Au début, quand je lui disais que j’avais peur pour lui, il souriait. Il me disait « ne t’inquiète pas, il ne m’arrivera rien ». Et quand il avait 2h de retard et que je m’étais fait un sang d’encre à attendre que sa vie revienne jusqu’à moi dans notre appartement, il ne comprenait pas. Que j’ai pu autant m’inquiéter. Que j’ai pu envisager le pire. Que j’ai pu attendre un coup de fil qu’il ne passait jamais, pour me rassurer.
Je ne me remettais à respirer que lorsque j’entendais sa clé dans la serrure. Ses pas sur le sol. Son sac jeté à terre.
Je me serrais dans ses bras, contre lui, à l’abri des angoisses qui me rongeaient et des larmes qui menaçaient. Parce que ces bras étaient grands. Forts. Puissants.
Avec le temps, ça l’a énervé. Il ne comprenait toujours pas. Pour lui rien n’était grave. C’était moi l’abrutie, la folle, celle qui pleurait en douce ou devant ses yeux et qui avait peur de l’impensable. Alors il me disait « Attends, je vais faire ceci ou cela » et le câlin attendait. Et j’attendais. Mon angoisse attendait. Ces bras étaient moins grands.
Et puis un jour il est tombé. Dans la rue. J’étais là. Quelqu’un que j’ai bougé a appelé les pompiers. Et puis une dame m’a emmenée aux urgences, avec le chat sur les genoux. Il a eu peur. Il a compris. Un peu. Et puis il a oublié. Qu’il pouvait tomber. Son corps malade. Sa peur et la mienne. Et mon angoisse a recommencé à attendre. Encore. Encore plus. Parfois le câlin attendait plusieurs heures. Mais pas les larmes. Ces bras étaient absents.
Et il a recommencé à risquer sa vie. Puis la mienne. En voiture, les absences dues au sucre et aux piqûres qu’il faisait n’importe comment. Alors pour pas le perdre je suis partie. Parce que c’était trop dur d’aimer quelqu’un qui se laisse mourir par pure inconscience ? Peut-être.
Étrangement c’est lorsque j’ai rompu qu’on a été le plus ensemble. Là qu’on se parlait le plus. Là que j’ai laissé libre court à mes peurs, là qu’il m’a le plus écouté.
Mais ça n’a rien empêché.
Il est tombé. Dans l’appartement. Je n’étais pas là.
Ça se serre. A l’intérieur. C’est devenu étroit.
Si seulement je pouvais me taire.
Et puis Robert Frost le dit mieux que moi :
« Devant moi il y avait deux routes
J’ai choisi la route la moins fréquentée
Et cela a fait toute la différence. »
C’est comme ça qu’on se rend à des enterrements.
Et que l’attente cesse.
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