8
Le loriot d’Europe est revenu, il enchante tous nos matins… je l’écoute comme un appel à m’apaiser au milieu des rêves difficiles.
Est-ce qu’il respire et chante en même temps – il me semble.
10
Le repas est bruyant, nous sommes dix et les plus jeunes vivent leur vie d’enfant dans les cris. Je m’échappe dans quelques photos, personne n’écoute personne, pas vraiment. J’achope sur une phrase agressive de ma belle-mère qui se rattrape avec une vague légèreté ensuite – il y a quelques temps je lui ai donné des morceaux de moi qui auraient dû rester dans l’ombre visiblement, elle finit toujours par renvoyer sec. Elle n’a pas soigné la place de sa belle-mère avec elle-même, ne sait pas davantage soigner sa place avec moi.


11
La lenteur, je crois que c’est ce qui caractérise le plus la canicule. Avec la lourdeur moite sur la peau.

12
Est-ce que vous vous êtes déjà demandé comment vous respiriez ? Par quel miracle ?
Comment ça peut bien fonctionner, la respiration ?
Je me pose la question toutes les nuits, tous les jours, et parfois entre.
J’ai occupé toute ma semaine à prendre en charge un bébé, un jeune adulte, une mère, moi, une allergie et à avancer sur un drôle de chemin. Dans l’histoire que j’ai conté, je n’avais pas beaucoup parlé de Bruno puisqu’il ne s’était pas manifesté à ma conscience. Il est venu finalement me chercher depuis ses ténèbres ; vision réelle de ténèbres incluant des milliers et des milliers de lucioles incapables d’éclairer quoi que ce soient tant elles étaient faibles – dire que je me surnomme Luciole. Je les ai aidées dans leur lumière retrouvée, à se voir les uns les autres ensemble. À faire progresser des morts qui pèsent de tout leur poids sur ma respiration, j’ai de nouveau avancé pour moi.
J’ai mangé deux fois (le même jour) une nourriture lourdement chargée en laitage, avec un résultat à mi-chemin de celui espéré : je ne me suis pas réveillée en hapnée, l’air bloqué, comme ça serait arrivé il y a encore trois semaines en arrière, mais je me suis réveillée tout de même parce que c’était un peu laborieux (est alors arrivée l’image des ténèbres luciolées). Depuis, je dors bien. Et je respire assez bien. Là où habituellement je mets trois semaines à reprendre une respiration correcte, tout va – presque – bien et pourtant non pas vraiment, ça ne fonctionne pas. Le jour, ça va relativement bien. Mais la nuit… je voudrais mais l’air filtre plus lentement. Il reste une trace, quelque chose est toujours là, qui n’est pas complètement terminé. Peut-être parce qu’il reste un corps sur un balcon, la nuit, et qu’il a mal. En fouillant des archives, j’ai découvert qu’elle avait vingt-neuf ans lorsqu’elle a menti sur l’enfant qui ne tenait pas dans son ventre. Je crois saisir qu’elle était considérée comme vieille fille et qu’elle a eu peur de l’être puisque c’était un épouvantable statut à cette époque. Que cela aurait motivé son geste, celui qu’elle a payé si cher par la suite. Mais je ne sais pas quoi faire de plus, ni pour le corps la nuit ni pour les ténèbres le jour, il va falloir qu’ils s’aident un peu de leur côté. ; je suis arrivée à un point où j’ai tout mis de moi, tout écrit, tout écouté et là, je ne sais plus. J’en suis à expliquer à ma tête, aux fantômes, à mon corps, à ma vie, au monde entier que je suis capable d’écouter, résoudre, aider, avancer par les rêves et que ma respiration devrait rester en dehors du débat. Je ne sais pas ce que je peux faire de plus. Je ne suis pas certaine de pouvoir faire plus, d’ailleurs. Peut-être qu’il me faut simplement être patiente et que les réparations se font dans mon corps, tranquillement – c’est la sensation que cela me donne : tranquillement.
Sur une impulsion j’ai tiré une carte de mon tarot celte, qui m’a répondu « tu vas bientôt voir le bout du chemin, continue en douceur ». D’accord. Va pour la douceur.
Je conscientise l’air qui passe par le nez et s’envole dans les poumons, j’apprends à me faire confiance.

