Lundi 16 décembre – Étincelles
Nous refaisons les meilleurs cookies au monde (cette odeur est une dinguerie), et cette fois je pèse tout les ingrédients pour en faire une recette facile à gérer (elle est québécoise, avec des tasses et des cuillères, c’est presque comme retourner là-bas sous la neige). L’occasion de me rendre compte que même si j’ai massacré la composition en sucre blanc (d’une tasse j’étais passée à 1/4 et JE SAIS que ça ne se fait pas de diminuer le sucre dans les cookies, sacrilège, tout ça), cela fait encore beaucoup de sucre (je m’excuse beaucoup auprès des puristes). C’est trompeur, les tasses, trop mignon pour être honnête.
J’enchaîne avec le dossier qui me file des cauchemars : la MDPH. Et j’y passe tout l’après-midi, sans avoir terminé. J’en ai marre de me heurter à mes limites, de les voir écrites, de devoir les poser noir sur blanc, peut-être que c’est plus complexe qu’une difficulté à marcher ou des douleurs qui te tue un peu chaque fois ou une incapacité sociale, je veux juste retourner à mon déni bien-aimé et qu’ils comprennent seuls que nous sommes tous épuisés par le SED et l’autisme, que ça prend nos vies et ne les rend pas. Je rêve parfois de transmettre mon corps quelques heures, juste pour, tu sais ? qu’on se mette dans mes chaussures, mes chevilles, mes doigts, ma tête. Que la douleur passe un peu chez l’autre et que je sois en.ten.due même si je ne dis rien.
Le soir il y a une étincelle, un quelque chose que j’attrape en dansant dans le salon sur la musique (meilleure playlist autoproclamée de l’année), bientôt rejointe par LeChat qui allume la petite lampe calebasse et éteint les autres, monte le son – les enfants ont le sourire jusqu’aux oreilles, observent de loin, ne se mêlent pas, jamais, à la danse. Je sais que l’idée n’est pas bonne mais je ne résiste pas à l’envie, au plaisir de danser et on enchaîne ainsi les chansons, il y a une joie si profonde dans la maison, elle illumine de fils de lumière entre les uns et les autres, en rythme, en douceur, des filaments blancs pétillants, des lucioles peut-être. Un peu de magie d’un autre monde.
Mardi 17 –
LeChat m’emmène en voiture, le genou se défile. Je me rends chez la dentiste, rendez-vous que j’attends depuis un mois et demi, pour s’occuper de la vieille couronne qui ne fait plus son travail et laisse filtrer des aliments. Je m’y suis rendue pour rien, la secrétaire s’est trompée : petit créneau au lieu d’une heure, forcément, ça ne fonctionne pas. Un peu agacée (j’ai un abcès en permanence, gênant mais pas douloureux, que j’assomme avec peu d’effet à coup de bains de bouche et d’huile essentielle de menthe poivrée), je m’exprime sur le fait que là, c’est pénible vu qu’avec la secrétaire, nous avions même discuté du fait que les prothésistes partaient en vacances le 21, donc elle savait vraiment bien le contexte du rendez-vous. La dentiste me fait une radio dans une pièce spéciale pour bien voir toute la zone, elle n’est carrément pas ravie de s’occuper de cette dent – ça ne me rassure pas – qui va visiblement poser des problèmes lors de l’extraction du pivot, très gros, trop gros. J’en profite pour signaler un morceau cassé d’une incisive qu’elle lime, ça ne me coupera plus la lèvre : je ne suis pas venue pour rien, finalement.
Dans le hall, deux personnes attendent après la secrétaire très occupée avec un patient. La dentiste prend elle-même les trois prochains rendez-vous avec moi, chacun d’une heure, et me dit que je peux partir, on verra la prochaine fois pour le paiement d’aujourd’hui. J’ai fait comme si je n’avais pas vu qu’elle m’empêchait d’engueuler sa secrétaire (alors qu’en réalité je suis une personne trop gentille pour engueuler qui que ce soit, tout le monde fait des erreurs) et je suis repartie dans le froid.
Ma tante-marraine m’appelle et nous reparlons de ma grand-mère, de l’œil encore valide qu’elle est en train de perdre, de ce qui sera une chute terrible, une perte de sens, lorsque ça surviendra et que c’est sûrement ça qui la fera lâcher, une nuit qui n’en finira plus d’être.
Une douleur dans les doigts me les cisaillent, je ne peux plus rien faire. J’attrape un livre dans ma liseuse que je cale avec un pull, et il s’avère être le plus nul de 2024 je pense. Difficile de me souvenir de ceux du début de l’année, mais tout de même. Ou alors la douleur m’a rendue mordante, il était noté à plus de 4 étoiles lorsque je l’ai pris, c’est à n’y rien comprendre sur la qualité de l’ouvrage.
