (aller puis retour) une première fois – l’enterrement et l’appartement à vider – puis une deuxième fois la semaine suivante – l’appartement à terminer. Il y avait la fatigue physique (les voyages, le déménagement) et la fatigue émotionnelle (la mort, l’enterrement, la famille, les prises de tête, la bêtise, les jeux de pouvoir) et une erreur toute simple : sur ce dernier retour, nous ne nous sommes pas arrêtés au bout de deux heures de trajet, nous n’en pouvions plus et nous voulions être chez nous, où nos enfants étaient rentrés et nous attendaient.
C’est comme ça que ça arrive, les accidents. Sur de la fatigue, du stress et moins de réflexe.
Je l’écris en page 2, pour protéger ceux qui ne voudraient pas lire.
Ce qu’il y a besoin de retenir, c’est que je ne l’avais pas parlé, pas écrit, pas pris en charge.
Depuis, plusieurs soirs de suite, je m’en suis occupée par visualisation. J’ai pris le temps de la revoir, yeux dans les yeux, d’y mettre beaucoup de douceur. Je l’ai accompagnée, elle à côté de moi. J’ai revu l’accident, J’ai recréé l’instant, je l’ai manipulé sans l’impact, Je sais maintenant la force folle pour l’inconscient de recréer un instant comme on aurait voulu qu’il existe, comme cela apaise le traumatisme : il existe maintenant une réalité parallèle où l’accident n’a pas eu lieu.
Depuis, je ne cauchemarde plus.
Et de l’avoir écrit, la douleur est redescendue à un niveau gérable… ainsi que mon angoisse, je pourrais voler. Le soulagement de l’écriture, encore.
Un jour, il me faudra analyser le mécanisme incroyable qu’est cet acte d’écrire..
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J’aurais tellement aimé une fin plus heureuse. Je t’envoie toutes mes pensées, et puis, merci, aussi, pour ce partage infiniment douloureux, et infiniment beau dans sa clarté et le soulagement de l’écriture.
J’aurais tellement aimé aussi. Difficile d’admettre l’absurdité de ce qu’il s’est passé, son manque de sens. Les ‘pourquoi’ continuent de voler sous mes yeux, bien que moins fort. Autant j’arrive à mettre un sens à beaucoup de choses (à en tirer des leçons, à grandir) autant là… rien – sinon qu’il me faut écrire, encore et encore.