13
L’air passe. Puis se bloque. Puis passe. Puis…
Je suis fatiguée.
Je ne dors pas assez, de ne pas respirer je manque les heures de nuit. De manger ce qu’il ne faut pas, aussi. Et pourtant j’avance, essentiellement la nuit. Je n’écris pas tout parce que c’est trop, parce que ce qui se pose va trop vite, parce que je suis une sorcière, aussi. Je l’ai écrit, dans un carnet, je garde trace tout de même.
Les jours s’enchainent, diffèrent, sont un peu fous. La chaleur détruit les plantes et les hommes, j’étouffe de ça aussi, de ce plomb tombé du ciel. Ils disent qu’il fait dans les 40°, personnellement j’ai vu un 43,7° passer à mes fenêtres (je collectionne les photos des records de température d’ici). On tente de se rafraîchir dans les rivières mais il fait toujours 38° quand on en sort à 21h. Un soir alors qu’on mange juste au bord, un éclair blanc déchire le ciel, le tonnerre explose à peine la lumière disparue, on ramasse la salade et les serviettes et le ciel se déverse sur nous comme un torrent alors qu’on est encore sur la plage. On rejoint la route, absolument trempés, des voitures ralentissent pour ne pas nous asperger alors qu’il n’y a plus rien de sec en nous. Dans la voiture, soudain, alors qu’on dégouline sur les sièges et que je tente de sauver mon casque et mon livre (qui vont très bien par miracle, à quelques flaques prêt), on se met à rire, et c’est exactement ce que j’aime chez nous, comme on rit de tout, tellement de tout.
Phrase entendue (LeChat) : _ À l’époque, il fallait allumer un ordinateur avec un silex.
15
La bouteille éclate au sol, des milliers de morceaux de toutes les tailles déracinent l’espace et le colonisent de liquide et de verre, figent le temps, on ne sait plus comment avancer sans se blesser. Secouée par la route depuis les courses qu’il vient de faire, il a échappé la boisson gazeuse qui a explosé. Il y en a au sol dans la cuisine, le salon, la salle de bain, la chambre, mais aussi et c’est bien plus dingue, en hauteur sur des meubles ; un éclat s’est délicatement posé dans la poêle à crêpe. Une grosse partie du cul de la bouteille sera retrouvée sur le canapé, à l’opposé de la chute.
– les jours ont passé, on en trouve encore.
16
Il marche sur un tesson en plein milieu de la cuisine – il le récupère à la pince à épiler.
17
Si peu d’espace pour exister. Penser. Respirer.
Allongée, je respire toujours mal, et je le lie pour beaucoup à mon accident : depuis et quoi qu’ils en disent, allongée je respire fermé. C’est donc bien que ce petit os qui pointe sur l’arête, caché le jour par mes lunettes, dépasse d’un côté et bouche vaguement quelque chose de l’autre. Mais l’allergie aggrave la chose et je ne résous rien, finalement, avec tout ça. L’impression de me débattre avec de l’invisible.
Elle est morte aujourd’hui, je me demande ce qui est venu me chercher.
Si peu d’espace pour être, qu’il faut la nuit.
Il est deux heures trente du matin, les yeux sont grands ouverts sur la chape de plomb infernale qui ne nous lâche pas – on ne peut toujours pas ouvrir les fenêtres. J’aurais dû lire, sans doute, occuper les préoccupations devenues aussi lourdes que l’air. À la place j’ai cherché sur le net comment se déroulait une séance EMDR – ça me travaille. J’y lis cette phrase « Une fois la charge émotionnelle réduite, le patient remplace les croyances négatives par des affirmations positives. Par exemple, « Je suis impuissant » peut devenir « Je suis fort et résilient ». » Et alors que je lis, relis, tente de prendre pour moi ce « Je suis fort.e et résilient.e », quelque chose fait sens, soudain, dans ce que je n’ai pas fait, à la suite de ma prise de conscience avec ces bébés et ce lait et ces morts. J’ai gardé en moi cette phrase « étouffer avec du lait » sans la transformer en positif, on étouffe donc avec du lait et je continue moi d’étouffer avec du lait, évidence. Je n’ai pas réécrit la suite : le lait, c’est la vie. La nourriture nécessaire, vitale, absolument résolument vitale pour tous les bébés du monde. Ce drame épouvantable et évitable n’était que cela, un drame. Un traumatisme familial. Un bébé allongé avec du lait dans la gorge.
Cette prise de conscience m’a fait comprendre pourquoi, lorsqu’on met à jour un fait, un trauma, lorsqu’on réalise quelque chose de si important que parfois ça remet toute une vie en question, il m’a fait comprendre, donc, pourquoi malgré tout on n’avançait pas vraiment ensuite. Parce qu’il y a besoin aussi, d’en changer le regard posé dessus.
Je sens que j’ai besoin d’apprivoiser la vie de ce lait. Ce qu’il sauve de vies. C’est vrai pour tous les petits, c’était vrai pour lui aussi. ça aurait dû être vrai pour lui aussi. Parfois je le vois et il ne s’étouffe pas, il boit et peut-être qu’il tousse un peu, c’est allé un peu vite ce lait et puis il sourit et ne meurt pas, il ne fait que boire ce qu’il a besoin pour vivre et respirer et exister toute une vie d’humain. Parfois je le vois et il vit toujours, avec son frère. Parfois je me vois moi, bébé, et je me demande ce qu’elle a fait.
Je continue d’avancer.
Doucement.
En soirée nuit, j’entends la chevêche d’Athéna. Elle n’est plus chez nous, elle s’est glissée loin, ailleurs.
Partage
. Podcast : Le problème du silence de la nature – France Inter.
Le vrai problème finalement, c’est de croire savoir que la nature ne dit pas, ne dit rien , quand on ne sait pas l’écouter, simplement l’écouter, lorsqu’on ne sait pas ressentir la présence d’un arbre, lorsqu’on pense de manière méprisante, que la terre ne parle pas ; elle parle et les sons qu’elle produit ont une puissance folle et bouleversante.
Un peu d’humilité, apprenons à dire « je ne sais pas ».
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J’aime bien ces mots, même si je n’en comprends pas tous les sens…
La description d’une séance d’EMDR est très juste, et j’espère que tu pourras en faire quelques-unes un de ce jour.
Comme j’ai dit chez Kalys, je vais doucement rattraper mon retarde de lectures sur vos blogs…
Il te manque peut-être la lecture d’un article (Il était une fois des bébés), mais il est un peu dur à lire. En résumé, j’ai trouvé qu’à l’origine de mon allergie, il y avait un traumatisme familial. J’ai donc pris soin de le travailler et grâce à toi qui m’a parlé de l’EMDR (et même si je ne suis pas allée à une séance réelle), j’ai progressé sur ce trauma et donc mon allergie. Merci infiniment ♡
Tu m’épates à rattraper comme ça, chaque fois 🙂