Vous vous souvenez sans doute de la Dame Au Chat. Pour les oublieux et les inconnus (s’il y en a), j’ai remis le texte. Un peu ancien, mais pas trop.
La Dame Au Chat est devenue La Dame Sans Chat un jour qu’il a fallu le nourrir une fois de trop, ou qu’il a tenté de la faire tomber une fois de trop, ou qu’il a existé une fois de trop. Tristement, elle a demandé à sa sœur la plus jeune, celle qui prend toutes les décisions familiales, d’emmener son chat à la SPA et de l’y abandonner avec une part d’elle-même. Pour 150 € il existe l’abandon officiel, et il explique beaucoup les abandons sur les autoroutes – je dis ça comme ça. Elle n’a pas d’argent pour elle-même, mais elle a payé pour son chat. C’est autant qu’elle ne mangera pas – elle boira le reste.
Désormais elle tombe, mais toute seule. Un peu l’alcool, un peu la santé, un peu l’hypoglycémie, elle perd l’équilibre, tombe sur un meuble ou au sol, s’ouvre la tête ou ailleurs, laisse sécher. C’est très bien, séché. Elle l’oublie, de toute façon. C’est déjà difficile de marcher, tomber, se relever, alors la salle de bain elle est trop loin.
Un jour, allez savoir pourquoi elle ne se souvient pas du tout, son assistance sociale a eu besoin d’un papier administratif. Comme elle marche avec deux cannes et que, ma foi, elle tombe facilement, elle a envoyé son aide ménagère – qui ne fait pas le ménage, mais l’achat d’alcool – avec son livret de famille, sa carte d’identité, tout, récupérer ce précieux sésame. L’aide à domicile, elle fait ce qu’on lui demande. Elle n’a pas le droit d’acheter de l’alcool mais elle le fait, par exemple. Elle n’est pas suffisamment payée, un refus peut devenir un renvoi ou des tensions interminables, elle laisse tomber. Et là elle lui demande un papier, c’est simple, elle se rend donc au Centre des Impôts.
Et là, on ne sait pas.
Peut-être y a-t-il eu un alignement malencontreux de planètes avec des licornes, ou bien l’Univers a développé un sens de l’humour soudain douteux, ou encore une mauvaise fée a fait trébucher la main de l’employée, toujours est-il, l’aide à domicile a récupéré le papier sans difficulté, n’a pas regardé ce qu’elle prenait, est revenue à l’appartement olfactivement perturbant, l’a tendu à La Dame Sans Chat, et La Dame Sans Chat a changé de tête. Elle a blêmi. Ce n’était pourtant pas facile facile, elle n’est pas vraiment avec un teint tout rose malgré les blessures séchées qui rehausse un peu l’ensemble, et pourtant, elle a blêmi.
Entre ses mains, la feuille d’imposition de sa fille.
Celle qui a claqué la porte pour ne jamais revenir.
Il y a un peu de quoi devenir blanche. Et peut-être rouge ensuite, parce que ça a dû un peu réactiver le système sanguin, cette histoire.
Là voici donc en possession d’informations folles, comme son nom de mariée, le nom du mari, l’adresse postale, le détail des revenus, le revenu fiscal, les numéros fiscaux, le nombre de parts (et donc d’enfants, mais là, elle n’a rien compris, elle en a déduit de ce chiffre trois qu’il y avait un seul enfant).
Elle n’a rien demandé, et ça lui est arrivé tout droit entre les mains juste comme ça.
Cadeau.
Alors elle le garde secret, assez longtemps pour que ça occupe toutes ses journées, assez longtemps pour que ça la dévore un peu, mais pas assez pour que de l’eau coule sous trop de ponts : deux mois. Lors d’un appel de sa sœur, elle va lui en parler de cette histoire de papier improbable suite à une bourde monumentale d’une employée de bureau à côté de la plaque. Et du fait que, tu te rends-compte, je suis grand-mère. Et tu veux voir le papier ?
La sœur a accepté de voir le papier, elle est donc allée la voir.
Elle lui a ouvert la porte avec ses cannes, sa tête un peu bleue un peu blessée, sa maigreur hallucinante, et sa saleté. Sur elle, la saleté. La soeur, elle a eu l’impression de rencontrer une SDF, sauf que c’est sa sœur, et qu’elle a un domicile.
Le papier est bien réel.
L’histoire est bien réelle.
…
Et moi et bien, j’ai maintenant une angoisse bien réelle.
Pas trop, au vue de la catastrophe.
Non, pas trop.
Juste de quoi passer de bien mauvaises nuits. Et maudire sur plusieurs générations les employés des impôts gravement indélicats.
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Mais ! Quelle histoire de foi ! Je suis tellement désolée pour toi…
(Mais quelle plume tu as !)
de *fou, l’histoire, pas de foi…
Mais oui ! On dirait que le fil narratif est trop gros, vraiment…