366 à prises réels (recopiés d’un lieu où j’y supprime mon existence)
Règles
Les 366 réels à prise rapide sont des exercices de style tels qu’en propose le recueil éponyme de Raymond Queneau. En vous inspirant des règles qui suivent, vous écrirez chaque jour ou de temps en temps, de courts textes.
1. Écrivez sur le vif.
Comme si vous utilisiez un carnet de croquis, écrivez dès que l’idée de votre texte germe dans votre esprit, particulièrement si vous venez d’assister à la situation que vous souhaitez évoquer.
2. N’écrivez pas plus de 100 mots.
C’est-à-dire, à l’échelle d’un petit carnet, environ 10 lignes.
3. Transcrivez des éléments de votre journée.
Interdiction d’inventer des événements ou de vous référer à une journée antérieure.
4. Suivez la consigne thématique de la date correspondante.
Tout en restant fidèle au réel, il s’agit d’adopter un angle de vue particulier. Même si la consigne vous semble abstraite, rattachez-la à votre journée ou à un détail de cette journée.
Ouvertures :
– Toutes les interprétations sont possibles. En répondant par exemple à « Aujourd’hui à la poubelle », on peut lister ce qu’on met à la poubelle, ou bien des événements du jour jetés, symboliquement, à la poubelle.
– Vous pouvez choisir de commencer ou non votre texte par les mots donnés. Vous pouvez même ne pas faire apparaître précisément ces mots dans le texte.
– Vous pouvez parfois, pour la même thématique, dresser toute une liste ou bien vous intéresser à un évènement en particulier
Aujourd’hui animal
Ven 1 Sep 2023 – 19:48
C’est une petite bestiole, elle était si fine lorsqu’elle est arrivée chez nous, elle était comme un jeune chat. Sept ans dans les moustaches, pourtant. Elle s’est étoffée depuis, elle a de jolies rondeurs. C’est une mini-tornade sous des airs de délicatesse.
Elle me suit souvent comme une ombre, si je sors étendre le linge elle est dans mon sillage, lorsque je rentre alors elle aussi, si je suis dans le jardin elle m’accompagne aussi longtemps que j’y reste, si je suis à mon bureau elle dort sur mes affaires, si je lis sur le canapé elle est contre moi à ronronner follement. Le matin lorsque je me lève, elle sort d’une chambre ou d’une autre et court vers moi, miaule doucement, je crois qu’elle me raconte sa nuit – qu’elle passe le plus souvent chez un enfant.
Bientôt une année qu’elle est chez nous, et c’est comme si elle avait toujours été là.
Aujourd’hui emballage
Sam 2 Sep 2023 – 19:45
Cet après-midi était chaude mais non étouffante, nous avons marché au milieu des pins, des arbousiers, des oiseaux – et même, un écureuil roux foncé. Nous avions prévu de prendre notre goûté quelque part vers des cairns, sauf que je ne marche pas assez vite et que la faim nous a rattrapé bien avant le lieu. Nous avons donc mangé tout en avançant tranquillement.
Il a tendu le dernier biscuit et dans la foulée tel un geste normal et répété, a jeté l’emballage vide au sol, là. Sur le chemin. En pleine forêt.
Au ralenti, la chose grise est tombée, inattendue, plus qu’improbable de sa part, et mon cerveau qui ne comprend pas l’acte volontaire et dans le même temps réalise la blague tellement il est impossible que ce soit autrement.
L’humour de cet homme… tsss. Tout ça pour voir ma tête -_-
Aujourd’hui dans mes poches
Dim 3 Sep 2023 – 19:55
J’y trouverais un marron lisse à frotter doucement sous les doigts, un chagrin fatigué, un mouchoir en tissu, des graines mises là un jour de promenade puis oubliées, un papier en piteux état, des trous de mémoire, des miettes de feuilles séchées – perdues pour l’herbier. Pas davantage.
Mais pas aujourd’hui.
