Ces jours je me suis posée devant plusieurs questions, et l’une d’elle, yeux dans les yeux, fut de réfléchir au blog : je ne sais pas ce que je fais avec. Je parle trop de ce qui me traverse (je veux dire, si on part du principe qu’on est censé être des huîtres les uns pour les autres) et plus ou à peine de ce que je crée (pour ça, il faut avoir de la matière entre les mains et je l’ai plus ou moins abandonnée). Je n’ai rien contre le fait de m’exposer (si c’était le cas, je ne serais pas là) mais je dois aussi admettre que je ne sais pas si je fais erreur. J’ai pleinement conscience qu’être autiste, c’est manquer de repères, et ici j’en manque vraiment. Je n’ai jamais su faire ce qui était attendu, et l’attendu m’ennuie, je ne suis donc pas très avancée.
Le créatif, je le voudrais foisonnant, au lieu de quoi je m’acharne à tirer à droite à gauche des instants égarés. Je ne termine pas souvent ce que je débute (cf le dessin de Jinx) (peut-être parce que le terminer ça veut dire réussir et ça, je ne sais pas faire) : j’ai peur de me lancer dans toutes les entreprises que j’ai en tête. Je frôle le ridicule, à ce stade. Je veux dire, j’ai 48 ans. Je me rapproche d’une fin certes encore éloignée à priori, mais si je dois faire quelque chose, c’est maintenant. Surtout que si jamais on croit à la réincarnation, je ne sais pas si vous avez remarqué mais ça va être compliqué dans les décennies à venir. Donc je vais partir du principe que je n’ai pas d’autres chances pour m’épanouir, produire ou m’inventer une vie de couleurs. Oui mais (mon cerveau a toute latitude pour trouver des « mais ») et la planète ? Je veux dire, elle brûle. J’ai beaucoup de matériel créatif, pourquoi je vais encore acheter de nouvelles choses (l’argile par exemple, ou la porcelaine froide qui me tente), à quel moment peut-on s’autoriser des achats alors que la surconsommation tue littéralement notre habitat, que le fascisme gagne les pays, que l’autoritarisme s’installe, que la guerre est partout jusque chez des voisins ? Qu’il y a mille autres choses à faire que de se perdre, la tête dans les étoiles. Je ne me sens pas légitime. Je n’ai pas l’impression que ce soit pertinent. Je culpabilise, très exactement. Et puis je n’ai aucun talent, alors à quoi bon acheter quoi que ce soit dans ce monde en perte sèche ? Le seul artiste officiel de la famille était mon grand-père, et encore il disait tout le temps « mais non je ne vaux rien » – je ne sais pas jusqu’à combien de générations il va falloir remonter pour détruire cette phrase, cette voix, cette certitude de n’être rien.
Et puis juste là, jeudi, je suis tombée sur ça.
C’est un début. Une femme que je ne connais pas m’a donné l’autorisation d’exister malgré ou plutôt parce que « le dérèglement climatique » et ce n’est pas rien, je suppose. Je me suis donc remise à mon carnet, le fourre-tout qui accueille mes mots dernièrement et qui vient de reprendre un peu de colle du papier et des fleurs séchées, parce que. C’est important. Oh pas pour le monde, non. Pour moi. Je ne sais pas vivre sans l’écriture, je ne sais pas avancer sans l’écriture, je ne sais pas aller mieux sans l’écriture, mais je ne sais pas non plus être sans créer. Et il est fort possible qu’une grande part de mon mal-être provienne de là, de ce que je m’empêche d’exister à travers toutes sortes de matières et toutes sortes de couleurs juste parce que j’ai été éduquée comme ça, à ne rien valoir et à ne rien savoir faire. Au-delà de la colère que je pourrais, que je devrais, ressentir, je me dis que peut-être l’une des premières choses à faire est de construire, apaiser, soigner ce qui a été détruit par d’autres. Que la meilleure chose que je puisse m’offrir finalement, peut-être avant de me mettre à hurler dans une forêt toute la rage accumulée, ça serait, pourquoi pas, d’accepter d’exister en faisant taire ma mère, chaque membre de ma trop grande famille, mon ex S., toutes ces voix qui continuent d’alimenter la colère-rage contenue sous son couvercle bien scellé. Stopper la source et voir ce qu’il se passe ensuite, quelle étape après. Démarrer doucement, même si en réalité c’est une très grosse étape et que ça va prendre du temps à guérir.
Cette réflexion m’est venue de LeChat qui m’a dit la semaine dernière « et pourquoi ne pas exprimer ta colère dans la peinture ou le dessin ou autre chose » et ma première pensée a été « ce n’est pas possible, je ne sais pas faire ». Et c’est vrai, que je ne sais pas : je ne me suis jamais autorisée. Chaque fois que j’ouvre mes carnets de peinture de l’année dernière, je me dis que c’est réussi quand même tout ça mais que je ne saurais jamais le refaire, je ne suis même pas certaine de l’avoir fait, alors recommencer ?