Le soir, la douleur dans le genou s’amplifie, me faisant sursauter lorsqu’un marteau tape de manière irrégulière sur l’articulation, dormir est compliqué. Aucun regret, pourtant. Danser, ma meilleure idée de la semaine.
18 décembre – Aujourd’hui ce que j’ai laissé tomber
C’est la trottinette qui m’emmène à la fripe, An.Ma. ayant 39° de fièvre : elle est au lit. J’ai le genou calé dans l’orthèse, et nous ne restons de toute façon qu’une heure tant il y a peu à faire. A.M. retire toutes les demi-saisons qu’elle juge peu adaptées au froid actuel, je ne fais absolument aucun commentaire. Cela aussi, je le laisse chuter.
Nous refaisons des biscuits, je ne me lasse pas de l’odeur.
Avec un sens de l’à-propos très improbable qui me fait bien sourire – j’y avais lancé un 366 quelques mois l’année dernière – j’ai choisi ce jour bien involontairement (cf le sous-titre) pour quitter le forum (ou plus exactement demander à supprimer mes écrits personnels) où je n’arrive pas à parler, à trouver ma place – et où lire revient à faire un tri drastique au milieu de choses informes ou agressives. Je mets fin aux amitiés tombées. Je mets fin à ce que je sais être simplement un calvaire pour moi, forum et RS, même problème de communication. Je mets fin à un certain passé. Je mets fin surtout, à celle que je n’arrive pas à être. Alors j’enregistre celle que j’ai été, un temps, je protège ici le peu de pertinence que j’ai eu là-bas (l’occasion pour vous de me dire si vous souhaitez que j’envoie dans votre boite mail, les anciens articles que je copie ici, ou si vous préférez ne rien en savoir, sachant que ceux inscrit directement sur WordPress eux, le voit passer d’office). C’est comme ça, en relisant un peu, que je comprends ce qui coince dans mon rapport à l’écriture ces derniers temps : je ne suis plus autant moi – la profondeur. Un comble de l’avoir été là-bas – au début.
19 décembre –
Je rêve que de ma main droite je tiens un verre de ma grand-mère (de mon arrière-grand-mère, en réalité), je suis dans une pièce plongée dans le noir et je ne fais que deviner les contours, dans la gauche j’ai un autre verre, je ne suis pas certaine de tenir émotionnellement à celui-ci. Je fais très attention mais malgré tout, le haut du verre de droite se détache et tombe dans le noir, je n’arrive pas à le retrouver, puis pas à le reprendre alors j’appelle LeChat, il entre et lui vient de la lumière, il entre dans cette pièce si sombre mais n’arrive pas, lui non plus, à attraper la coupe de ce verre au sol. Je m’aperçois alors qu’en réalité je tiens dans ma main droite un plateau de verres et que tout est en équilibre instable.

Je crois qu’en ce moment, je range ma vie. Je mets de l’ordre derrière moi, ce que je quitte. Sans doute un désir de surtout ranger mes problèmes avec un couvercle par-dessus, mais comme je commence à bien connaître l’effet cocote-minute qui s’en suit, j’abandonne peut-être la chose pour quelque chose de plus net. Je coupe des liens lâches.
En parallèle, mon espace bureau est une pagaille indescriptible. Je suppose que cela veut dire qu’on ne peut pas tout ranger en même temps, qu’il y a besoin d’une zone de non-droit.
Lettre reçue d’une belle dame, je suis pourtant, moi, en retard d’une réponse que je n’arrive pas à poser. Je culpabilise, ça n’aide en rien.
Dehors, dans la grisaille d’un froid mordant, une fleur orange a surgi. J’en ai profité pour faire un peu le tour et repoussé le froid de l’hiver.



C’est vers la fin de l’après-midi que ça m’est tombée dessus, la fatigue m’a rattrapée et je me suis allongée ; je n’ai pas dessiné pour la première fois depuis longtemps. Je n’en finis par de porter cette soirée-danse.
Le soir nous emballons les cadeaux des enfants et il manque un tissu assez grand pour contenir la belle boite à bijoux dénichée pour Chouette, ce week-end je vais devoir en coudre un, et sans surjeteuse je fais carrément la tête.
20 décembre –
Avec un peu de chance j’ai quatre heures de sommeil, mais rien n’est moins sûr. J’ai le temps, et c’est parce qu’elle n’est pas du tout à l’heure, de lancer une machine, faire le petit déjeuner, le manger, étendre le linge dans le froid venteux, me réchauffer sur une tasse de thé – là, elle devrait être arrivée – retirer la poussière des meubles, passer le balai, laver les taches du sol avec un chiffon mouillé, que le sol sèche, câliner le chat, ouvrir le calendrier de l’Avent, m’asseoir à l’ordinateur et payer l’hôpital. Avant que l’infirmière (inconnue, première visite) n’arrive. Qu’elle pique le bras. Que ça ne se passe pas très bien. Que le produit-billes se bloque dans l’aiguille. Que Kira fasse un malaise nauséeux. Qu’elle reparte, sans avoir pris (volontairement) la carte vitale (parce qu’elle est pressée, en retard, tendue, emmerdée, gênée, on ne sait pas, mais souriante). À ce stade, si on ne la rappelle pas dans trois mois, elle ne sera jamais payée pour son acte, et ça agace mon cerveau.
