Lundi 16
Ma tante-marraine sonne ou enfin l’appareil et je décroche un peu stressée survoltée. C’est un appel de courtoisie et il me prend trop de ressources, il me faut combattre les questions par des réponses à côtés et c’est épuisant. Comme « et comment vont tes garçons », ils n’en sont pas alors il faut démêler sur place et broder ce qui correspond vaguement sans en rien dévoiler. Et la suite sera « et ils travaillent leurs cours et tu leur fais quoi et c’est suffisant et tu n’as pas peur que ça soit pas assez et.. » alors je boycotte tout et j’envoie des informations autres qui ne sont pas demandées mais noient la conversation d’origine, le tout sans me tromper dans les prénoms et tout en collant à la vérité. Gymnastique grise sans matière.
Elle me demande comment va ma santé et ici je réponds droit parce que j’ai compris, enfin compris, qu’avec la famille je dois montrer les faiblesses pour qu’on n’attende rien de moi. Je dis la souffrance et elle redemande comme à chaque fois « mais tu n’as pas de médicaments ? » et je n’ai toujours pas de médicaments non puisqu’on ne sait pas calmer cette maladie. Cette fois elle a la décence de dire « je crois que tu nous l’avais déjà dit ». Oh, pas plus de trente fois, je pense, oui.
Mais je ne suis pas juste, tout de même elle fait en sorte de conserver le lien alors que moi, non. On ne choisit pas la famille dans laquelle on nait, elle a le droit de m’apprécier, ou de vouloir. Et que moi, non.
Elle me dit, « finalement je vais arriver le vendredi d’avant la notaire, ça te dirait de ? » et évidemment que ça me dit de. Blanche et moi, cet été, une journée entière rien qu’à nous dans une ville que j’ai peu apprécié dans ma vie, mais que j’accepte de réévaluer à l’aune de notre amitié-sororité. J’adore nos retrouvailles improbables dans d’autres lieux que les nôtres.
Mardi 17 – Chaos
Je me vois frôler le burn out ou peut-être même au contraire que j’y suis déjà totalement corps et âme. Je pars dans tous les sens, une dérive que je suis incapable de cerner ni d’accrocher à quoi que ce soit. Le chaos me croche-patte. Dans l’après-midi, parce que je ne tiens pas en place et deviens folle entre moi et moi, j’emmène Kira avec moi au poulailler et nous récupérons du fumier, un peu. C’est très lourd pourtant ce un peu, tellement que nous devons séparer en deux voyages. Au premier, Corail nous accompagne (comme toujours) et se cale à l’ombre, au second elle reste sur les marches de l’escalier et nous regarde repartir avec ce qui ressemble à un jugement très clair « vous êtes complètement fous ». Nous l’appelons mais elle ne bouge pas, refuse catégoriquement de retourner marcher sous le soleil. Petite maline – nous, bien moins.
Je décharge ensuite nos chargements dans le jardin et les quelques pots en souffrance, et même s’il fait trop chaud je suis bien, à prendre soin des plantes. La nature pose un léger voile d’apaisement sur mon esprit chaotique dispersé.
Et puis. J’ai compris soudain, en plein soleil qui tombe derrière les arbres et s’assombrit, ce qui explose ma tête jusqu’à basculer moi aussi derrière d’autres arbres bien plus noirs. Je sais exactement ce que je dois arrêter dans mes journées et (même) comment combler la place vacante ; je devrais retrouver un sol stable sous les pensées, si j’arrive à ne plus faire. Avec du temps. Je crois qu’il va me falloir du temps, je me suis bien abîmée en créant une fuite. Je ne sais juste pas ce que je fuis.
En attendant, la tête explose de mille lumières, si je ferme les yeux je suis en train de courir, tout va trop vite et le paysage défile – submergée.
Je me suis contentée de jouer à un jeu.
Mercredi 18
A.M. s’énerve que nous ne soyons que deux à préparer et les pièces pour la vente et les choses pour la fête, que personne ne se soit déplacé pour aider, que personne ne réponde plus vraiment aux mails, que les absences s’accumulent… Je la comprends et aussi, je sais qu’ainsi est la nature humaine. Alors que nous créons les guirlandes de vêtements à accrocher aux fenêtres, elle me dit que c’est terminé, qu’elle ne viendra pas les deux prochains et derniers mercredis, et que l’année prochaine elle se contentera de un ou deux par mois. Elle en a marre de combler les manquements des autres. Je la comprends, dans un mélange de tristesse et de fatigue.
Je ne sais pas ce que la suite va donner.
Jeudi 19

Sur la table j’ai abandonné le bol de mon petit déjeuner, je monte le son et je danse sur Space Invaders, j’ai mal aux jambes avant la fin de la chanson mais je danse comme si ma vie en dépendait et d’une certaine manière, c’est le cas.
