Je traine. La fatigue, les petites angoisses fugaces, les cernes, les mots oubliés, le froid de la maison. Je suis dans le monde, inscrite, juste une empreinte. Je n’y suis pas pleinement, entièrement, je survole encore beaucoup. Sans doute j’ai peur. De ce que je traine – les maux non oubliés. Parce que je n’écris plus comment avant, je me laisse en arrière – a-t-on le droit de s’abandonner –
complètement effilochée
le vent dans les mots arrache
et puis la nuit
encore
étendue
sur moi
Des frissons à chaque écoute
Je relis certaines scènes, je découvre comme tout était déjà là, une fin annoncée dès la première minute, dès le premier mot, rien n’était juste. Tout sonnait faux. C’est presque plus facile, avec le recul, avec la compréhension.
Ami comme l’Autre.
Tout y était déjà.
Est-cela que je traine jusque dans les poumons, les mots silenciés l’ex-ami l’ex, est-ce cela qu’il me reste à sortir, à tousser ? Un mois entier de toux, j’envoie dans les poumons un invisible souffle, et alors ça se calme. Je reprendrai dans quelques heures, la toux sèche la ventoline et la poudre-chose. Il fait ici un air glacial, entre 16 et 17°, et puis soudain ils craquent une allumette et le bois envoie une onde de chaleur folle, je retire un pull pour ne pas étouffer, c’est brutal, mon corps ne suit pas – je reprends froid, paradoxe dans la chaleur nouvelle. La Doc – nouvelle, j’ai fichu à la porte le détesté – m’envoie au scanner et à la prise de sang, elle dit, un mois c’est long, elle dit, je vais chercher le covid, elle sourit aussi. Elle me fait du bien.
Moitié de dose, ce matin, je brise en deux l’anti-dépresseur et je tremble un peu. Besoin de me retrouver moi, moi seule avec tous les autres Moi, mêmes blessés. Le silence ça suffit un peu, je ne peux plus. Je vais être qui, bientôt, à lever le voile ? Plus le visage éteint, j’allume un peu, dans les recoins sombres ça s’agite. Plus de soustraction, je ne peux pas rester cachée pour la vie entière, entre cadenas et oreiller pour étouffer. Oui, je tremble. Je sais pertinemment n’être pas complètement prête, je sais aussi que je ne le serai jamais, qu’il y aura toujours en moi ce qui est détruit. Lorsqu’on possède une destruction totale, des ruines, n’est-il pas temps de les regarder dans les yeux, de faire face ? C’est quand, la sensation de ne plus trembler devant ce qui peine à se soigner. C’est quand, la respiration libre et le passé enterré. C’est quand, tu arrêtes de mourir et tu cours avec le vent dans le dos ?
Je diminue mais je ne sais pas si l’idée est bonne. Il m’arrive encore parfois de le voir jeter son poing dans le mur, l’empreinte des phalanges dans le blanc et la peinture tomber et les trous rester, et lui, c’était pour pas te frapper. Je me revois encore dans une conversation ubuesque qui ne le concernait nullement, je me vois dire, je pourrais disparaitre, et lui répondre sans un sourire, les yeux même pas ouverts, où que tu sois je te retrouverai n’en doute pas. Insister un peu, et lui les yeux ouverts cette fois, sombres, je te retrouverai, il est impossible de disparaître. Je ne pouvais pas disparaître. Je ne connaissais pas encore ce mot japonais, johatsu, je me serais peut-être évaporée, qui sait. Puisque c’est possible, finalement. C’est dingue le pouvoir qu’on laisse à l’autre, que j’ai laissé à l’Autre. Tu me diras, j’ai été élevée ainsi, à donner tout pouvoir sur moi.
Qu’est-ce qu’on change.. Je lisais Trois il y a quelques jours, je me suis dit que moi aussi, j’aurais aimé qu’on me cache, qu’on me le propose. L’aurais-je fait.
Je glisse un peu, donc. Toujours un peu. Je m’accroche, aussi.
Je brise en deux.
J’ai entamé la destruction d’un livre jeunesse et je découpe déchire colle dedans tout ce qui me passe entre les doigts, une manière de donner du sens à ce qui me traverse et que je dois apprivoiser.
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. Lire absolument Trois, Valérie Perrin
. Ecouter et regarder la magnifique Mathilde, Libre
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