La journée – en robe – était sans poches, j’ai dû frôler pour l’exercice celles d’un autre jour…
Aujourd’hui douceur de
Lun 4 Sep 2023 – 19:13
douceur de la confection du dessert – les mains, ensemble
douceur de la pâtisserie au four – odeur enivrante de leur enfance
douceur des mots posés chaque jour – l’ailleurs où s’installer en soi
douceur de fermer les yeux – apprivoiser sa propre solitude
douceur du silence –
Aujourd’hui carrelage
Mar 5 Sep 2023 – 21:23
6h à 10h
Carrelage gris, doux, frais par endroits sur lequel la minette se livre ventre à l’air aux caresses de ses humains.
Pendant des heures. Oui. Le matin, c’est chat-câlin.
Dérouler son pas au rythme des ronronnements et coups de tête.
10h45 à 12h
Carrelage blanc cassé, froid, impersonnel pour ne pas dire triste, mélange de douleur et d’oubli où passe chaque heure une dizaine de personnes qui s’allongent sur un fauteuil et ouvrent la bouche jusqu’à la crampe avant de reposer les pieds, en fuite, sur le sol blanc cassé, froid, impersonnel et triste.
12h45 à 15h
Carrelage gris, doux, tiède par endroits sur lequel glissent des pieds nus et des pattes de velours.
Fermer les yeux, se cacher du bruit, retirer les pieds du sol et s’absenter – partout ailleurs ne pas être. S’effacer.
18h30 à 22h
Carrelage gris, doux, frais sur lequel des chaussons usés jusqu’aux orteils sont apparus, ceci afin de combattre le froid glacial s’étant jeté sur les pieds de la maîtresse de maison en même temps que la fatigue. Répondre au téléphone comme si on était là, flotter et alors, ne pas leurrer la collègue qui habituellement n’entend rien – en être, sincèrement, étonné.
Les trous
asphalte et moquette sur le dos du monde.
Aujourd’hui piège
Mer 6 Sep 2023 – 23:33
Le piège, ce repas qui n’en finissait pas (4h…), les questions soudaines, les voix trop fortes – et ce malgré un plaisir certain au début.
Le second piège, cette invitation lancée « bon Lou, on fait la réunion chez toi samedi ? » aaaaah oui ?
Semaine de sociabilité, dirait-on..
Aujourd’hui une affaire de choix
Jeu 7 Sep 2023 – 22:04
À chaque instant, un choix.
Lecture
Ce soir j’ai terminé la lecture de Et Nietzsche a pleuré, de Irvin D. Yalom, où il était justement – évidemment – question du choix (entre autre philosophie et psychanalyse). J’y ai retrouvé Nietzsche, la même « musique » que dans ses écrits, j’y ai ressenti la découverte de soi pour soi, j’y ai entendu l’acceptation (et le refus) de ne connaître qu’une infime partie de soi-même. Moins apprécié le choix de l’auteur, d’un retour sur ses pas (mais que pouvait-il faire d’autre dans un roman ancré dans l’Histoire).
Spoiler:
Je me demande si avec un traitement (antidépresseur et autres pilules), Nietzsche aurait pu écrire son œuvre – quand je vois comme moi, les médocs ont fait taire ma tête.
Personnel
Je me suis inscrite sur trois plateformes, essai d’une écriture publique et à vie – on y croit – où aucune ne me satisfait. La fatigue aidant, il n’y eut aucun choix définitif. Me voici forcée de rester sur le premier lieu un brin pénible (j’accepte de subir le flot de la vie pour la journée et de la laisser me diriger, et donc de fait, de ne pas choisir par moi-même, pour l’instant).
Je suis donc divisée en quatre (ou cinq, si l’on compte ici).
Trop de choix, tue le choix.
Aujourd’hui croire que
Ven 8 Sep 2023 – 19:35
Je crois que j’ai fait trop de ménage, je crois que je suis rétamée, je crois que la maison peut recevoir je n’aurai pas honte, je crois qu’un renard est venu cette nuit nous rendre une visite, je crois que je manque de thé malgré toutes mes bonnes résolutions de me contenter des herbes du jardin, je crois que je dois aller arroser, je crois que la douleur monte, je crois que je n’arriverai pas au bout de cet exercice, je crois que je suis encore en retard de lettres et mails, je crois que je manque de peinture, je crois que j’apprends à me gérer, je crois que je vais rater le café littéraire parce que je crois que je ne vais pas oser demander à ma belle-mère de m’emmener, je crois que j’ai un problème avec les demandes, je crois que j’ai peur de déranger, je crois que je devrais creuser du côté de la place.
