Je ne remonte pas. Je maintiens dans un équilibre précaire les larmes, la chute et la corde que je tiens, celle qui résiste, dans le lien. Je ne vais pas si mal, je ne vais juste pas. Bancale. Un pied sur le barreau cassé, et la question tourne autour de la légèreté, de ce qui s’effondrera et de ce qui s’envolera.
Ce n’est même pas vraiment de l’angoisse, rien d’aussi clair ou nébuleux – alors quel nom est-ce que cela porte, la nuit au fond de la gorge. Un poids soudain et les larmes, l’envie de seulement fermer les yeux et pleurer. C’est simple et incompréhensible tant ça arrive à n’importe quel moment, en promenade, dans un livre, à écouter les oiseaux, ou alors que je chante, parle, rit et la vague me submerge, m’écrase et je perds le souffle.
Parfois je.
commence une phrase. dans ma tête. elle s’interrompt d’elle, se fracasse. il m’arrive de la noter et alors je déploie les lignes, entend ce qu’elle.
s’arrête. comment exister si. ne sais pas me dire, si se coupe l’infini. à d’autres parfois, je pose entièrement, j’écris, et je tais, c’est le même mouvement. un long silence de mots.
J’hésite à me supprimer d’espaces où j’étais bien, ne le suis plus, ne l’ai jamais été en réalité – si j’avais été sincère avec moi, au lieu de rester dans l’espoir d’être dans la bonne communauté. L’illusion pour être, pour autoriser l’existence de soi à soi. Je ne suis jamais dans la bonne communauté. Je tombe toujours avant – ce n’est même pas trébucher. J’ai besoin d’être bien, quelque part. Un lieu de partage, un peu posée, ni désespéré ni perdu. bien.veillant. De ne pas . être seule.
Il me faudrait un projet.
Peut-être. Quelque chose où accrocher le moi fatigué.
Retourner au geste, le silence des gestes, la vie dans les gestes.
Puisque le reste est inaccessible.
J’en admire cell.eux qui se font payer pour écrire sur des espaces fermés. Que dites-vous ? Qu’est-ce qui permet de se dire sous scellés et contre contribution, et ne pas réveiller l’imposteur ? Qu’est-ce qui est si beau, qu’il faut le cacher ? Est-ce que ça adoucit les vagues et les nuits, de s’écrire en étant utile ?
Un projet.
Ou sinon remplacer la théière cassée dans une autre vie et inventer des invités.
Ou écrire jusqu’à me briser les ongles.
Ou trouver le lieu qui me trouvera normale.
Ou pleurer d’être morcelée.
Ou attendre que la vague passe.
Elle passe toujours.
Si j’attends qu’elle passe, je pourrai parler la bibliothèque nouvelle et immense sur quatre mètres de hauteur, les livres rangés sur ces kilomètres d’étagères, la chasse aux trésors pendant des heures sous le soleil et le regard des chats de passage, je pourrai parler le lendemain sur les routes à presque-pédaler sur trois heures et demi à écouter chanter les rossignols, admirer l’étalage des coquelicots, remarquer le passage des renards, je pourrai dire comme le noir de la nuit m’a traversé en plein dans les oiseaux mais que le cœur est reparti avec le souffle du vent sur le visage, et que c’est cela qu’il me faudrait, peut-être, tomber dans les arbres et marcher loin de l’humanité, me reconnecter un peu chaque jour à la verdure – mais le corps.
Demain.

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Comme d’habitude, c’est tellement beau, et si parfois tu me demandes « qu’est-ce qui résonne ? » eh bien ici : tout. Chaque mot.
<3
Merci de me laisser des mots, c’est précieux.
Longtemps je m’en suis voulue de ressentir tant de lumière et d’obscurité en même temps. Comme si ce paradoxe ne devrait pas exister, ça devrait être l’un ou l’autre bon sang ; les deux états qui se superposent c’est impossible, ça voudrait forcément dire que l’un des deux est faux.
Cela fait quelques années que j’apprends la possibilité du paradoxe, la superposition des états en apparence opposés, et leur légimité à chacun. L’un n’empêche pas l’autre, ce ne sont que des dimensions différentes, des angles de vision qui divergent. Les objets restent les mêmes.
Je rejoins Kalys : te lire me fait du bien.
Je suis incapable de dire si j’ai toujours été dans l’ambivalence ou non (au point que ça fait des jours que j’essaye de te répondre sans y parvenir). C’est mon amie Blanche qui un jour (en 2012) m’a fait remarqué que je l’étais et qu’elle avait ainsi pu y accéder de son côté. Et c’est étrange parce que je n’arrive pas à imaginer le monde autrement qu’à travers ces superpositions d’états, d’émotions. Et peut-être, c’est ce qui m’a permis de survivre, accepter l’idée que j’étais à la fois lumière et obscurité.
Du coup j’aime beaucoup lorsque des personnes y accèdent aussi, il me semble que tout est plus riche lorsqu’on peut en accepter tous les états, pleinement, sans rien en renier. Qu’il y a davantage de profondeur à être, à se voir, à vivre.
Merci de tes mots <3