Ça m’effraie, d’exister si peu.
Alors j’ai débuté une veille créative, j’entends par là une attention sur mes mains sur mon mental sur mes idées. J’ai fouillé le net et j’ai trouvé un livre L’artiste et le vivant que je vais lire. J’ai rouvert le carnet et j’ai coupé collé écrit. J’ai modelé un fantôme. J’entends tous les défauts à haute voix dans ma tête, ça hurle presque, je peux vous dire comme chaque fissure de l’argile est une plaie en moi. Et mes photos sont floues, j’attends quoi pour les refaire. Je ne cherche pas à taire les voix cette fois, ça ne fonctionne pas de les ranger dans un coin en appuyant dessus très fort, parce qu’elles sont encore là, dans le coin, à revenir la fois suivante, non, je cherche à les entendre et à les regarder droit dans les yeux ; ça fait mal mais ça ne peut pas être pire que de le croire. Je devrais pouvoir les démonter une par une. Si je les écoute vraiment, si je les regarde vraiment, je crois qu’elles vont perdre leur puissance. Il y a là une reconnaissance, je crois que c’est ce qui se joue une reconnaissance, elles sont là mais moi aussi. Pour beaucoup ils sont morts après tout, ils n’ont plus le droit à la parole.
Alors voilà. C’est flou. C’est fissuré. C’est moi. J’affirme que c’est moi. Qu’est-ce que tu vas faire.
Le plus étonnant, c’est que je n’avais aucune vision globale de ce que je tente de faire, avant de l’écrire.
En conclusion de quoi j’ai compris, au moins pour quelques heures, que j’ai besoin de peindre modeler dessiner coller découper inventer imaginer, autant que j’ai besoin de cet espace (le blog) ; me poser ici est une manière d’exister justement, de créer aussi. C’est moi, que je crée : je me permets d’être. Je me permets un espace où je cherche, je creuse, j’affine la perception que j’ai de moi-même à un instant précis, des formes dissociées ou non que j’assume autant que mes incohérences. C’est une forme de créativité totale – finalement.
Et je le fais comme je jetterai une bouteille à la mer, avec l’espoir de m’y trouver
– je m’envoie des lettres.


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. Blog : PourquoiPasAutrement qui s’est lâchée magnifiquement
. La newsletter « ces traces qui persistent » de La Lune Mauve (lien pour s’inscrire), juste parce que je ne sais pas, j’aime bien sa manière d’écrire, d’être, de parler du créatif et du reste.
. Cairn : Lécriture du journal comme outil de formation de soi-même (via La Lune Mauve) :
(…) pour se rencontrer soi-même au quotidien, pour réaliser une clinique de soi dans un environnement complexe et prolifique en termes de stimulations, l’écriture au jour le jour constitue un outil intéressant parce que le sujet n’est ainsi pas tenté de travestir une réalité vécue. Il s’agit d’écrire et de décrire son quotidien au jour le jour, l’analyse ne pouvant se réaliser qu’à partir d’un écrit déjà conséquent, réunissant donc plusieurs jours, voire plusieurs semaines d’écriture. C’est donc moins la quantité écrite chaque jour que la régularité de l’écriture qui nous importe ici. Au fur et à mesure des jours, des fils vont se dégager, le sujet n’a plus alors qu’à les tirer pour produire l’analyse de son quotidien et du rapport qu’il entretient avec celui-ci. Écrire un journal, c’est prendre conscience de soi pour surmonter les difficultés existentielles et sociétales.
Cela paraît être un premier mouvement pour réintégrer un conflit archaïque et nécessaire à la vie, celui de son propre rapport au monde. Parce qu’être au monde, c’est être dans un conflit permanent, conflit fertile qui dégage des possibles.
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« Oh pas pour le monde, non. Pour moi. »
Et pour moi, Ambre, et par « moi », j’entends le monde, parce que je ne peux pas être la seule qui à te lire se soit sentie exister à son tour – c’est statistiquement impossible, j’en suis persuadée 🙂
C’est pour ça qu’on écrit, aussi. Je sais que tu parles au sens bien plus large de création, et de création pour toi-même, mais puisque l’ouverture de ce billet, c’est le blog, j’ai besoin de le dire. Nos blogs, nos écrits (par nous j’entends « tout le monde », pas « toi et moi ») nous relient. C’est ça, c’est exactement ça, la pertinence de la création et du partage dans un monde qui brûle.
» je ne peux pas être la seule qui à te lire se soit sentie exister à son tour » je n’arrive pas à démêler si je suis touchée, bouleversée, perplexe ou tout à la fois (sans doute « tout ») ❤️ merci. Je ne suis pas certaine qu’il y ait des mots plus incroyables pour m’encourager à continuer (et arrêter de me dire que ça n’a pas de sens, ou que moi je n’en ai pas).
