J’avais une blessure et je découvre maintenant qu’elle est profonde. Au lieu de la guérir, comme je me le figurais, l’acte d’écrire l’a entretenue. Je sens par moments la douleur qui se concentre dans ma main droite, comme si, chaque fois que je prends la plume et l’appuie sur la page, ma main était lacérée.
– Paul Auster, L’invention de la solitude
Et sur cette phrase, j’ai entendu mes quatre années de silence, l’existence même de ce vide que je n’avais pas compris et qui m’a tant blessée dans son abandon de moi-même. Le choc m’a balayée, positivement balayée – tout choc ne nous met pas à terre. J’ai flotté quelques heures avec cette phrase qui se promenait sous mes yeux, je l’ai faite danser avec mes ombres et je suis ressortie de là avec une sensation d’intense bienveillance sur ce silence. Si je me suis tue, si j’ai été en incapacité de me parler, c’était pour me sauver. C’est le lien même de l’écriture qu’il m’a fallu briser, celui qui a entretenu sans le vouloir ma blessure à R. Plus j’en ai parlé, plus je me suis enfoncée. J’ai bouclé sur ce qui était un traumatisme, sur la trahison et la violence de la perte. Je ne me remettais pas de cette amitié brisée, j’ai entretenu involontairement la blessure. Je me suis vue faire, je me suis vur écrire écrire écrire et plonger toujours plus loin, une vague émotionnelle qui m’a noyée. Pour en sortir, j’ai dû rompre l’écriture, me taire. Et plus tard, durablement mettre à la porte R.
Pour, enfin, revenir à moi.
Ce que je comprends enfin, c’est que mon inconscient a eu raison de m’empêcher d’écrire. Même quatre années. Il m’a protégée. Quelle bienveillance il a fallu pour que mon inconscient s’autorise à me faire taire, à m’empêcher la seule manière que je connaisse d’exister.
Je ressens une immense gratitude envers celle que je suis.
Il n’y a parfois que l’épaisseur du tranchant d’une lame de couteau entre l’élaboration libératrice du trauma et la répétition du trauma qui peut trancher une vie.
– Claude Nauchin dans Ecriture de soi et trauma, Jean-François Chiantaretto

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Merci pour ce très beau billet, qui m’incite à réfléchir à ce que j’écris (ou pas), évidemment 🙂
Avec plaisir 🙂 Cela m’impressionne toujours comme tout à un sens..