C’est arrivé le même jour. Vendredi.
Une fermeture et une ouverture de porte.
L’ouverture, c’est M. qui a semble-t-il avancé sur son chemin. Il y a deux semaines il y avait pourtant eu une petite attaque, je ne suis pas certaine de savoir comment gérer ce revirement sinon en douceur. Je le prends pour l’instant comme ça vient ou comme cela semble être : pour une tentative de paix. J’accepte son errance, sa souffrance, son travail sur elle et je vois venir.
Sincèrement, cela m’a rendu heureuse. D’amitié il n’y aura plus jamais, au moins évitons-nous la stupidité et la guerre. Les échanges vont être plus sains, sans espace noir-gris inapprochable.
La fermeture…
Jeudi je n’ai pas été suffisamment claire avec le chat sauvage, qui m’est revenu en message privé avec violence, comme si de rien.
Il m’envoie un poème mais trouve ma réception trop légère, si légère que c’est une gifle, une insulte pour lui, m’enfonce en mp répétés, caresse dans le sens du poil en me disant gentille et intelligente avec un style d’écriture magnifique qu’il dit m’envier (il se moque en plus) tout en m’expliquant que je n’y suis pour rien si j’écris ainsi de toute façon que c’est la chance le hasard, puis enchaine en comptant le nombre de mots envoyés pour lui (en mp) et pour les autres (en public), avec jours heures nombres de messages et à qui. Un délire dingue qui m’assomme au moment exact où je lis ce livre, Nos absentes, qui déjà me malmène comme il faut aux entournures, tout en échos difficiles.
Je suis fragilisée par ma lecture. Vendredi soir j’accusais la phrase sur les grossesses précipitant la perte de contrôle du conjoint et donc le passage à l’acte, physique. Le point de bascule. Je revois encore et encore, le coup de poing dans le mur « pour ne pas te frapper » et le trou béant, au-dessus de notre lit.
Et ce mec qui vient me harceler, me ressortir des phrases écrites il y a plusieurs mois sur cet espace que nous avons en commun, qui compte les mots que je lui envoie, compare à ce que j’envoie aux autres, qui trouve que rien n’est assez, que je ne m’occupe pas assez de sa personne, ce mec égocentrique, susceptible et passif-agressif me rappelle, dans son comportement, l’ambiance qu’il y avait à l’appartement.
Et, je ne m’y attendais pas mais. Je ne flippe pas. Aucune panique ne s’est enclenchée dans ma tête.
Fragilisée, mais l’esprit clair.
Le délire soudain – quoiqu’annoncé si je relis les précédents messages – m’a mise en face de ce que je suis en train de lire : cela arrive n’importe quand, cela arrive à toutes, cela arrive même lorsque nous savons, même lorsque nous sommes préparées, cela arrive même lorsqu’on pense que cela n’arrivera plus, cela arrive parce que la société laisse ce genre de prédateur complètement libre de ses mouvements et qu’il se sent intouchable.
J’ai signalé son cas, il m’a été répondu que la modération avait déjà eu à gérer exactement, au mot près, la même chose huit ans auparavant avec lui – il vient de revenir, après huit ans de ban – dont sur des mineurs. Une enquête est lancée suite à mon signalement, pour vérifier qu’il n’y ait pas d’autres femmes concernées.
Il faudra tout de même que je leur demande pourquoi ils ont accepté son retour. Mais j’ai conscience aussi qu’on a tous le droit de changer et d’avoir une seconde chance. En ce qui le concerne, c’est doublé d’une pointe de folie très fortement marquée, je ne sais pas ce qui peut changer ici, je ne suis pas optimiste.
De mon côté je suis fière de moi, tellement. Je n’avais pas réalisé comme j’ai changé, comme je n’ai plus peur de l’autre, comme j’ai les épaules, la solidité pour gérer une agression. Je sens une tension en moi, attendue j’imagine. Mais je vais bien.
Je suis solidifiée.
Partages
・Livre : Nos absentes, à l’origine des féminicides, Laurène Daycard
・Le 366 Réels du jour :
J’ai perdu beaucoup de croyances. Juste là.
J’ai perdu un moi angoissé, j’ai perdu la peur du conflit, j’ai perdu celle que j’ai été, j’ai perdu la peur du mur la vision du trou dans le mur la vision du poing partant dans le mur, j’ai perdu ma certitude que je ne savais pas faire face, j’ai perdu des limites inculquées, j’ai perdu une illusion de faiblesse, j’ai tout perdu sans doute il y a deux ans mais je viens seulement de le saisir : je suis une autre, avec une certaine invulnérabilité. Il n’est pas question ici d’être inatteignable, seulement de ne pas se laisser atteindre lorsque le besoin se fait sentir.
Derrière toutes ces pertes, il y a ce que j’ai gagné ; on a vraisemblablement besoin de temps – ou d’une situation similaire – pour le réaliser pleinement.
En savoir plus sur Carnets
Subscribe to get the latest posts sent to your email.