Je suis moi-même tendue, je range mon espace bordélique-créatif pendant que la vie rectifiée est une aiguille bouchée et que j’ai envie de pleurer sur ce qu’on peut s’infliger dans la vie pour être aligné.e. Parce que c’est putain d’important, d’être aligné.

[TW tentative de suicide]
Et pendant ce temps, A. se dirige sur un chemin qui me terrifie, j’envoie un message qui n’obtient pas de réponse immédiate et cette fois je pleure pour de bon, je ne sais plus d’elle ou de l’écho ce qui me bascule ainsi le plus fortement dans l’angoisse. Je dois écrire une lettre pour accompagner un colis, je ne suis tellement pas en état, je suis comme arrêtée en plein élan alors que pourtant je le vois se pointer depuis des mois, j’ai vu la chute, lente et puis pas tant, je l’ai en tête chaque fois qu’on se parle, je la vois s’éloigner et se raccrocher, je ne peux pas dire être surprise. Je ne suis qu’impuissance. Je sais que tant que les mots sont là, ça ira, et que la peur qu’elle vient de transmettre à chacun (et à elle-même) est une alerte qui sera suivie par d’autres – combien y en a -t-il avant que le cerveau ne cesse de mettre une barrière, c’est quoi le putain de chiffre. Je réalise comme je n’en peux plus d’avoir joué ce rôle de soutien pour empêcher les autres de passer à l’acte, quelque chose s’est cassé en moi. Je ne sais plus où ne pas regarder. Je ne suis plus si fiable, et peut-être il s’agit de dire que je suis plongée dans l’extrême des épuisés, que se rendre auprès de l’autre c’est se laisser derrière et qu’un fil peut se rompre en soi alors, à tout moment.
Et pourtant. J’y suis.
Samedi 21
Au dernier moment je ne vais nulle part, trop fatiguée pour gérer une sortie aussi énorme (deux médiathèques, les courses, un pique-nique, une autre boutique pour Chouette), je me pose sans plus aucun projet (mais je dessine des danseuses).
J’ai enfin une réponse du forum que je lis le soir avant d’éteindre l’ordinateur, qui a retiré mes espaces de discussion. Étrangement, non supprimés d’ailleurs, ils sont conservés dans une poubelle ce qui me rend perplexe pour la planète.
Je ne suis pas certaine de saisir pourquoi j’ai ressenti un pic d’angoisse aussi rude juste avant de lire le message du staff, comme lors de conflits. Suis-je donc ambivalente sur le sujet ?
La boite à livres de mon village a disparu, remplacée par… ça : des livres contre un mensonge social.

Dimanche 22
Je passe par une phase étrange où je regrette mon « espace » (qui pourrait s’apparenter à un blog parfois), puis par la certitude que finalement je vais conserver mon compte sur le forum, avant de réussir à le supprimer sereinement. Je ne saisis pas ce qui m’a traversé, mais c’était intense.
Corail m’appelle depuis le canapé, en ce moment elle saute sur les coussins, se tourne vers moi, miaule jusqu’à ce que je me déplace : elle m’explique comme il serait urgent, là, tout de suite, que je m’asseye avec elle. Alors je m’assois et elle s’allonge sur mes genoux ou contre moi avec d’énormes câlins et ronronnements.
Mon petit chat-pot-de-colle préféré.
Dehors, on dirait qu’une tempête arrache les arbres et pourtant demain il n’y aura rien d’autres que des branches mortes et moins de feuilles au sol.
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Passez de belles fêtes, douces et lumineuses ^^
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Danser et dessiner des danseuses <3
C’est génial, l’idée d’emballer les cadeaux dans des tissus comme au Japon ; pourquoi n’y ai-je jamais pensé ? Plus écolo que le papier kraft vers lequel je m’étais dirigée.
Je te souhaite des fêtes aussi douces que possible. 🙂
La perfection ^^
Sincèrement c’est formidable, on a toujours de quoi emballer sous la main, c’est beau, silencieux, il n’y a plus jamais à acheter d’emballage, et la planète est contente. Quelques années maintenant qu’on fonctionne ainsi, c’est top. J’en ai aussi crocheté quelques uns, ça passe la laine.
Merci, j’espère que les tiennes l’étaient aussi 🙂
J’espère également que tu as passé de belles fêtes et que les choses sont allées mieux pour toi 🧡
On a eu le temps de passer un super chouette Noël avant la grippe (ça compte énormément !), du coup avec le recul oui, les fêtes étaient belles, merci 🙂
Ça s’est bien passé pour toi ?