Parce que j’allais écrire sur mes correspondances passées (et présentes), j’ai cherché le nom de ma meilleure amie au collège (et bien plus) sur internet. Cela m’arrive parfois, ces retours en arrière. J’aime chercher quelques personnes qui ont compté pour moi et que le temps a éloigné pour mille raisons (souvent mauvaises).
Je ne sais pas si l’on peut dire que pour Virginie, les raisons étaient excessivement mauvaises. Sans doute. Nous y avons ajouté une absence de points communs en devenant adulte, qui ont fini par manquer et marquer davantage encore la distance.
Sur les photos d’enfant avant de nous rencontrer, nous étions les mêmes. Le même bonnet marron avec une fleur, le même jouet, la même robe, des « même » de hasard qui nous faisaient rire et nous rapprochaient encore davantage. Nous étions liées, jamais l’une sans l’autre. Nous lisions beaucoup, elle comme moi. Elle était la plus intelligente de nous deux, la plus acharnée, la plus douée. En tout. La meilleure de la classe. Elle est arrivée à Montesson en 6e, ma précédente meilleure amie m’avait lâchée – le jour de la rentrée, elle m’avait snobée comme si jamais nous ne nous étions parlé, mais avant ça elle m’avait trahie – j’étais seule et nous nous sommes assises l’une à côté de l’autre pour ne jamais nous quitter. Presque.
J’ai déménagé.
On s’est écrit. Des milliers de lettres. Elle a été ma première correspondante, nous parlions de tout, nous échangions des timbres pour nos collections respectives, on se manquait l’une à l’autre, lorsque ma maison a brûlé elle m’a envoyé beaucoup beaucoup de timbres et de lettres, nous avons parlé oui de tout mais pas de l’essentiel et le jour où je l’ai fait, c’était trop tard. J’imagine.
La première divergence est partie de ma mère. Une année et demie de classe ensemble, puis cinq années de lettres acharnées dûes à mon déménagement n’ont rien changé à ce fait : elle est venue chez moi pour la première fois pendant une semaine vers mes 18 ans et malgré tout ce qu’elle savait, malgré ce que j’avais confié dans mes lettres, ma mère l’a embobinée : Virginie l’a trouvée absolument géniale. Je n’avais plus le droit de me plaindre, elle était parfaite. Le coup a été rude et à partir de là, tout a été plus compliqué.
L’année suivante, je me suis rendue chez elle une dizaine de jours, mais je n’étais plus… connectée ? En lien. Je ne me suis pas délitée, je n’ai pas pleuré, j’ai encaissé la rupture pour ce qu’elle était, j’ai profité de mon séjour, j’ai fait des photos de nous deux que ma mère a détruites sans me le dire – j’ai un jour retrouvé une photo rescapée d’un manège du Parc Astérix, sans Virginie – j’ai replongé dans mon enfance et ma ville d’enfant, j’ai croisé le garçon dont j’étais secrètement amoureuse en primaire – nous nous sommes l’un et l’autre retournés, regardés, sans un mot – je suis revenue sur mon lieu d’habitation, j’ai pleuré lorsque je suis repartie – sur ma ville. Et le lien a continué de se déliter doucement. Présent et instable.
En 2002, je lui ai montré un site internet que j’avais créé, sur l’inceste. C’était un gros risque, je n’avais jamais abordé le sujet avec elle. Elle a acté. Et ne m’a plus jamais parlé.
Si je suis honnête, je ne suis moi-même jamais retourné lui parler non plus.
Blessées à deux, l’une par l’autre.
Chaque année, je pense à son anniversaire et je me dis qu’elle a sans doute oublié le mien.
Parfois je vais voir son facebook. Une amitié si longue, de mes 12 à 25 ans, ça compte pour mille.
J’ai ainsi appris qu’elle était devenue professeur. Qu’elle adorait Johnny Hallyday – alors le jour où il est mort j’ai pensé à elle. J’ai appris qu’elle habitait la même ville que mon actuelle meilleure amie. La même. C’était dingue tout de même, la même ?! Je pouvais la croiser à tout moment. J’y pensais de temps en temps quand je déambulais avec B., à me demander si elle me reconnaitrait. Elle m’a peut-être vue, je me dis qu’elle a peut-être eu un temps d’arrêt et m’a laissé passer, parce que tu sais, le temps et puis la vie, parce qu’il faut trouver quoi dire, parce qu’il y a parfois le temps de se demander si c’est si important finalement, de se dire bonjour, comment vas-tu, tu deviens quoi et repartir un peu ébranlé, et puis finalement oublier que nous avons pu être si proches, un jour.
Je ne l’ai jamais croisée.
Parce que j’allais écrire quelques mots sur elle, ma première correspondante, je l’ai cherchée.
Son anniversaire est dans quatre jours, et je pleure, je pleure sur chaque mot que j’écris, je pleure sur mes souvenirs, sur la vie et sur la mort, je pleure et je ne sais plus ni pourquoi j’écris, ni pourquoi je pleure alors que je ne la connaissais plus, je pleure alors qu’elle est morte l’année dernière et que je ne l’ai pas su, je pleure sur ce que nous avons perdu, peut-être, sur ce bonnet stupide que nous avons porté contre notre volonté, sur nos lettres que j’ai un jour jeté, sur la souffrance qui me balaie, sur l’absence de photo dans mes albums, sur sa sœur, sur la mort elle-même, je pleure sur la fulgurance de notre passage, sur cette vie si difficile et qui manque de sens.
・・・
Edit :
Composé au 14ème ou 15ème siècle, Odin’s Raven Magic est un poème islandais de l’ancienne tradition Edda (Edda – un terme qui décrit deux manuscrits islandais qui, ensemble, sont les principales sources de la mythologie nordique et de la poésie skáldique). Le poème raconte un grand banquet organisé par les dieux au Valhalla alors qu’ils étaient absorbés par leur festin, des signes inquiétants apparurent qui pourraient prédire la fin des mondes des dieux et des hommes.
Sigur Rós
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