La mémoire reste infernale de ce qui n’arrive pas
Marguerite Duras
J’ai glissé tout doucement, accroché un fil peut-être. Les angoisses sont revenues, maintenues par une moitié de pilule blanche diminuée un peu trop tôt, semble-t-il. J’ai observé la chose sombre, elle tente de grignoter les petites lumières c’est insupportable de suffisance – pour qui se prend-elle. À la médiathèque, j’ai fouillé les rayons dans l’espoir de trouver de l’art thérapie qui me guiderait, mais rien, les ouvrages restent cantonnés dans le domaine professionnel – je le dis comme ça, il y a un créneau à prendre. Je ne souhaite pas lire sur le sujet, je souhaite être accompagnée pour me sortir de là. J’ai beau attraper de multiples livres sur le DIY ou la créativité, pour une raison que j’ignore cela ne me parle jamais. Suis-je donc à ce point décalée ?
Je me suis ensuite tournée vers le Tai Chi, je vais tenter de m’ancrer physiquement dans le monde. J’ai trouvé deux dvd, le premier a fait rugir mon ordinateur comme une vieille deux-chevaux – c’est fou comme ça déconcentre. J’ai tenu trois minutes avant que les muscles ne s’effondrent, épuisés par la tonne de carrelage pour la maison – je n’aurais jamais dû faire ça, je veux dire porter noyer frotter frotter frotter porter. Parfois il est difficile d’être pauvre et de récupérer des déchets, c’est simple.
À censurer le corps, on censure du même coup le souffle, la parole.
Hélène Cixous – Le rire de la méduse
Écris-toi : il faut que ton corps se fasse entendre
Angoisses, alors. Je sens la douleur se rouvrir dans le plexus. J’ai mal de vivre, est-ce que c’est si fou, vraiment ? N’est-ce pas une condition inhérente à tout être vivant que de souffrir d’exister ? Combien de coup faut-il pour tuer ce que nous sommes, quelle fréquence, quelle force. Un viol n’est pas un, il est multiple, il est chaque coup à l’intérieur, on dit un et c’est le leurre du siècle, on dit un et on pourrait compter, il entre il entre il entre, c’est mille fois en attente du dernier, c’est à quel moment, un ? On attend de crever sur l’un d’eux. À quel moment, la perte de connaissance ? La vie la mort. Ça me traverse beaucoup en ce moment, les six années, le mur blanc, sa mort, jamais la mienne. Ce doit être la diminution de l’antidépresseur, ça traverse le filet – c’était le but. Attraper la mort avec les doigts sans trop se brûler, regarder droit dedans.
Tout est là, je cherche à donner forme. À entendre le corps.
Est-ce que chaque entrée, c’est un morceau éclaté ? Plus vite fini, moins de morceau ? C’est lequel de morceau, le corps maintenant. J’ai oublié. D’un fragment à l’autre, j’ai oublié. Et parfois je suis un morceau de moi tellement petit, je hurle en me balançant – autiste, il dit.
Et pourtant, je bouge, je respire, je mange, je ris, il fait tout ça ce corps morcelé. Avec quelle partie de moi ?
Le désordre est sans fin.
Et pourtant, je me recolle.
Les yeux ouverts, pour comprendre, ne pas être seule.
Si tu ne penses à rien de ce qui t’a fondé, peux-tu être ?
Il y en a assez pour se noyer à sec, pénétrer tes poumons à t’étouffer et parfois pour te retenir il n’y a que ce souffle empli d’eau asséchée · la noyade maintient en vie · le point de rupture, l’air.
Avec toute la colle, je vais être tellement lourde · est-ce qu’on se relève avec des points de colle dans les poumons · j’ai rêvé que je tombais tombais tombais pour échapper tombais dans une immense bâtisse en ruines, remontais par une sorte de petit train et de la magie · je me demande comment on avance à la vitesse de la colle, est-ce aussi rapide que la nuit sur le corps.
Ici c’est tout ce que je veux être.
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