C’est très juste, c’est d’ailleurs le propos aussi du dernier lien : écrire nous relie les uns aux autres, là où le monde se délite. On se tient debout sur les mots des uns et des autres, et (peut-on ajouter) sur l’art, qu’on crée et/ou qu’on partage. Je prends conscience de cette force-là, ces derniers jours. Tout à l’heure j’ai passé ma nouvelle commande d’argile et même d’un petit pot de porcelaine froide (que c’est cher !) sans aucune culpabilité ^^ Je progresse.
Ah non, vraiment, je n’ai pas du tout envie de vivre dans un monde d’huîtres, et je suis bien contente que d’autres s’exposent pour qu’on puisse ensemble ou chacun de son côté se réinventer. Vive la création de ses mains et de soi.
Et merci pour les liens : l’extrait sur l’analyse par l’écriture quotidienne reconfigure quelque chose que je savais confusément et Pourquoi pas autrement est une belle découverte, j’ai ajouté le blog à mon lecteur de flux RSS.
Moi non plus, c’est insupportable. Pourtant c’est un peu l’idée, on ne peut pas discuter de ce qui touche réellement les gens sans qu’ensuite ils t’évitent parce qu’ils le regrettent. Se trouver entre personnes qui apprécient de creuser un peu (ou beaucoup, pourquoi pas) n’est pas facile et au moins les blogs permettent ça 🙂
Oh j’en suis ravie ! Oui Pourquoi pas autrement est chouette à lire, ses réflexions me nourrissent beaucoup.
Oh mais oui, on fait pour soi bien sûr, et la fille de la vidéo You Tube a tellement raison ! j’allais exactement te dire ça : justement il faut le faire parce que ça brûle ! parce que tout ça doit sortir, parce qu’on a envie de le faire et c’est tout. Tes considérations sur la surconsommation sont très justes et je les partage mais honnêtement pas sur ça. Sur les jeans, les fringues, la déco, la vaisselle, oui mais sur le matériel artistique, on peut s’acheter ce qu’on a envie, ce qu’on a besoin parce qu’on le transforme, ça devient autre chose, c’est une matière vivante.
A mon avis, si on veut tenir dans la durée dans un tel monde, au contraire, il nous faut vraiment ce genre d’éléments créatifs, ces soupapes qui nous permettent de décompresser.
Je culpabilise pour beaucoup de choses, je ne sais pas comment faire plus que ce que je fais déjà, à mon échelle. Un jour il sera peut-être intéressant de poser ici toutes nos démarches, astuces et autres projets de vie décalés. Mais acheter du matériel créatif, c’était un peu comme si soudain je reniais tout ce que je faisais, que ça l’annulait. Ça m’a fait du bien de l’entendre sur ce sujet, ça a tellement du sens quand je l’écoute. Et je note vue, les réactions, que ça fait sens pour tout le monde, ça aussi me fait du bien. Je vais apprendre à respirer sur ce sujet. Aujourd’hui j’ai passé ma commande d’argile et d’un petit pot de porcelaine froide (ça coute trop cher pour plus mais je vais me faire un peu plaisir quand même ^^).
Tenir sur la durée, c’est exactement ça. Et ça ne va pas être facile. Autant créer et partager, que la beauté, l’expression, le sens et la liberté gagnent quelque part.
Si on ne peut plus écrire, partager, se livrer, alors que reste t-il?
Quand je te lis, je me lis parfois et je me sens liée à toi, aux autres qui te lisent, à ce qui sort, ce qui me fait réfléchir, grandir. C’est si triste le monde quand on ne peut pas se dire, quand on sent l’autre s’éloigner par crainte, par peur de dévoiler l’intime et de ne plus pouvoir faire marche arrière. J’étouffe dans ce monde qui reste en surface, dans lequel je ne sais pas comment exister.
Créer c’est s’exprimer, quelque soit la manière. Je crois que rien n’a besoin d’être beau, réussi. Mais que tout est dans l’expression de l’intérieur de soi et c’est quand on commence à s’autoriser à…qu’on se donne le droit de…qu’on se relie à la vie, l’univers, le tout, l’existence de toute chose, le monde dans ce qu’il a de plus noir et de plus solaire.
Cette phrase me touche beaucoup « Parce qu’être au monde, c’est être dans un conflit permanent, conflit fertile qui dégage des possibles ».
Merci pour ce texte et pour ce blog ❤️ qui manquerait à mon quotidien si il venait à disparaitre
Je te remercie pour tes mots, je suis si touchée. C’est apaisant de se savoir dans un tout aussi invisible et pourtant très ancré. J’aime comme nous sommes tou.tes connecté.es par ces espaces d’écriture et de partage, j’aime les échos qu’ils peuvent générer. Ils ont acquis une importance au fil du temps qui nous dépasse, je crois. Créer, s’exprimer, devient quelque chose de plus grand grâce à ces liens. Et c’est fascinant.
« rien n’a besoin d’être beau, réussi » c’est cela, et je vais m’y accrocher. Merci à toi Marie ❤️