Je suis certaine qu’il me faut de la musique, il faudrait que je vérifie tout le reste.
Aujourd’hui reflet
Sam 9 Sep 2023 – 13:36
Je me suis croisée complètement par hasard dans une vitrine.
J’avais l’air d’aller bien.
Aujourd’hui contenu et contenant
Dim 10 Sep 2023 – 16:31
Un reste de thé, une tasse.
La tasse est de l’amie, blanche à coquelicots délicats, un reste de confinement vécu à douze une année compliquée – ne testez pas chez vous.
Elle tient les mains, elle réchauffe les doigts engourdis de nuit, elle apaise le corps qui peine au réveil.
Le thé est un 7 agrumes d’un palais d’été, il en reste quelques futures tasses d’une boîte oubliée sur le haut d’une étagère entourée de champignons séchés, de figues séchées, de graines de tomates mises à sécher, étagère fourre-tout d’une cuisine bancale.
Entre les deux, il n’y a rien ou alors du silence ou alors il y a moi, en équilibre, à flotter au-dessus avec la fumée.
Les incontournables des matins endormis.
Aujourd’hui l’écran
Lun 11 Sep 2023 – 20:33
Pas de télévision, cela fait presque 19 ans maintenant, je l’ai éteinte un mois avant la fin de l’année 2004 – j’aurais pu la détruire à la hache, je ne l’ai pas fait, je l’ai même offerte afin qu’elle aille broyer encombrer quelqu’un d’autre.
J’ai un pc, j’y ai regardé une série aujourd’hui, repos, pas le choix, impossible de tenir un livre – j’investis dans le décrochage de la vie réelle.
J’ai une liseuse, que je n’ai pas allumée. J’aurais pu, mais je risquais un mauvais geste.
J’ai un téléphone, aussi. Je l’apprécie, je détesterais en changer, mais je n’aime pas lorsqu’il sonne. Et il n’arrête pas, aujourd’hui. SMS mails téléphone comptes-rendus amies conjoint collègues famille et même une publicité pour une salle de sport partie en spam.
L’écran me contient lorsque je pose des mots, j’y tiens debout les jours qui tremblent.
J’ai des périodes intensives d’écran, pas en ce moment, pas aujourd’hui.
Je glisse sur un repli.
Il n’y aurait pas de réel à écrire, je me serais échappée et me serais inventée ailleurs pour quelques jours.
Sans écran.
Aujourd’hui la cinquième personne qui va vous parler
Mar 12 Sep 2023 – 20:27
Je n’ai pas compté le chat – le monde en a certainement chancelé sur ses bases.
–
La médiathécaire fut la cinquième personne. Elle ne sourit pas. Elle ne parle pas. Elle m’observe. Elle est austère, fermée, désagréable, comme un peu toutes ses collègues – ça se sent, que je ne suis pas du tout à l’aise ? J’y vais pour le plus jeune, je traverse ces nouveaux lieux pour qu’il ne s’ennuie pas, je les traverse à reculons les yeux plantés dans ceux des livres, je les traverse ni tendue ni détendue, je les traverse en ayant toute la sociabilité à réécrire, plus étrangère que jamais au monde.
Contre toute attente et parce que je m’extasiais à voix haute sur leur magnifique ficus, quelque chose est arrivé : sa voix, dans mon dos. Nous avons parlé plantes, elle était passionnée, elle s’est mise à sourire, à parler, elle était transformée et j’avais une autre personne devant moi, agréable, présente.
Un lien évident était là, sous mes yeux. Incroyable ce qu’on peut détendre une atmosphère avec de la verdure.
Elle est celle qui s’occupe des soins, d’arroser, de leur donner de l’attention – ses mots.
L’arbre fut récupéré depuis une école, implanté dans une cantine et remplacé par des tables. La nature toujours, expulsée.
Je crois que je finis par parler plantes avec tout le monde – et certains pourraient même sous-entendre que je suis en réalité, très sociable.
J’ai passé la porte, elle souriait encore.
