Noël s’est mis en retard cette année, il y aura le 25 et puis janvier prendra la relève pour continuer sa distribution chaotique. Je marche sur des sables mouvants. Il m’arrive de trembler encore, je le mets sur le froid ambiant – j’ai tout le temps froid.
J’ai mal, aussi. Otite à chaque oreille, je ne veux plus entendre ce qui fait mal. Ma voix s’égare, sans douleur, elle s’égare ou se fêle, c’est selon le moment et l’émotion. Tout m’arrive par vague, la tête sous l’eau ou la croyance que je suis stable. Je ne le suis pas. Je ne sais pas exactement ce qui me fait basculer, la mort de celle qui m’a mise au monde pour elle, sa folie qui ressort dans tous les sens, la famille qui se sert dans ses affaires sans me demander mon avis, l’héritage dont je ne veux pas et dont elle me voulait exclue, sa haine et son obsession pour moi mélangées, ses mensonges.
Je suis fatiguée, je dors mal malgré la pilule blanche. L’angoisse m’attaque le soir, j’en ai plein la gorge et la poitrine. La panique m’empêche de fermer les yeux, parachevant l’impossibilité de me reposer. L’impression d’attendre un cataclysme, un autre, un qui me déboulonnerait totalement et me terminerait par la fenêtre. Irraisonnable. Je suis pourtant bel et bien terrifiée par une chose invisible, inexistante. Le contrecoup ?
J’ai trié les photos, elle m’a menti sur mon père. J’ai trié ses carnets-journaux, elle m’avait menti aussi dans des lettres. J’ai trié ses lettres, elle était affreuse avec les gens, mielleuse et assassine.
Dans son ordinateur numéro 1, des lettres – pas encore ouvert le 2.
Elle a écrit à Macron (pour lui expliquer qu’elle pouvait lui apporter beaucoup dans son gouvernement pas suffisamment restrictif envers les communautés arabes entre autres, de grandes idées pour sa gouvernance et qu’elle voulait donc une rencontre avec lui qu’on appelle également Jupiter – ou comment l’insulter l’air de rien), à des journalistes pour leur expliquer comment faire leur travail, à des présentateurs TV pour des erreurs dites, j’en passe. S’ils savaient qu’elle va enfin les laisser tranquilles, je suis sûre qu’ils seraient soulagés.
Dans son journal, elle se nomme en disant « elle », et dit « l’enfant » pour moi. Plus loin elle se nomme Hélène et moi Sophie – ce ne sont pas nos prénoms. Parfois il s’agit de nos initiales. Totalement dépersonnalisée. Si étrange de lire « sa sœur est venue la voir » alors qu’elle parle d’elle. Très déconnant, comme lecture, très… basculant.
Elle haïssait ses sœurs, mais les a rendues bénéficiaires de ses assurances-vie. Elle me haïssait (davantage, il semble) au milieu de prières pour que je lui revienne. Elle m’a épinglée en photo partout, frigo, murs, carnets, meubles, en porte-photo, en peinture, dans toutes les pièces, elle m’a collée, déchirée, scotchée, découpée en morceaux. À en avoir la nausée.
J’ai donné tout un appartement à Emmaüs, au milieu duquel ma famille s’est servie légalement (je leur ai tout laissé) ou non (« ça je le récupère j’y ai droit » c’est-à-dire que… non ?). Un tapis de marche a été vendu par ma tante, 120 € qu’elle garde pour elle. L’objet étant toujours dans l’appartement, et ne lui ayant pas été donné, c’est du vol. Ma famille et l’argent, une longue histoire.
Je voudrais ne plus rien à voir avec eux, je voudrais qu’il n’existe pas dans ma vie, je voudrais couper de nouveau les liens, je voudrais qu’on me laisse en paix. Ma tante-préférée ne me parle pratiquement plus et fuit mon regard (peut-être à cause de l’assurance-vie désormais entre nous ?), c’est déstabilisant pour ne pas dire violent. Ils sont tous accrochés à leur argent alors qu’ils sont riches, cela va sans doute de pair mais c’est insupportable à vivre.
Lors d’un héritage, il n’y a rien de mieux pour voir le vrai visage des gens.
J’attends la notaire, j’attends qu’elle me dise que l’état à trop à récupérer sur les aides sociales et que je ne peux que refuser la succession. Parce que je ne peux pas refuser moi – cela irait droit aux enfants – je voudrais que la vie se charge de me l’enlever. Que je n’ai plus ce poids.
Ne lui doive rien. Rien d’autre que ma propre vie – mais comme ce n’est pas grâce à elle que je suis toujours là, ça s’équilibre.
Mais que surtout, tout s’arrête.
En page 2, les mots posés sur Insta le 3 décembre.
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