Aux courses, je constate que je ne tiens plus ce pantalon que j’aime beaucoup, cela m’attriste. Pas faute d’avaler du sucre, pourtant, ou des chips (j’ai une alimentation parfaitement équilibrée de légumes, de fruits, de chips, de biscuits maison, de cacahuètes, de Schweppes et de gingembre confit, ouaip, qu’est-ce que tu vas faire (dixit Kira). J’en conclus que le fromage est un ennemi plus grand que le sucre pour les kilos en trop, et que ça, on se garde bien de nous le dire (mais ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit, je n’avais pas spécialement de kilos en trop) (en fait je n’en sais rien, je n’ai pas de balance).
Vous pourriez ajouter que ça inclut les plats préparés industriels, mais je n’en ai jamais vraiment acheté donc la perte de poids ne peut provenir de là. Personnellement je vois le même corps, mais les vêtements ne trompent pas, je fluctue vers le bas.
Si ça se trouve j’ai tort, c’est l’angoisse qui.
Le soir, Corail nous suit en promenade et se confronte à Charlie avec sa maitresse (tous les chats se promènent-ils dont avec un humain ?) puis à Caramel (mais sans son humain qui ne se promène jamais). Lorsque nous rentrons enfin, elle est moralement épuisée et se jette sous une chaise puis sur la gamelle d’eau que je lui apporte, tout en restant allongée.
Vendredi 20
Je rejoins ma belle-mère dans le jardin et je l’aide à arracher la vigne vierge. C’est un crève-cœur. Je ne savais pas, avant de venir, ce que j’allais avoir de gestes difficiles. Le monde est déjà bien assez triste sans y ajouter la mort d’une végétation que nous devrions protéger de toute notre âme, mais qu’est-ce qui ne va pas chez nous ? Et pourtant, j’arrache, je participe à ce qui n’a pas de sens. Ils nous apportent l’un et l’autre des choux-fleurs, des pommes de terre, des brocolis, des haricots, bientôt il y aura des poivrons des aubergines et d’autres encore. Ils nous donnent, et beaucoup, alors je peux bien aider un peu dans le jardin même si ça implique de tuer ce qui amène ombre et nourriture aux oiseaux et à la végétation autour. C’est juste dur, tellement. Je sais que je ne suis pas comprise, jamais, lorsque je dis qu’il faut toucher le moins possible aux jardins, aux terrains, aux forêts.
L’heure passe sous la chaleur et le soleil qui frappe les nuques, lorsque je m’arrête je suis au bord du malaise. Heureuse d’avoir aidé, malheureuse d’avoir détruit, je rentre prendre une douche dans ce qu’il semble être une immense fraicheur, alors qu’il fait 26°C dedans (mais 37° dehors). Travailler sous la canicule, l’idée du jour.
Je ne joue pratiquement plus et j’ai arrêté de faire courir le personnage lorsque je me connecte, ça m’aide à retrouver une presque stabilité dans le cerveau. Ce qui laisse la liberté totale à l’angoisse de s’installer, au point d’étouffer dans des sanglots qui ne sortent pas. Je fuis jusqu’à me retrouver à ses pieds, sans boussole pour contourner.

En soirée (et non en journée pour ne pas chauffer la maison), je cuisine la tarte au citron promise pour demain. Pour finir il fait tellement chaud à l’extérieur en soirée qu’il n’est pas possible d’ouvrir les fenêtres et je chauffe tout de même l’intérieur. C’est intenable.
Même sortie avec Corail, même résultat mais avec des chiens en plus. J’ai besoin de marcher, et ça ne se fait pas, nous réglons des problèmes de voisinage sauvage. Quelle situation étrange…
Le ciel est orange, magnifiquement orange, il menace d’une explosion qui ne vient pas, il y a comme une osmose entre lui et moi.
Samedi 21 –
J’essaye la robe-fée orange que je pensais porter au mariage, mais je flotte tellement dedans j’abandonne. J’avais oublié qu’elle était déjà légèrement trop grande, là je pourrais y ajouter ma jumelle. J’en prends une autre avec tristesse, mais elle est aussi trop large même si bien moins. Je la vire à son tour, à ce rythme je vais vider les placards. La troisième est adoptée, même s’il faudrait reprendre un point de chaque côté de la poitrine pour qu’elle soit vraiment bien. Détail qui se confirmera lors de la réception d’une photo sur laquelle je suis, ça bâille lorsque je suis assise.
J’arrive bonne dernière pour les 20 ans de la fripe, je n’avais pas anticipé que je serais épinglée par une vingtaine de paires d’yeux. J’ai tant de « que tu es jolie », je finis par me dire que peut-être, je devrais faire un effort vestimentaire les mercredis – mais les robes, ce n’est définitivement pas ma spécialité, il faut faire beaucoup trop attention à la pudeur des autres.