Aujourd’hui escaliers / escalators / ascenseurs
Mer 13 Sep 2023 – 18:32
Je compte les marches des escaliers, toujours.
Alors, dix-sept.
Ce matin, onze – mini-palier – six marches usées poussiéreuses grises et bancales m’ont menée aux deux salles de l’association où je travaille une fois par semaine. Sans rampe, la mairie « oublie » – depuis tellement d’années, c’est une volonté d’oubli. Comme un refus d’ancrage. Les mains vides ou pleines, nous progressons à l’invisible, les plus âgées s’inquiètent. La hauteur est toute relative, mais les marches sont courbes, creuses de décennies d’un silence absolu – mais qui se souvient des marcheurs passés.
Aujourd’hui agacé de
Ven 15 Sep 2023 – 16:29
Je ne m’agace1 pas. Pas souvent, pas comme ça, pas vraiment. Il m’en faut beaucoup, ou alors un enchaînement particulier de problèmes.
Ces derniers temps je m’agaçais rapidement (la faute à la douleur qui me tape sur le système), mais pas de chance (pour l’exercice), depuis qu’on me l’a fait remarquer je suis redescendue. Je suis une calme – une anxieuse calme – je respire avant de répondre, je prends le temps.
Moins qu’avant, pourtant, j’ai constaté. Peut-être un peu plus agaçable depuis un an.
1 « agacé de » n’est pas correct sur le plan grammatical, s‘agacer de, le serait.
– s’agacer de
– agacé par
On a les agacements qu’on peut.
Aujourd’hui profonde pensée philosophique
Mar 19 Sep 2023 – 13:39
Plus je lis de livres*, plus l’humanité me désole.
Je vais arrêter l’humanité.
(lecture du jour, Pas de fusils dans la nature, Pierre Rigaux)
* remplaçable par bien d’autres mots, les RS par exemple.
(journée blasée par la bêtise de certain·es, ça arrive)
Aujourd’hui pour ligne d’horizon
Mer 27 Sep 2023 – 14:03
La fin peut-être de ce qu’il y a à gérer là tout de suite, le début peut-être de ce qu’il y a à écrire (et déstabiliser les murs, mes murs), la certitude des graines à semer, de la boîte aux lettres à repeindre, des livres à lire pour le comité de lecture – et pour ce faire, commencer par ce qui n’a rien à voir : terminer Nos absentes1. À l’horizon encore, se profile la lumière de l’automne, il se dépose déjà avec délicatesse dans les jardins : un crocus s’est ouvert, de jaune vêtu.
Ne pas oublier les deux voyages, un d’automne où je ne serai pas, un d’hiver où je serai.
L’horizon est empli de jolies choses.
1Nos absentes, à l’origine des féminicides – Laurène Daycard
Aujourd’hui derrière la vitre
Jeu 28 Sep 2023 – 20:45
derrière la vitre, un magnifique soleil s’est levé, une étendue confuse de vert seulement de vert m’attendait – une explosion d’herbes verveine romarin citrons verts
derrière la vitre une lumière sur les amarantes en fleurs m’appelait – je n’ai pas écouté, pas évité l’écueil la tristesse
derrière la vitre de sa voiture la voisine m’a saluée d’un signe de tête – je repeignais la boîte de nos lettres
derrière la vitre, un crayon sur une feuille saturait l’espace – une certaine nécessité
derrière la vitre le store s’est baissé
sur la fin de la journée
Aujourd’hui j’ai fait de mes mains
Ven 29 Sep 2023 – 14:45
J’ai coupé la salade l’ail l’oignon le chou-fleur, versé le blé et les graines germées, mêlé la vinaigrette, partagé dans les assiettes.
J’ai lancé étendu plié trois machines.
J’ai rangé quelques affaires.
J’ai attrapé l’indigo et le vert de vessie, le bloc, les pinceaux. Il fallait reprendre, il fallait ce retour à la création même complètement raté, il fallait absolument passer par-dessus l’appréhension du pinceau entre les doigts. C’est effectivement et absolument raté – c’est orageux comme une journée sans soleil ou des pensées en mouvement – mais la joie d’avoir repris par contre…
[M. baisse enfin les armes, me parle – plus de raison d’être au forum, je suppose]
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