Quelques discours plus tard, le maire ajoute son petit mot. Ainsi j’apprends que la friperie est une des associations les plus anciennes encore en activité et qu’il en est heureux, il voit le déclin du nombre de bénévoles partout. Personne ne lui a dit comme on s’effondre, alors. Il explique avec fierté que ses parents, qui habitent pourtant loin d’ici, mette un point d’honneur à apporter des vêtements chez nous, et c’est un fait que ses parents sont de leur côté très fier d’avoir leur fils maire de la ville (ils me le disent chaque fois). L’Histoire se tisse sur les égos, c’est nécessaire, même, je crois, avec un bon équilibre en tout cas.
– en fin de journée je reçois des messages du groupe signalant les dernières absences de bénévoles à la vente et l’impossibilité de remplacer. Je pourrais le faire, je pourrais ajouter les deux derniers samedis et m’y liquéfier. Mais une fois sera synonyme de toujours, et je ne peux pas tenir la fripe à moi seule. Nous nous délitons, cela au moins est certain –

La tarte au citron fait l’unanimité et je réponds à côté à C. qui me dit qu’elle n’en cuisine jamais alors qu’elle l’aime, je me vois, en prime, répondre à côté et je me ficherais des baffes. Le mal est fait. Je suis nulle à ce jeu de sociabilités.
Le petit orchestre (A.M. au violoncelle, son frère à l’accordéon, une amie au violon), jouent en rythme sur les chants des moineaux, je suis la seule à m’extasier sur ces oiseaux et la musique qui s’accordent par hasard. Le violon m’aimante, j’entends des notes absolument décalées, pas à leur place, et la dissonance pourtant légère me crispe. Je me revois enfant et plus tard, m’user sur les cordes pour en tirer la fierté de ma mère. Mais ce qui me revient finalement le plus fort est le quatuor dans lequel je jouais l’année de mes quatorze ans, seule année où j’ai aimé pratiquer, où je me suis donnée vraiment dans les répétitions et les petits concerts. J’aimais cette professeure profondément. Une seule et unique année, avant de déménager encore et la perdre, et avec elle le quatuor et avec elle l’étincelle du violon. Je me demande ce qu’elle est devenue. Ce qu’ils sont, chacun, devenu.
Il fait 26°9 dans la maison, alors le soir, nous repartons à l’assaut de la fraîcheur (l’espoir, tout ça), du chemin et des chats. Tout au bout à la maison à la vigne vierge, il y a trois chats dont c’est le territoire. Corail fait leur connaissance de manière fort peu civilisée. Gribouille, chat crème de couleur et de caractère, s’approche en douceur et ils se font un baiser de chat (de museau à museau) ce qui est d’une mignonitude absolue jusqu’à ce que Corail lui grogne après, ce qui provoque un léger retrait de Gribouille. C’est le moment choisi par un jeune chat gris et blanc pour s’approcher à son tour, coinçant notre minette sans le vouloir. Le nouvel arrivé présente son ventre, se roule dans tous les sens possible pendant que Corail se crispe et grogne, c’est très éprouvant. Ils l’accueillent avec curiosité et douceur, elle arrive avec sa peur. Nous profitons d’un écart du chat gris pour repartir chez nous, au grand soulagemnt de Corail.
Chaque soir nous prenons l’air, mais marcher est quasiment impossible, les enfants refusant de laisser la minette se débrouiller seule. Il faut dire qu’on a vu Caramel a l’oeuvre et ce n’est pas rassurant, vu comme il tente de la tuer.
Je ne sais pas pourquoi Corail, qui a peur de sortir du terrain, a décidé de venir marcher désormais avec nous tous les soirs mais je crois que d’une certaine manière, elle affronte ses angoisses.
On en est tous·tes là.
Dimanche 23 – ébauche du jour
Le soir, il fait 27,8° dedans ; il manque le sel et le poivre pour une bonne cuisson de nos corps, j’imagine qu’il n’y a plus qu’à attendre. La fin de la canicule parait d’autant plus loin que nous ne sommes qu’au début de l’été..
En savoir plus sur Carnets
Subscribe to get the latest posts sent to your email.
J’exprime peu mais je lis toujours ; en douce résonance, le fait que j’avais ajouté Space invaders à mes playlists il y a quelques semaines suite à K qui avait découvert Liv del Estal lors d’un festival 🙂
♡
Quelle synchronicité, j’aime beaucoup !
Dans Kama sutra particulièrement, sa voix m’est un écho à Superbus..
Parfois abandonner ce qu’on fait et danser, il n’y a rien de meilleur! Ca m’aide dans les moments de flou.
Quant à la chaleur, oui dur de se dire que ce n’est que le début…
N’est-ce pas..
Coucou, je voudrais t’écrire un mail mais j’ai lu récemment dans un de tes billets que ta boîte mail privée avait été compromise, tu as changé d’adresse du coup ou c’est toujours la même avec laquelle tu m’avais écrite ?
Je t’ai envoyé un mail ^^’